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Les DPI dans l'agriculture en Afrique

by Devlin Kuyek | 1 Oct 2002
dans l’agriculture en Afrique

et leurs conséquences pour les petits agriculteurs

Devlin Kuyek *

Octobre 2002

1 - INTRODUCTION

« Les pays africains se voient dans l'obligation de choisir entre deux voies contradictoires … l'une enracinée dans les savoirs et les pratiques de ses agriculteurs et l'autre dépendante des produits fournis par les entreprises du Nord. Â»

Traditionnellement, dans l'agriculture africaine, toute innovation est le fruit de processus communautaires collectifs, issus des pratiques coutumières basées sur l'échange. Mais au cours des dix dernières années, les pays d'Afrique en ont été exclus en faveur des monopoles privés – par le biais des droits de propriété intellectuelle (DPI). Ces droits sont issus d'une culture très différente, où domine la négation du droit d'accès aux innovations. Les défenseurs des DPI soutiennent que les DPI apporteront le développement agricole et qu'ils augmenteront la production en favorisant le transfert technologique et les investissements privés dans la recherche. Cependant, ce dossier montre que la pression pour les DPI vise plutôt à privatiser les pratiques innovantes et les ressources biologiques en Afrique et à réorganiser les marchés des semences au profit des firmes étrangères. Les agriculteurs africains, les savoirs immenses qu'ils détiennent ainsi que la diversité des plantes qu'ils ont entretenue seront obligatoirement piétinés par ce processus, ce qui menace une sécurité alimentaire déjà fragile dans le continent.

Les pays africains se voient dans l'obligation de choisir entre deux voies contradictoires en matière de recherche et de développement : l'une enracinée dans les savoirs et les pratiques de ses agriculteurs et l'autre dépendante des produits fournis par les entreprises du Nord.

Ce dossier commence par un historique de l'innovation dans l'agriculture africaine, en présentant les différents processus permettant l'innovation et tous ceux qui peuvent être considérés comme les artisans de l'innovation. Il débouche sur le débat qui entoure la question de l'actuelle application des DPI, envisageant ses conséquences pour les petits agriculteurs et examinant ensuite les différents  moyens par lesquels les DPI sont promus. Partant de là, il dresse le tableau de l'état actuel des DPI en montrant quels sont les pays qui ont adopté le régime des DPI et évaluant les efforts récents des gouvernements africains pour s'orienter vers des directions alternatives. Pour terminer, ce dossier présente le rôle de la société civile et, dans ce dernier chapitre, expose les tentatives locales pour résister aux DPI et pour développer des modèles alternatifs de droits des communautés qui seront à même de soutenir les communautés rurales dans leurs efforts pour contrôler les ressources locales ainsi que la recherche et le développement.

 

2 - L'INNOVATION : DEUX PERSPECTIVES

Les DPI, tout comme les brevets, la protection des variétés végétales, les droits d'auteur et les marques déposées, impliquent un droit de monopole exclusif sur une création que la société concède à l'inventeur pour une période donnée. Le contrôle de la diffusion des connaissances qu'un tel monopole de protection entraîne est censé être contrebalancé par la stimulation qu'il donnerait à l'innovation. Les partisans des DPI avancent que la période de monopole de protection permet aux inventeurs d'être dédommagés pour leurs dépenses de recherche et de développement. L'American Seed Trade Industry  (Compagnie américaine du commerce des semences) déclare par exemple : « Une protection solide de la propriété intellectuelle permet aux développeurs de nouvelles variétés de plantes et de semences améliorées d'être rémunérés pour leurs efforts. Cela assure la promotion de la recherche et du développement, et à terme améliore la production de semences et la conservation des ressources génétiques. Â»[1]

Cependant, l'innovation peut prendre différentes formes, et un certain nombre de personnes peuvent être considérées comme des innovateurs. L'employé d'une firme peut inventer une nouvelle manière de rendre un véhicule plus économe en matière d'énergie, et un agriculteur peut développer un nouveau moyen d'éloigner les rats de ses champs. Tous deux sont des innovateurs. Mais seul l'un d'entre eux peut prétendre bénéficier d'un droit exclusif sur son invention. Les droits de propriété intellectuelle ne contribuent pas nécessairement à encourager ou à récompenser l'innovation. En observant l'impact des DPI sur l'Afrique, il est essentiel d'envisager de quel type d'innovation l'agriculture a besoin sur ce continent et qui sont les innovateurs.

De l'innovation à l'imposition :

« Les Suazi du Swaziland par exemple, entretiennent et utilisent à peu près 200 espèces de plantes, et les Tembe Tonga d'Afrique du Sud utilisent régulièrement 106 espèces pour leurs besoins quotidiens Â».

Jusqu'à ce que les puissances impériales européennes imposent leur volonté sur le continent, l'inventivité et les innovations des agriculteurs africains a permis à l'agriculture de rester enracinée dans les besoins des populations et de leur environnement. En Afrique sub-saharienne, l'agriculture a commencé en Ethiopie entre le 4ème et le 6ème millénaire avant JC. Peu après, les populations pastorales migrantes ont apporté leurs pratiques agricoles dans les terres étendues et fertiles de ce qui est maintenant le Kenya et la Tanzanie. En Afrique de l'Ouest, la culture du mil a commencé en Mauritanie autour de l'an mille avant JC, alors que la culture du riz a débuté dans la vallée du fleuve Niger à peu près un siècle plus tard. Au même moment, les communautés des forêts de l'Afrique de l'Ouest commençaient à cultiver l'igname et le palmier à huile. Comparativement aux autres régions du monde, les agriculteurs africains furent lents à adopter les pratiques agricoles sédentaires. Il y avait plusieurs raisons à cela. Tout d'abord, les communautés africaines disposaient de vastes étendues de terres et pouvaient se procurer les plantes alimentaires et médicinales dont ils avaient besoin en les ramassant. D'autre part, dans de nombreux endroits d'Afrique, les conditions environnementales rendaient très difficile une production agricole intensive continue[2].

Pour survivre dans ces conditions, les communautés africaines ont eu à développer des systèmes d'agriculture et de ramassage complexes. Les Suazi du Swaziland par exemple, entretiennent et utilisent à peu près 200 espèces de plantes, et les Tembe Tonga d'Afrique du Sud utilisent régulièrement 106 espèces pour leurs besoins quotidiens[3]. Les femmes Kpelle du Liberia entretiennent plus de 100 variétés de riz en cultures itinérantes sur brûlis. Dans le Sud de l'Afrique, on sait que les femmes conservent les semences de 10 écotypes de sorgho et de mil pendant un certain temps dans les greniers de leurs fermes[4]. Forts de cette tradition d'innovation, les agriculteurs africains n'ont pas eu beaucoup de mal à intégrer les nouvelles technologies ou les variétés venant de l'extérieur (comme le manioc, la banane ou le maïs) dans leurs systèmes de production.

Le cours de l'histoire agricole de l'Afrique a été brutalement interrompu par les puissances impériales européennes. En commençant par la traite des esclaves et le commerce de l'ivoire aux XVIIIème et XIXème siècles et en continuant par les expériences coloniales des XIXème et XXème siècles, les Européens  ont utilisé la violence militaire pour s'emparer des territoires, soumettre les populations, et imposer une réorganisation massive des sociétés qui a effacé la plus grande partie du considérable héritage agricole africain. Partout où cela était possible, les pouvoirs européens ont établi des plantations destinées aux marchés de leurs pays. L'agriculture de plantation a été largement inefficace dans la plupart des environnements africains, et les profits n'ont pu être réalisés que par l'exploitation éhontée des travailleurs africains et par l'appropriation massive des ressources.

Là où les plantations n'ont pas pu être établies, les puissances européennes ont eu recours à des moyens sociaux et politiques violents pour contraindre les agriculteurs africains à produire des cultures de rente pour leurs pays d'origine. D'autre part, là où la culture des céréales et l'élevage du bétail selon les techniques européennes ont été possibles (comme en Afrique du Sud, au Zimbabwe, en Zambie, au Kenya et au Mozambique), ils ont imposé un système de distribution des terres, des mesures de taxation et des projets d'infrastructures pour soutenir les colons et marginaliser les agriculteurs africains[5]. Au Kenya et en Ouganda par exemple, l'Etat a garanti aux colons blancs un monopole sur la culture des variétés de café Arabica, tout en limitant les agriculteurs africains à la culture des variétés bon marché de Robusta[6]. L'agriculture africaine a aussi souffert de la présence des experts agricoles que les pouvoirs coloniaux ont commencé à envoyer dans les colonies dans les années 30. Ces experts ont été envoyés pour augmenter la productivité des fermiers africains, mais presque toutes les techniques qu'ils ont promues ont lamentablement échoué et certaines ont conduit à des résultats catastrophiques.

« Après quarante années de recherche sur la sélection du sorgho et du millet dans des stations de recherche financées au niveau international, moins de 5% des cultures étaient plantées avec ces semences, car elles ne répondaient pas aux besoins de la plupart des agriculteurs Â»

En Afrique post-coloniale le préjudice causé par la domination européenne ne s'est pas encore cicatrisé. Même si le colonialisme a souvent détruit les pratiques agricoles traditionnelles et les systèmes d'innovation qu'elles avaient mis en pratique, peu d'efforts ont été faits pour que l'Afrique reconstruise son agriculture à partir des innovations locales dont son passé était riche. Cet effort aurait nécessité une restructuration profonde, comme la redistribution des terres, et un changement de priorités pour passer d'une production destinée à l'exportation à une production permettant d'assurer la sécurité alimentaire locale, ce que les gouvernements n'ont pas eu la volonté ou la capacité d'entreprendre. Il était bien plus simple de maintenir le stéréotype colonial de l'agriculteur africain « arriéré Â» et de rejeter le potentiel innovateur des communautés rurales. Pour développer l'agriculture, il fallait « moderniser Â» la paysannerie africaine par le recours aux produits issus de la science et de la technologie occidentales.

Mais la « révolution verte Â» ne s'est jamais concrétisée en Afrique. Pour la plupart  d'entre elles, les technologies modernes développées par les institutions de recherche nationales et internationales se révélèrent inappropriées et impopulaires auprès des agriculteurs africains. En Afrique de l'Ouest, une étude a démontré qu' « après quarante années de recherche sur la sélection du sorgho et du millet dans des stations de recherche financées au niveau international, moins de 5% des cultures étaient plantées avec ces semences, car elles ne répondaient pas aux besoins de la plupart des agriculteurs Â» [7]. Là où les agriculteurs ont adopté les intrants modernes, c'était seulement grâce aux généreuses subventions accordées par l'Etat. Ces agriculteurs ont abandonné leurs pratiques et leurs variétés de semences traditionnelles et adopté l'introduction des pesticides chimiques, des produits fertilisants, et des semences hybrides offerts par les agents de l'Etat. En conséquence, ils ont perdu leurs semences traditionnelles et devinrent dépendants des technologies extérieures.  Mais ces subventions ont été brutalement supprimées à la fin des années 80 et au début des années 90, lorsque la Banque mondiale a imposé des programmes d'ajustement structurel à l'Afrique. Les entreprises semencières publiques ont été privatisées et les prix des semences ont alors plus que triplé, laissant les petits agriculteurs démunis car ne pouvant utiliser ni les semences du commerce ni leurs variétés traditionnelles8.

On ne peut pas dire que la technologie occidentale et les modèles d'innovation aient  été d'un grand secours pour l'agriculteur africain moyen. Ce sont plutôt les agriculteurs africains qui ont assuré un travail indispensable en veillant à la sécurité alimentaire du continent malgré ‘l'aide' venant de l'extérieur. 

Ceux qui innovent en silence en Afrique : 

« Les agriculteurs africains peuvent compter sur les semences issues des cultures de leurs propres communautés pour plus de 90% de leurs besoins Â».

Les petits agriculteurs sont les innovateurs les plus importants et les plus compétents en Afrique. Les agriculteurs du Sahel par exemple, produisent 2 à 10 fois plus de protéines animales par km2 que les agriculteurs d'Australie ou des Etats Unis.9 La capacité d'innovation des agriculteurs africains est particulièrement importante en matière de sélection des plantes. On estime que les agriculteurs africains peuvent compter sur les semences issues des cultures de leurs propres communautés pour plus de 90% de leurs besoins. La plupart de ces conservateurs de semences sont des femmes, qui produisent 70% de l'alimentation nécessaire dans la région10. Elles choisissent soigneusement les semences correspondant aux différents types de sol et de conditions de culture et possédant des caractères particuliers comme la stabilité, la résistance aux maladies, la tolérance à la sécheresse, le goût et la qualité à la conservation.

Les sélectionneurs du secteur formel, public et privé, sont en nombre relativement restreint. En Ouganda, le secteur formel fournit seulement 1% des semences de haricot employées par les agriculteurs. Dans la région de Machakos au Kenya, les semences commerciales totalisent moins de 2% des semences de niebe et de cajan utilisées par l'agriculteur moyen, les marchés locaux et voisins en  fournissent plus de 17 % et le reste est conservé par l'agricultrice elle-même11. Dans la région sud de l'Afrique, les semences multipliées à la ferme et conservées par l'agriculteur constituent 95 à 100% des semences utilisées pour la culture du sorgho, du mil, des légumineuses alimentaires, des racines et des tubercules12. En Zambie, 95% de la culture du mil est produite à partir des semences conservées par les agriculteurs13. Même pour une culture commerciale comme le maïs, ce sont les petits agriculteurs qui sont les principaux fournisseurs de semences. Au Malawi, malgré les efforts accomplis pendant des années par l'entreprise publique de semences et les firmes privées, le maïs hybride ne couvre pas plus de 30% de la surface cultivée par les petits agriculteurs14. Ces derniers constituent de loin la part la plus importante des sélectionneurs de semences en Afrique et ils ont entretenu l'abondante diversité qui garantit la sécurité alimentaire du continent. Les agriculteurs en Ouganda, par exemple, ont développé des centaines de variétés de banane depuis que cette plante est arrivée sur le continent pour la première fois15.

L'innovation vue par les multinationales des semences :

Le secteur privé fournit une autre source d'innovation pour la sélection des plantes en Afrique. A l'exception de quelques firmes semencières africaines, le secteur privé des semences est dominé en Afrique, comme dans le reste du monde, par une poignée de multinationales. Seules six multinationales contrôlent plus de 30% de la totalité du marché des semences. Ces mêmes six multinationales contrôlent plus de 70% du marché total des pesticides et plus de 98% du marché total des plantes brevetées génétiquement modifiées. Le projet sous-tendant cette intégration des semences, des pesticides et des produits issus des biotechnologies au sein d'une même industrie est de développer des semences transgéniques programmées pour être cultivées selon un protocole spécifique. Les firmes se sont servi du génie génétique pour développer des plantes dont les caractéristiques ne se reproduiront  pas chez les générations suivantes, des cultures résistantes à leurs propres herbicides, et des cultures qui ne pousseront pas correctement sans avoir été pulvérisées avec une préparation chimique brevetée. Bien que les coûts de recherche et de développement soient élevés, les firmes estiment qu'elles pourront rentre dans leurs frais avec les droits de monopoles et les redevances.

Jusqu'à récemment, l'industrie multinationale des semences s'est peu intéressée à l'Afrique. En dehors de l'Afrique du Sud et du Zimbabwe, le marché des semences sub-saharien ne représente que 200 millions de $ - ce qui très peu pour ces grosses compagnies16. Toutefois, avec l'arrivée du génie génétique, ces compagnies commencent à s'intéresser plus activement au marché africain des semences17. Les analystes de l'industrie estiment que l'introduction des cultures génétiquement modifiées peut accroître sa valeur de 50%, ce qui rendrait financièrement plus intéressant ce marché africain, même s'il est relativement réduit18. Le tableau 1  montre comment les multinationales sont en train d'étendre leurs positions en Afrique.

L'expansion des multinationales de semences en Afrique s'est accompagnée d'une forte pression en faveur des DPI. Bien que cette industrie se présente elle-même comme apportant charitablement des technologies essentielles pour la sécurité alimentaire africaine19, elle n'a pas l'intention de distribuer ces technologies gratuitement. Les multinationales semencières comptent clairement exercer des droits de monopole sur leurs semences, et cela fait partie de leurs plans d'expansion vers les marchés africains. Peter Pickering, le directeur de Pioneer South Africa, résume en ces termes les projets de l'industrie semencière multinationale en Afrique: « Nous ne travaillerons pas dans les pays qui n'ont pas de DPI Â»20.

Il ne faut pas prendre l'intérêt croissant de l'industrie semencière multinationale pour les marchés des semences en Afrique pour un intérêt soudain pour les petits agriculteurs africains. Selon une étude récente de la Fondation Rockefeller : « En Afrique, les compagnies multinationales des semences pourraient avoir intérêt à propager un ou plusieurs variétés de maïs hybride à haut rendement chez les agriculteurs aisés des régions propices, mais il est peu probable qu'ils trouveront profitable de consacrer des moyens importants à des variétés développées pour les conditions spécifiques demandées par des agriculteurs opérant à petite échelle et sans beaucoup d'investissements. Â»21. La pression exercée par l'industrie semencière pour les DPI est tout simplement une tentative pour accroître son contrôle sur les marchés des semences pour des cultures pouvant générer des bénéfices commerciaux significatifs, comme les marchés des semences de maïs hybride en Afrique du Sud, le marché kenyan de l'horticulture orientée vers l'exportation ou les marchés émergents du fruit en Egypte et au Maroc22.

Tableau 1 : Présentation de quelques activités des multinationales semencières en Afrique

Compagnies

Filiales opérant en Afrique

Advanta (Royaume Uni, Pays-Bas)

 

Asia Pacific Seeds (Afrique du Sud)

Sluis Brothers (Tanzanie)

Monsanto (Etats-Unis)

 

Cargill (Etats-Unis)

Carnia (Afrique du Sud)

Delta and Pine Land (Etats-Unis)

Monsanto (Kénya)

National Seed Company of Malawi

Sensako (Afrique du Sud)

DuPont (Etats-Unis)

 

Pioneer Hi-Bred (Etats-Unis)

Etsala National Seed Company (Swaziland)

BASF (Allemagne)

Svaloef Weibull (Mozambique, Zimbabwe, Tanzanie)

Unilever

 

UAC Seeds (Nigéria)*

Unilever Malawi

Sakata Seed Co (Japon)

Mayford (Afrique du Sud)

Technisem (France)

 

Tropicasem (Bénin, Mali, Cameroun, Sénégal)

Agritropic (Nigéria)

Semivoire (Côte d'Ivoire)

Nankosem (Burkina Faso)

* Unilever s'est désinvesti de l'UAC et la section semences serait actuellement mise en vente

Le déclin du secteur public :

« A l'exception de l'Afrique du Sud, les dépenses pour la recherche agronomique en Afrique sub-saharienne, en pourcentage du produit national brut, sont passées de 0.76% pour les années 1981-1985 à 0.58% en 1991. Â»

Le secteur public fournit une autre source relativement récente pour la sélection des plantes en Afrique. Après l'indépendance, la structure de recherche coloniale a été réorganisée dans un cadre national et des dépenses considérables ont été faites, avec le soutien de donateurs internationaux, pour mettre en place des Instituts nationaux de recherche agronomique (INRA). Durant les années 60 et 70, plusieurs centres internationaux de recherche agronomique ont été aussi installés en Afrique, et ont collaboré étroitement avec les instituts nationaux. Toutefois, les dépenses publiques en matière de recherche et développement pour l'agriculture ont considérablement diminué ces dernières années. A l'exception de l'Afrique du Sud, les dépenses pour la recherche agronomique en Afrique sub-saharienne, en pourcentage du produit national brut, sont passées de 0.76% pour les années 1981-1985 à 0.58% en 199123. Par ailleurs, la part de financement de la recherche agricole fournie par les donateurs a augmenté de manière significative. Une étude récente effectuée sur treize pays de l'Afrique sub-saharienne montre que les donateurs fournissent plus de financements que toutes les autres sources réunies dans 8 de ces pays24.

Il est significatif que la diminution des dépenses publiques pour la recherche et l'importance croissante des financements en provenance des donateurs du Nord coïncident avec le développement des cultures génétiquement modifiées. De nombreux donateurs, comme la fondation Rockefeller et la Banque mondiale, orientent maintenant leurs financements vers les biotechnologies. Cela signifie qu'il y a à la fois un intérêt croissant à rechercher des partenariats entre secteurs public et privé et une pression sur le secteur public pour qu'il laisse une part plus grande de l'a recherche-développement au secteur privé tout en endossant le rôle de facilitateur du marché25.

Il en résulte qu'il y a de moins en moins de séparation entre secteur public et secteur privé en matière de recherche-développement. En Afrique du Sud, l'Institut des technologies de l'alimentation, de la biologie et de la chimie du Conseil pour la recherche scientifique et industrielle (CSIR) a répondu aux suppressions de financements en essayant de se positionner en tant qu' « acteur mondial Â» sur le marché des biotechnologies. Il définit les domaines de recherche où il possède un potentiel de « profit compétitif Â», essaie de développer une recherche jusqu'au stade où elle peut obtenir un brevet, et cherche ensuite une compagnie pouvant la prendre sous licence. Selon Terry Watson, du CSIR, Â« Il faut chercher à se mettre en position de pouvoir commercialiser la propriété intellectuelle Â»26.

 

3 - Les droits de propriété intellectuelle et l'agriculture africaine

En Afrique, les décideurs politiques doivent choisir de soutenir l'un des deux modèles opposés de recherche-développement. L'un est conduit par les multinationales du Nord qui comptent sur les monopoles privés et les cultures génétiquement modifiées. L'autre, soutenu par le secteur public, est mené par les agriculteurs, et se fonde sur l'usage collectif des savoirs et des ressources pour une agriculture durable. Les petits agriculteurs de l'Afrique et les industries des semences ont des besoins totalement différents lorsqu'il s'agit de soutenir leurs innovations, et les DPI ne sont destinés que pour le seconde des deux groupes. Si les gouvernements africains adoptent des modèles de DPI pour la biodiversité agricole, ils choisiront un modèle industriel de sélection des plantes cultivées et, en conséquence, une réorganisation de l'agriculture favorable aux intérêts des multinationales semencières du Nord. Il se trouve que ces multinationales sont aussi les firmes les plus importantes du monde pour les pesticides et les biotechnologies et ce qui les intéressent financièrement, c'est l'uniformisation des cultures et leur vulnérabilité – et pas la sécurité alimentaire de l'Afrique ni le bien-être des agriculteurs du continent.

 

« Le type de droits dont l'Afrique a besoin, ce n'est pas les DPI, sous monopole de l'entreprise privée, mais des droits qui soutiennent les communautés locales, les agriculteurs, les populations indigènes, et les efforts qu'ils ont accomplis tout au long du dernier millénaire pour conserver et améliorer la biodiversité pour le bénéfice de l'humanité entière. Â»

Prof. J.A. Ekpere, chercheur, Commission de la Technologie et de la Recherche de l'OUA.

 

Des visions différentes de l'innovation

La notion de droit de monopole est totalement étrangère aux processus traditionnels de l'innovation dans les communautés agricoles de l'Afrique. Même si les communautés africaines ont recours à un nombre de pratiques agricoles variées, elles partagent assurément des approches fondamentales. Comme l'explique l'expert des DPI Andrew Mushita du Zimbabwe, « Dans le contexte africain, la loi coutumière est appliquée. Elle ne reconnaît pas les droits de la propriété privée mais plutôt les droits de la communauté à ses ressources. Toutes les ressources appartiennent à tous et elles sont réglementées par les pratiques et les systèmes issus de la culture et des savoirs locaux de la communauté. Dans cet esprit, les agriculteurs ont échangé des semences entre eux depuis des temps immémoriaux, se les passant de voisin à voisin, de mère à fille, de belle-mère à belle-fille, et même entre villages et communautés. Même le travail est partagé pour des activités comme la préparation de la terre, les labours, les plantations, le battage ou les récoltes des cultures. La propriété foncière a toujours été collective et les individus ont le droit d'utiliser la terre à l'amiable. Â»27 

Selon Tewolde Egziabher et Sue Edwards, de L' ISD (Institut pour le développement durable) d'Ethiopie, c'est grâce à « cette création, à cette amélioration, à cette conservation et à cet échange collectifs entre les générations et les communautés, que le savoir, les technologies et la biodiversité sont devenues des biens communs gérés collectivement par les communautés, et dont celui qui le veut peut se servir. Payer pour y avoir accès est une pratique inconnue, car l'échange réciproque est un élément indispensable à la perpétuation du système Â»28.

Un exemple frappant des pratiques traditionnelles en Afrique est relaté par Blessing Butaumocho du Groupe de médiation pour la technologie et le développement du Zimbabwe. Dans sa communauté au Nord du Zimbabwe29, chaque agriculteur a le devoir de conserver une partie de sa récolte pour qu'elle serve aux semences pour la saison suivante. Si besoin est, les semences sont fournies par des membres de la famille et par des amis ou par des agriculteurs aisés, mais cela est donné gratuitement. Les membres de la communauté partagent même la croyance que vous ne devez pas remercier ceux qui vous donnent ces semences. Si vous le faites, les semences ne germeront pas parce que vous auriez alors remercié  un simple gardien,  alors que le véritable propriétaire des semences est l'esprit de la terre. La tradition a légèrement changé avec l'avènement de l'économie de l'argent et il arrive que des semences soient échangées contre de l'argent. Mais ceux qui se font payer pour leurs semences le font seulement en compensation du temps et du travail qu'ils ont fournis pour obtenir ces semences. Pour Butaumocho, « L'idée de redevance pécunière est étrangère à ma communauté. Ce qui pourrait en être le plus proche est l'offrande annuelle donnée aux esprits de la terre par chaque villageois comme moyen de leur signifier leur reconnaissance. Â»

L'industrie des semences ne partage pas l'approche des petits agriculteurs africains. Selon L'Association africaine du Commerce des semences, « la sélection professionnelle des plantes cultivées Â» ne peut pas se passer des droits de monopole, sous la forme des DPI, car « c'est une activité coûteuse et chère qui requiert un mécanisme efficace de recouvrement des coûts». Pourtant, alors que la sélection des plantes cultivées existe depuis des centaines d'années, les DPI sont une invention très récente. Les premiers DPI sur des plantes ont été appliqués au milieu du XXème siècle, lorsque certains pays industrialisés ont commencé à accorder des formes limitées de droits d'obtention végétale (DOV) à des sélectionneurs de nouvelles variétés de plantes cultivées. Le système des DOV a été mis en place comme une « alternative Â» au brevetage qui serait censée s'harmoniser avec les besoins de l'agriculture. Il garantissait aux sélectionneurs le monopole commercial sur l'utilisation de leurs variétés tout en laissant des « échappatoires Â», ou des « privilèges Â» ouverts pour les agriculteurs ou les sélectionneurs (voir encadré).

Cependant, même ces petites prérogatives ne sont pas acceptables pour l'industrie des semences. Depuis des années, cette industrie fait pression de manière agressive, et avec succès, pour renforcer aussi les prérogatives en faveur des firmes de sélection. De fait, dans de nombreux pays où les DOV ont été adoptés, les droits des sélectionneurs se renforcent progressivement, alors que les « privilèges Â» laissés aux agriculteurs s'amenuisent. 

« Dans de nombreux pays où les DOV ont été adoptés, les droits des sélectionneurs se renforcent progressivement, alors que les « privilèges Â» laissés aux agriculteurs s'amenuisent. Â»

Ce que l'industrie des semences veut réellement, c'est un droit de brevet intégral sur ses semences. Jusqu'à présent, seuls quelques pays dans le monde reconnaissent les brevets sur les variétés de plantes, mais un nombre croissant de pays accordent désormais des brevets sur les gènes intégrés ou identifiés dans des plantes. Cela signifie que l'industrie des semences peut effectivement breveter les plantes qu'elle a génétiquement modifiées. Récemment, au Canada, Monsanto a réussi à poursuivre en justice un agriculteur  qui avait cultivé des plantes contenant un gène breveté par Monsanto. Le juge a conclu que, même si le gène avait fortuitement envahi les culture de l'agriculteur par pollinisation croisée, la simple utilisation des semences contenant les gènes brevetés par Monsanto constituait une atteinte au brevet de Monsanto30 .

Actuellement, l'industrie des semences ne pousse pas vraiment à l'adoption du système de protection par brevets dans la plupart des pays d'Afrique. Il est tactiquement plus intéressant pour elle de commencer avec le système des DOV, car la plupart des pays africains ne disposent habituellement pas de DPI sur les ressources génétiques des plantes, puis de les pousser graduellement vers l'octroi de brevets. Selon l'Association mondiale des industries des semences (ASSINSEL), « pour le moment, les pays en développement membres de ASSINSEL considèrent qu'il serait prématuré de développer un système de protection des variétés de plantes par des brevets d'invention dans leurs pays. Â»31 Mais l'objectif ultime est le brevet. Au Kenya, où les lois de DOV sont en place depuis 1977, une révision de la loi sur la propriété industrielle est passée au parlement mi-2001, qui a reçu peu après l'assentiment du Président. Selon Robert Lettington, expert à l'IPR : « Il semble très probable que l'interprétation de [la nouvelle Loi sur la propriété industrielle] permettra le brevet, au minimum, de fragments des plantes, de produits issus des biotechnologies, et d'un éventail assez large de microorganismes. Il est aussi probable que les plantes qui ne remplissent par les critères les identifiant comme variétés, de même que les animaux ou le matériel génétique humain soient brevetables dans les limites précisées dans la section 26(b). Cela … laisse aujourd'hui très peu de place à toute restriction en matière de brevet de toutes les formes du vivant. Â»32

La sélection des variétés se fait encore très facilement dans la plupart des pays d'Afrique : elles circulent et se répandent par l'échange gratuit des semences de sélectionneur à sélectionneur (d'agriculteur à agriculteur).  L'industrie des semences veut mettre fin à ce procédé ancestral de diffusion des nouvelles variétés et des pratiques. Agissant comme un pirate, elle se sert dans l'héritage des semences que les agriculteurs-sélectionneurs ont développé pour produire ses propres semences commerciales, et ensuite elle refuse de partager son capital. Cela pourrait être toléré si l'industrie des semences s'en tenait là. Mais elle est en train d'essayer de réorganiser la recherche-développement en Afrique et autour du monde pour poursuivre ses intérêts et fait intensément pression sur les gouvernements africains afin qu'ils mettent en place des régimes de DPI. Les conséquences seront catastrophiques pour les petits agriculteurs africains déjà fragilisés.

Les brevets et les DOV

Les brevets et le système de protection des variétés de plantes sont deux formes de droits de propriété intellectuelle. Les deux systèmes fournissent des droits exclusifs de monopole sur une invention à visée commerciale pendant une période donnée. Un brevet est un droit accordé à un inventeur pour empêcher d'autres personnes de fabriquer, utiliser, et/ou vendre l'invention brevetée pour une période de 15 à 20 ans. Les critères d'attribution d'un brevet sont : la nouveauté, l'inventivité (non-évidence), l'utilité et la reproductibilité. Bien que les brevets aient été définis pour une application industrielle,  avec l'apparition des biotechnologies, les bureaux d'octroi de brevets accordent désormais des brevets sur des microorganismes et, dans certains pays, sur toutes formes de vie.

Les DOV donnent aux sélectionneurs des droits  très proches des droits des brevets. Ce qui devient protégé dans ce cas, c'est l'arrangement génétique d'une variété spécifique de plante. Les critères pour obtenir cette protection sont différents : la nouveauté, la distinction, l'homogénéité et la stabilité. Les lois réglementant les DOV peuvent accorder des dispenses aux sélectionneurs, les autorisant à utiliser des varié&tés protégées pour une sélection future, et aux agriculteurs, les autorisant à conserver des semences de leurs récoltes. Pour l'industrie des semences, les DOV sont considérés comme plus faibles que les brevets en particulier à cause de ces dispenses.

La plupart des législations réglementant les DOV aujourd'hui dans le monde se fondent sur les accords élaborés sous couvert de l'Union pour la protection des nouvelles variétés de plantes (UPOV). L'UPOV est une petite organisation intergouvernementale qui administre les règlements communs pour la reconnaissance et la protection des DOV au niveau international. 35 des 50 pays membres de l'UPOV sont des pays industrialisés, qui  fonctionnent généralement (ou actuellement) sous les Accords de 1978 ou 1991. L'accession à l'Union est désormais limitée à l'Accord plus restrictif de 1991. Par le  biais de révisions successives des accords, les droits accordés aux sélectionneurs sont devenus de plus en plus proches de ceux accordés par des droits accordés par le système des brevets. Alors que les sélectionneurs possèdent le contrôle exclusif du commerce de du matériel reproductif de leurs variétés,  et le droit d'imposer des licences d'utilisation, il est interdit aux agriculteurs cultivant des variétés protégées par le DOV de conserver des semences pour les replanter sauf sous des conditions extrêmement strictes. Et, de plus en plus, dans de nombreux pays pratiquant le système des DOV, les droits des sélectionneurs s'étendent aux récoltes des agriculteurs et aux produits qui en proviennent directement.

Quelques uns des  points controversés des Accords de l'UPOV de 1991 sont les suivants :

- Les droits de monopole des sélectionneurs s'étendent maintenant aux récoltes des agriculteurs. Si un agriculteur ensemence son champs avec une variété protégée par un DOV sans payer le droit d'utilisation, le sélectionneur peut réclamer la propriété de  la récolte (par exemple, le blé) et des produits issus de la récolte (par exemple, la farine) ;

- Si un agriculteur ou un sélectionneur du secteur public se sert d'une variété protégée par un DOV pour des activités d'amélioration, il aura à opérer des changements majeurs sur cette plante, sinon, les variétés qu'il aura développées seront considérées  comme « essentiellement dérivées Â» et, par conséquent, tomberont sous la propriété du détenteur du DOV ;

- Le « privilège Â» de conserver des semences qui était auparavant accordé aux l'agriculteurs n'est plus prévu par les Accords de 1991. Les pays membres de l'UPOV doivent inclure des dispositions particulières pour cela ;

- Les variétés protégées par le DOV peuvent aussi être brevetées, ce qui fournit une ‘double protection' aux industries des semences. C'est ainsi que la spécificité des variétés de plantes a été abandonnée.

Gaia Foundation and GRAIN, “Ten reasons not to join UPOV,” Global Trade and Biodiversity in Conflict, Issue No. 2, May 1998, http://www.grain.org/publications/issue2-en.cfm

Ce qui est en jeu pour les petits agriculteurs en Afrique :

Une vaste majorité d'agriculteurs en Afrique pratiquent une agriculture de subsistance sur des terres marginales. Au Bénin, 95% de l'économie agricole est assurée par l'agriculture vivrière. Au Maroc, 69% des agriculteurs sont des petits propriétaires.33 En Namibie, 90% de la population des zones agricoles communautaires sont directement dépendants de l'agriculture de subsistance pour survivre. Pourtant, en même temps, ces petits agriculteurs produisent  la majeure partie des cultures commerciales du continent comme le café, le cacao, le maïs et le coton. En Tanzanie, les petits propriétaires contribuent approximativement pour 80% de la valeur du surplus mis sur le marché et pour 75% des gains issus de l'exportation.34 Ces agriculteurs dépendent presque entièrement d'eux-mêmes et de leurs communautés pour leurs besoins en semences. Les DPI ne leur apportent aucun soutien, mais en inquiètent un grand nombre.

... les DOV et les brevets sapent les droits des agriculteurs.

Au sens étroit du terme, ils restreignent le droit des agriculteurs à partager, utiliser et conserver des semences de leurs récoltes en étendant le monopole des sélectionneurs sur les plantes qu'ils cultivent. Avec l'UPOV, le sélectionneur a le « pouvoir non seulement sur le droit de produire ou de vendre, mais aussi … celui  de spécifier comment cette production ou cette vente doit se faire Â»35.Mais, plus largement, les DOV et les brevets sont en violation de l'esprit des droits des agriculteurs et créent un précédent pour leur élimination. Les droits des agriculteurs incluent les droits des personnes et des communautés à conserver, développer, utiliser, contrôler et bénéficier non seulement la biodiversité locale mais aussi les savoirs et les savoir-faire des populations rurales.36 Ces droits, qui ne peuvent pas être protégés par les DPI, sont à la base d'une agriculture durable et reconnaissent l'importance de l'innovation apportée par l'agriculteur à la sécurité alimentaire et au bien-être de l'humanité.

Même si quelques pays essaient d'inclure certaines références aux droits des agriculteurs et à l'agriculture durable dans la législation des DOV, les régimes de DPI sont complètement étrangers à ces concepts et exercent une pression constante pour réduire les droits des agriculteurs en faveur de ceux des industries. Les DOV particulièrement réduisent les droits des agriculteurs à une seule exception – le « privilège Â» accordé aux agriculteurs de conserver des semences – droit qui est extrêmement vulnérable devant la pression internationale, les manœuvres des industries et les décisions politiques arbitraires. Dans les pays qui ont adopté les lois des DOV, les firmes semencières soumettent maintenant régulièrement les agriculteurs à des « contrats de plantation Â» qui les empêchent de conserver des semences de leurs récoltes ou de les partager avec d'autres, et ces compagnies surveillent les campagnes pour faire appliquer ces contrats (voir encadré ci-dessous). De plus, l'industrie des semences est en plein développement des plantes génétiquement modifiées qui ne germeront pas à la seconde génération ou n'exprimeront pas tel caractère particulier (comme une résistance aux herbicides par exemple) sans avoir été pulvérisées avec un produit chimique spécifique activant le gène concerné. Un rapport récent établit qu'il existe 60 brevets pour ces technologies « Terminator Â» ou « Traitor Â».37

Le contrat établi par Monsanto pour l'utilisation de la technologie du Round-up Ready* spécifie que :

- L'agriculteur ne peut pas conserver de semences ou une quelconque autre partie de la récolte issue des semences de Monsanto pour les replanter.

- Il est interdit à l'agriculteur de fournir des semences à quiconque.

- L'agriculteur ou l'agricultrice devra payer 120 fois la redevance due pour l'utilisation de la technologie plus les amendes légales si il/elle ne respecte pas le contrat.

- L'agriculteur doit apporter son entière coopération lors des inspections de Monsanto dans ses champs.

 

Michael Stumo, “Down on the Farm Farmers Get the Biotech Blues,” Multinational Monitor, Vol. 21, Nos. 1&2, January/February 2000.

* Variété transgénique incorporant un gène de tolérance à l'herbicide Round-up Ready, commercialisé par Monsanto.

… les DOV et les brevets entretiennent la dépendance vis a vis des compagnies étrangères.

Les firmes multinationales dominent les octrois de DOV et de brevets dans les pays en développement. Actuellement, 97% de brevets sont détenus par les ressortissants des pays industrialisés et 90% des brevets sur les technologies et les produits sont détenus par les entreprises mondiales.38 Avec leurs économies à grande échelle et les pressions exercées pour la mise en oeuvre des DPI, les firmes multinationales pourront rapidement prendre le contrôle de l'industrie des semences dès que les règlements des DPI seront établis. Cela ne doit pas être confondu avec les investissements étrangers et le transfert de technologie. Au Kenya, où les DOV sont délivrés depuis 1994, 90% des semences de végétaux commercialisés sont importées de l'Union européenne, des Etats-Unis et d'Asie.39 De même, plus de 90% de toutes les réalisations protégées par les DOV au Kenya proviennent de sélectionneurs extérieurs au pays, et, même en Afrique du Sud, où l'industrie nationale des semences est plus forte, le pourcentage tourne autour de 60%.40

Les études montrent que les DOV et les brevets diminuent les échanges de ressources génétiques et d'informations et restreignent le transfert technologique à des variétés déterminées en diminuant les possibilités légales de mener de nouvelles sélections.  De plus, ils marginalisent les agriculteurs qui ne sont plus considérés comme des innovateurs par la société tout en exigeant qu'ils paient des redevances servant à couvrir des coûts de recherche et développement pour lesquels ils n'ont rien eu à dire. De même, la recherche publique, s'oriente de plus en plus vers les besoins de l'industrie, avec des chercheurs plus soucieux de remplir leurs tâches de collaboration dans les termes instaurés par l'industrie que de leurs responsabilités vis a vis des agriculteurs.41

… les DOV et les brevets permettent le piratage des plantes cultivées développées par les agriculteurs.

L'Afrique possède le quart de la biodiversité mondiale. Cette diversité a été soigneusement produite, conservée et analysée pendant des générations par les 2000 groupes ethniques différents qui composent l'Afrique. Aujourd'hui ce savoir et cette biodiversité représentent des centaines de millions de dollars pour les industries pharmaceutiques et les firmes semencières qui s'empressent de s'en assurer le monopole. Avec les DOV et les brevets, l'industrie des semences peut prendre les variétés des agriculteurs, les manipuler et les reconditionner dans le Nord, pour ensuite obliger les agriculteurs à payer  des droits d'utilisation pour y accéder. Selon Edward Tueutjiua Kamboua, Directeur adjoint du Registre des compagnies, des brevets et des marques et modèles déposés de Namibie, « Par essence, les droits des brevets sont des droits de monopole donnés à des individus, et ces individus viennent du monde développé … Ainsi, par le biais des brevets, notre biodiversité est donc livrée à des gens qui vivent dans d'autres pays. Â»42

Certaines règles ont été avancées pour contrer cet arrangement injuste, mais elles vont à l'encontre des pratiques culturelles de nombreuses communautés agricoles. Comme le déclare une coalition mondiale d'organisations de populations indigènes, d'ONG et de réseaux : Â« Les savoirs et l'héritage culturels ont évolué ensemble et se sont progressivement enrichis au cours des générations successives. C'est pourquoi une seule personne ne peut déclarer avoir inventé ou découvert des plantes médicinales, des semences ou toute autre matière vivante. Le conflit inhérent entre ces deux conceptions du savoir et la manière de la protéger et de l'utiliser causera la destruction de nos valeurs et de nos pratiques communautaires. Â»

…les DOV et les brevets menacent la sécurité alimentaire et la biodiversité agricole.

« Une étude sur les DOV réalisée en Amérique latine établit que les DPI réduisent les échanges d'informations et de ressources génétiques, et à terme, la concurrence. Â»

Les défenseurs des DPI déclarent souvent que ceux-ci accroissent la sécurité alimentaire en stimulant le développement de « variétés améliorées Â». C'est faux. Dans les pays africains, la mise en place des DOV a apporté beaucoup plus au marché européen de la fleur coupée qu'à la sécurité alimentaire en Afrique. Au Kenya, seule une variété sur 136 applications a été enregistrée et testée depuis 1997 comme variété alimentaire, alors que plus de la moitié des autres étaient des variétés de roses.43 De même, en1999 au Zimbabwe, seuls 30% de tous les enregistrements concernaient des plantes pouvant être classées dans les plantes alimentaires, et en Afrique du Sud, où 1435  DOV ont été délivrés fin 1998, plus de 40% l'ont été pour des variétés ornementales.44

Une étude sur les DOV réalisée en Amérique latine établit que les DPI réduisent les échanges d'informations et de ressources génétiques, et à terme, la concurrence.47 Une autre étude réalisée au Royaume Uni établit que la sélection commerciale soutenue par les DOV est plus soucieuse de « différences cosmétiques Â» que de réelle « activité inventive Â».46  Les critères spécifiques de l'UPOV pour les DOV - la distinction, l'homogénéité, la stabilité et la nouveauté - sont bénéfiques pour l'industrie des semences et des pesticides mais très dangereux pour les agriculteurs africains. Car leur productivité dépend de la diversité des semences plutôt que de leur uniformité. Les produits chimiques et les manipulations génétiques, inaccessibles pour la majeure partie des agriculteurs africains, seront employés pour compenser la vulnérabilité des cultures, vulnérabilité prévisible après une sélection menée selon de tels critères.

 

4 - La pression en faveur des DPI

« La rapide expansion des régimes de DPI sur la biodiversité agricole en Afrique peut s'expliquer largement par les réseaux de pression très organisés que les multinationales de l'industrie semencière ont développés. Â»

Comme on le voit ci-dessus, les DPI appliqués à la biodiversité agricole ne conviennent pas à l'Afrique. Puisque la sécurité alimentaire en Afrique dépend de l'inventivité de ses petits agriculteurs, il serait plus utile de soutenir les stratégies de sélection conduites par les agriculteurs. Il existe des multitudes d'exemples montrant comment des petits programmes nécessitant peu de moyens et encourageant et soutenant l'innovation conduite par les agriculteurs ont rencontré un grand succès en Afrique et ailleurs (voir ci-dessous). C'est pourquoi il est difficile de comprendre pourquoi tant de gouvernements de pays africains ont mis en place ou sont sur le point de mettre en place des régimes de DPI sur la biodiversité agricole.

La rapide expansion des régimes de DPI sur la biodiversité agricole en Afrique peut s'expliquer en grande partie par les réseaux de pression très organisés que les multinationales de l'industrie semencière ont développés. Ces réseaux de pression, qui rassemblent toute une série d'acteurs différents, possèdent une stratégie très claire qui peut se diviser en trois composantes majeures : engager les pays dans les DPI par des accords internationaux de commerce, faire pression pour unifier les politiques des semences en Afrique ; et développer un cercle d'acteurs nationaux influents en les intéressant financièrement au DPI.

Les DPI et le commerce international :

A la fin des années 80, l'industrie des semences a commencé à comprendre comment les accords commerciaux internationaux pouvaient devenir des outils très efficaces pour faire avancer le programme de mise en place des DPI. Constatant que la pression individuelle sur chaque pays pouvait s'avérer longue et inefficace, les industries semencières ont rejoint une puissante coalition de multinationales du Nord afin de faire pression de manière très offensive pour la signature de l'accord sur les Aspects des droits de propriété intellectuelle liés au commerce (ADPIC) à l'OMC.47 L'accord ADPIC contraint tous les pays membres à adopter les DPI pour la biodiversité agricole. Toutefois, cet accord n'indique pas que les pays sont obligés d'adopter le système des brevets, mais seulement qu'ils doivent mettre en place « un système suis generis efficace. Â»

Certains pensent que cette terminologie floue permet aux différents pays de développer des systèmes juridiques reflétant leurs besoins propres. Mais, si une possibilité a été ouverte par l'accord ADPIC pour que les gouvernements africains développent leurs propres formes sui generis de DOV, elle est en train de se refermer rapidement. Une puissante alliance de forces internationales, conduite par l'industrie semencière occidentale, est parvenue avec succès à pirater les processus de décision continentaux et nationaux pour pousser les gouvernements à accepter l'UPOV comme seule option sui generis possible.

Avant l'accord ADPIC, seuls deux pays en Afrique, l'Afrique du Sud et le Zimbabwe, appliquaient des systèmes de DOV. Comme on peut le voir dans le tableau 2, cela est en train de changer rapidement.48 Même si l'accord ADPIC ne fait pas mention de l'UPOV, on a laissé croire aux pays africains qu'ils devaient adhérer au modèle de l'UPOV pour remplir leurs obligations vis a vis de l'accord ADPIC. L'UPOV envoie fréquemment des délégations qui rencontrent les représentants des gouvernements africains, en particulier ceux des ministères de l'Industrie et des bureaux d'enregistrement des variétés de plantes, et organise régulièrement des ateliers de formation aux DPI partout en Afrique en collaboration avec le Bureau de la propriété intellectuelle mondiale des Nations Unies. L'UPOV a réalisé un coup de maître en février 1999, lorsqu'il a convaincu les pays de l'Afrique francophone formant l'Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI) de rejoindre l'UPOV et d'adopter les termes de la Convention de 1991.49 L'accord a été ratifié par les deux tiers des membres nécessaires pour entrer en vigueur, et jusqu'à présent, 11 pays sur 16 l'ont ratifié (les cinq restant sont le Bénin, la République Centreafricaine, le Congo, la Guinée Bissau et le Niger), et sa mise en application n'est plus qu'une formalité. 50

Tableau 2 : Les pays africains et l'UPOV 

Pays en passe de rejoindre l'UPOV

Pays en discussion avec l'UPOV

Pays membres de l'UPOV

Algérie, Bénin, Burkina Faso, Cameroun, République d'Afrique Centrale, Tchad, Congo, Côte d'Ivoire, Egypte, Gabon, Guinée, Guinée-Bissau, Guinée Equatoriale, Mali, Mauritanie, Maroc, Niger, Sénégal, Togo, Tunisie, Zimbabwe

Burundi, Djibouti, Ghana, Madagascar, Malawi, Tanzanie, Zambie

Kenya, Afrique du Sud

Alors que l'UPOV se vend lui-même comme « LA Â» seule option sui generis, l'industrie des semences et les gouvernements occidentaux sont déjà en train de faire pression sur les gouvernements africains afin qu'ils s'alignent sur les obligations régies par l'accord ADPIC, en ajoutant des dispositions « ADPIC-plus Â» aux accords bilatéraux., Les avantages commerciaux dont bénéficient les pays qui ont signé le US's African Growth and Opportunity Act sont mesurés en fonction de leur degré d'obéissance aux directives de l'accord ADPIC. De la même manière, l'Union européenne a conclu un accord - l'Accord de Cotonou - avec les pays  d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, qui oblige ces pays à breveter les inventions des biotechnologies.51 

L'harmonisation des marchés africains des semences 

« Ce que nous pourrions faire maintenant, c'est envoyer nos firmes semencières se battre dans les différents pays, un par un, pour tenter d'obtenir des changements dans les décisions politiques. Cela ne peut pas marcher ; c'est trop compliqué Â».

L'harmonisation est une autre des astuces intelligentes que l'industrie multinationale des semences utilise pour éviter d'avoir à faire pression individuellement auprès de chacun des pays pour arriver à ses fins.  L'industrie des semences travaille en collaboration avec des acteurs influents, comme la Banque mondiale, le gouvernement américain et l'Organisation pour l'agriculture et l'alimentation des Nations Unies (FAO), à un programme visant à transformer le continent en un vaste et unique marché, régi par des politiques harmonisées en matière de semences, des lois et des réglementations fonctionnant pour tous les pays et permettant de fait la libre circulation des semences de part et d'autre des frontières.

Ce programme a été proposé au vote en 1997 quand la Banque mondiale a mis en place le Programme des semences de l'Afrique sub-saharienne (SSASI), dans le but de soutenir l'industrie privée des semences. L'argument avancé par la Banque mondiale était que : « Pris dans leur ensemble, les pays d'Afrique sub-saharienne, avec une population de plus de 600 millions de personnes, offrent un vaste potentiel commercial, mais les marchés nationaux pris individuellement sont trop petits pour soutenir des entreprises semencières efficaces et compétitives. Â»52

L'harmonisation des marchés est un moyen facile d'imposer aux gouvernements les politiques désirées par l'industrie. Selon les termes d'un représentant des Etats-Unis : « Ce que nous pourrions faire maintenant, c'est envoyer nos firmes semencières se battre dans les différents pays, un par un, pour tenter d'obtenir des changements dans les décisions politiques. Cela ne peut pas marcher ; c'est trop compliqué. Les firmes ne peuvent pas aller directement dans les pays et les persuader de changer les choses. Par contre, si cela se fait par une harmonisation régionale des marchés, ces pays découvriront rapidement que cette approche fonctionne réellement. Â»53

Les directives de la SSASI sont en conformité avec la partie concernant les réformes du système des semences de toutes les négociations faites avec les gouvernements africains dans la préparation de programmes ou de financements de projets dans le domaine agricole.54 Les politiques imposées par la Banque mondiale aux gouvernements africains  se décident en consultation avec le secteur privé.  C'est là que  l'Association africaine pour le commerce des semences (AFSTA) joue un rôle crucial.  Elle a été fondée en 1999 lors d'une réunion organisée par la Fédération internationale du commerce des semences, l'Association américaine du commerce des semences et le Ministère de l'agriculture américain.55 L'une des priorités de l'AFSTA est de développer et d'harmoniser les régimes de DPI sur la biodiversité agricole partout en Afrique.

« La pression exercée pour l'harmonisation des marchés est un moyen d'amener progressivement les pays africains à adopter un régime commun pour les DPI en commençant par les lois de PVP type UPOV et en imposant éventuellement des brevets complets sur les organismes vivants. Â»

Les DPI font partie intégrante du programme SSASI de la Banque mondiale qui se sert de son influence pour pousser les gouvernements à décréter une « législation permettant aux sélectionneurs d'enregistrer la propriété de nouveaux cultivars seulement (et non les cultivars traditionnels ou les races locales), en accord avec les accords de l'UPOV de 1978 ou 1991, Â» et de travailler avec « les organismes internationaux pour établir des lois et des procédures permettant … de breveter des gènes Â» pour les plantes génétiquement modifiées.56  La pression exercée pour l'harmonisation des marchés est un moyen d'amener progressivement les pays africains à adopter un régime commun pour les DPI en commençant par les lois de PVP type UPOV et en imposant éventuellement des brevets complets sur les organismes vivants. Cette stratégie est présentée par la Banque mondiale dans ses directives pour la réforme du système des semences :

« Il est possible que les gouvernements n'acceptent pas les réformes proposées ou certaines d'entre elles. Les tentatives exercées pour promouvoir une réforme du système des semences par la pression extérieure ont souvent échoué. Les politiques et les populations sont sensibles à tout ce qui pourrait menacer la sécurité alimentaire ou les principales cultures d'exportation… Dans certains cas, il doit être possible de faire des compromis stratégiques… Un dialogue plus approfondi peut faire tomber les derniers blocages et ce dialogue peut s'ouvrir aux firmes semencières à même de renforcer des réformes partielles… Avec  le temps, la Banque peut aussi utiliser ou provoquer des opportunités pour faire fortement pression en faveur d'une réforme du système des semences Â».57

Un soutien  prudent aux DPI

Que les multinationales de l'industrie des semences, la Banque mondiale et le gouvernement américain soient derrière la pression en faveur des DPI sur la biodiversité agricole n'est pas surprenant. Mais il est navrant de voir des institutions mandatées pour venir en aide aux agriculteurs africains prendre le parti des DPI. De nombreuses institutions du secteur public se résignent à l'émergence des DPI. Alléguant la diminution des financements, elles accueillent  favorablement la part plus grande prise par le secteur privé dans la recherche agricole africaine, tout en répétant que le secteur public restera au service des petits agriculteurs qui seront inévitablement délaissés par le secteur privé. Si cela veut dire accepter le régime des DPI tel qu'il est pratiqué aux Etats-Unis, que cela soit dit. Selon Gordon Conway, Président de la Fondation Rockefeller, l'un des plus influents partenaires de la recherche agricole en Afrique :

« Nous sommes favorables à l'ancien système de PVP et contre les brevets. Cela implique que les sélectionneurs pourraient vendre leurs semences, mais qu'un autre sélectionneur de plantes pourrait s'en servir et ensuite commercialiser lui-même la nouvelle variété. Mais il faut être réaliste. Il est très difficile de revenir à cet ancien système. Ce qui nous intéresse c'est d'avancer vers des partenariats entre secteur public et secteur privé afin de mettre les techniques modernes à la disposition de notre groupe cible. Â»58 

Les Centres internationaux de recherche agricole ont eux aussi montré leur volonté d'adhérer aux programmes établis par l'industrie des DPI dans l'espoir d'accéder aux nouvelles technologies pour leurs recherches en biotechnologies et en génétique. Le Centre de recherche sur le blé et le maïs (CIMMYT) a été le premier à s'aligner. A la suite de discussions avec le secteur privé, CIMMYT a annoncé son nouveau programme de DPI en avril 2000, par lequel il poursuivrait ses propres DPI de manière à « défendre Â» ses recherches ou faciliter les partenariats avec l'industrie.59 D'autres centres de recherches ont suivi. En février 2001, l'Institut international de recherches sur les cultures des régions tropicales semi-arides a mis en place un programme de DPI similaire basé sur un système de brevetabilité défensif.60 On peut lire dans le programme développé par l'Institut international de recherche sur l'élevage du Kenya (ILRI), qui travaille activement en partenariat avec le secteur privé sur les technologies transgéniques :

« L'ILRI reconnaît la nécessité de mettre en place une protection par les DPI sur ses produits et ses technologies afin de garantir la disponibilité continue des ressources génétiques, de ses publications de résultats et de sa base de données auprès de ses clients et pour empêcher qu'ils soient détournés par d'autres dans un but lucratif ; pour garantir la diffusion des technologies et des produits améliorés dans les pays en développement ; et pour  négocier l'accès à d'autres droits de propriété et aux technologies nécessaires au développement des produits Â».

A peu près au moment où l'IARC se jetait dans les DPI, le Centre international d'écologie et de physiologie des insectes (ICIPE) du Kenya mettait en place son propre programme de DPI, avec la même intention défensive.61  Le programme en est actuellement à sa première mise à l'épreuve avec la signature d'un contrat entre la firme américaine Diversa, le Service de Défense de la Vie sauvage du Kenya, et le Département de biochimie de l'Université du Ghana en octobre 2001. Le contrat donne à Diversa les « droits  de découvrir des gènes et de commercialiser les produits issus de petits échantillons pris dans l'environnement Â» ramassés dans les lieux répertoriés comme étant riches en biodiversité du Kenya et du Ghana, pendant que l'ICIPE, qui récoltera les échantillons au Kenya, bénéficiera de formations pour ses chercheurs ainsi que d'une partie des gains provenant des recherches.62

Le Centre africain d'études technologiques (ACTS) basé au Kenya a aussi commencé à défendre les DPI, espérant que cela permettra à l'Afrique d'être compétitive au niveau international pour les biotechnologies. Son directeur exécutif, John Mugabe, affirme que « l' Afrique fait déjà partie de la révolution biotechnologique. Nous ne devrions pas débattre de la question de savoir si oui ou non le continent doit s'engager sur la voie de la technologie mais nous demander quelles politiques spécifiques et quelles institutions sont nécessaires pour permettre aux Africains de maximiser les bénéfices et minimiser les risques liés aux génie génétique. Â»63 Pour Mugabe, cela signifie mettre en place et appliquer les DPI sur la biodiversité agricole, sinon aucun firme semencière maîtrisant les biotechnologies ne voudra « investir dans un pays ne possédant qu'une faible protection de la propriété intellectuelle. Â»64

La Fondation Rockefeller a une position légèrement différente. Elle admet que les régimes de DPI dans le Nord ont « inévitablement réduit les flux de ressources génétiques de ces régions vers l'Afrique Â» et déclare qu'  « un nouveau mécanisme est nécessaire, comme celui où les universités conserveraient le droit d'accorder des licences gratuitement, et ensuite de les regrouper dans un système de DPI destiné à faciliter l'utilisation des résultats des recherches pour aider les agriculteurs subissant l'insécurité alimentaire dans des endroits comme l'Afrique. Â»65 De ce point de vue, l'Afrique semble être moins un acteur de la révolution biotechnologique qu'un bénéficiaire dépendant de la charité et du bon vouloir des firmes qui lui accorderont l'accès à des plantes que ses propres agriculteurs auront contribué à créer.

« Les centres internationaux de recherche agricole et leurs partenaires nationaux ont une influence énorme sur les politiques agricoles en Afrique et, en acceptant les DPI sur la biodiversité, ils la légitiment. Â»

On pourrait alléguer que les centres de la recherche publique ont adopté des programmes de DPI qui essaient autant que possible de maintenir la recherche dans le domaine public et qui fournissent aux agriculteurs l'accès aux nouvelles technologies. De manière générale, les centres internationaux de recherche agricole déclarent qu'ils prendront des DPI ou entreront dans des programmes de recherche impliquant des DPI quand ceux-ci seront nécessaires pour fournir aux pays en développement l'accès aux nouvelles technologies majeures. Mais cet argument manque de recul. Les centres internationaux de recherche agricole et leurs partenaires nationaux ont une influence énorme sur les politiques agricoles en Afrique et, en acceptant les DPI sur la biodiversité, ils la légitiment. Comme le fait remarquer la Banque mondiale, « les politiques peuvent être réticents à changer les réglementations concernant les semences sans le soutien d'au moins quelques experts nationaux, incluant des ingénieurs agronomes et autres experts agricoles. Â»66 Plutôt que de se laisser peu à peu submerger par les demandes d'octrois de DPI de l'industrie, il vaudrait mieux que ces institutions reconnaissent que leur position est risquée et rejoignent ceux qui se mobilisent contre la privatisation de la biodiversité agricole et de la recherche publique.

 

5 - L'Afrique est-elle en mesure de choisir sa propre voie ?       

La voie alternative

« Les pays africains ont exprimé leur opposition commune aux droits de monopole sur les organismes vivants et commencent à développer des systèmes sui generis réellement alternatifs. Â»

La pression exercée sur les gouvernements africains pour qu'ils adoptent les régimes de DPI paraît insurmontable. Les promoteurs des DPI sont extrêmement bien organisés et ont accès aux financements. De plus, ceux qui aurait pu les aider à peser le pour et le contre et à prendre leur décision, comme les centres internationaux de recherche agricole, ont cédé à cette pression. Mais les pays africains ont encore une possibilité de s'engager dans une direction complètement différente, si ils sont déterminés. D'ailleurs, de nombreux pays africains examinent actuellement les choix qui leur sont donnés. Si la pression pour adopter l'UPOV est forte, elle est contrebalancée par une opposition intérieure croissante et par l'existence d'autres instruments internationaux, tels que la Convention Biodiversité (voir en annexe) et le nouveau Traité sur les ressources génétiques des plantes, qui mettent l'accent sur l'importance des droits des communautés. Au niveau du continent, les pays africains ont exprimé leur opposition commune aux droits de monopole sur les organismes vivants et commencent à développer des systèmes sui generis réellement alternatifs.

En 1998, le Conseil des ministres de l'Organisation de l'unité africaine (OUA) a adopté une « Loi modèle pour le protection des droits des communautés locales, des agriculteurs, des obtenteurs et pour une réglementation de l'accès aux ressources biologiques . Â» Cette loi a pour but d'aider les pays africains à remplir leurs obligations vis a vis de l'ADPIC et de la Convention Biodiversité, tout en protégeant le processus social collectif des savoirs et des savoir-faire en Afrique. Plus qu'un ensemble de réglementations, la loi modèle est un cadre permettant aux états membres de « façonner une législation nationale spécifique conforme à leur orientation politique , aux objectifs et au niveau de développement socio-économique de leur pays Â».67

La loi modèle de l'OUA :

La loi modèle a quatre composantes :

L'accès aux ressources biologiques :

Cet accès nécessite une  autorisation et l'accord informé préalable des communautés ; le règlement de droits de collecte ; le partage des bénéfices des produits commercialisés ; etc.

Les droits des communautés :

Ces droits inaliénables et collectifs impliquent le contrôle de l'accès aux ressources et aux connaissances ; la perception de 50% de tous les bénéfices reçus par le gouvernement sous le régime d'accès ; le plein exercice de leurs droits de propriété intellectuelle, etc.

Les droits des agriculteurs :

Ces droits impliquent la protection des récoltes et des semences en accord avec les critères issus des pratiques traditionnelles, le droit de conserver, d'utiliser, de multiplier et de vendre les semences, sous réserve  que le matériel possédé par un sélectionneur ne soit pas diffusé à l'échelle commerciale.

Les droits des sélectionneurs :

Ces doits impliquent la propriété intellectuelle sur les nouvelles variétés qui sont distinctes, stables et suffisamment homogènes ou multilignées, et le droit exclusif de vendre et de produire ces variétés, etc.

Quelques uns des aspects fondamentaux de la Loi modèle sont :

- Les droits des sélectionneurs de plantes sont subordonnés aux droits des agriculteurs ;

- La loi interdit tout brevet sur quelque forme de vie que ce soit ;

- La loi soutient activement le rôle des femmes.

 

En se basant sur une directive du Conseil des ministres de l'OUA, la communication du Kenya, porte-parole du groupe africain auprès de l'Organisation mondiale du commerce en juillet 1999, demandait que l'accord ADPIC soit révisé afin d'inclure l'interdiction des brevets sur toutes les formes du vivant et pour permettre à tous les états d'instituer une protection sui generis des droits des agriculteurs et des populations autochtones.  La même demande a été réitérée  lors de la dernière réunion ministérielle de l'OMC à Doha, et cette fois, le groupe africain a été rejoint par le groupe Asie-Caraïbes-Pacifique, qui a avancé une proposition similaire contre la brevetabilité du vivant.68 Le défi du continent africain à l'UPOV et à l'accord des ADPIC se situe maintenant aux niveaux régionaux et nationaux.

Ces derniers temps, il semble que la plupart des membres de la Communauté pour le développement du Sud de l'Afrique veuillent suivre l'Afrique du Sud en adhérant à l'UPOV.69 En 1991, suite à de fortes pressions de l'UPOV, la Zambie a présenté son premier projet de Plant Breeders Rights Act, basé sur les directives de l'UPOV de 78.  Mais le projet a rencontré de sévères critiques auprès du public pour avoir pris partie en faveur du secteur formel des semences qui aurait  « échoué à fournir correctement les régions excentrées du pays en semences. Â»70 Le Zimbabwe cherchait jusqu'à récemment à amender sa législation sur les DOV afin de la rendre conforme à l'UPOV de 1978. Il a dépassé la date limite, mais l'UPOV lui a accordé une période supplémentaire de 10 ans. Le mouvement en faveur de la participation à l'UPOV fait l'objet de l'attention des organisations de la société civile qui ont lancé une consultation nationale sur cette question.  La politique officielle de la Namibie est sur le point de rejeter les brevets sur le vivant  et a mis en place une cellule Biodiversité pour développer une législation afin de protéger la biodiversité et les savoirs traditionnels.71 Même l'Afrique du Sud, l'un des premiers pays à avoir adhéré à l'UPOV a suggéré  qu'elle pourrait amender son PBR Act en y ajoutant un nouveau paragraphe sur les droits des agriculteurs. De l'autre côté, le Malawi lui, semble se soumettre au processus de réforme du système des semences de la Banque mondiale. L'évolution des divisions sur les politiques des semences à l'intérieur des pays  de la SADC  et entre eux reste à déterminer.

L'incertitude règne aussi à l'Est et au Centre de l'Afrique. En Ouganda, l'Organisation nationale de la recherche agricole (ONAR) et le Conseil national pour la Science et la Technologie a préparé un projet de loi utilisant la Loi modèle comme « le document de travail majeur. Â» Selon John Mulumba Wasswa, de l'ONAR, le projet de loi inclut certains éléments des directives de l'UPOV de 78, mais ne reprend pas ses critères. Il est difficile de prévoir ce que la législation deviendra, car l'Ouganda fait partie du programme pilote majeur visant à harmoniser les réglementations sur les semences. Le Kenya fait aussi partie de ce programme, ce qui explique sans doute l'énorme contradiction inhérente à sa politique concernant les DPI. Au niveau international, ce pays a pris des positions fermes pour soutenir la Loi modèle de l'OUA et pour s'opposer à toutbrevet sur le vivant, mais au niveau national, il soutient les biotechnologies. Le 12 juin 2001, le parlement a unanimement voté la Loi de propriété industrielle, qui donne aux firmes le droit d'appliquer des brevets sur toute variété génétiquement modifiée introduite au Kenya.72 En Afrique francophone, le fait que l'UPOV ait réussi à convaincre les gouvernements de l'OAPI d'adhérer en masse démontre la vulnérabilité que ressentent de nombreux gouvernements africains lorsqu'il s'agit d'adopter ou de rejeter les régimes de DPI. Malgré les protestations importantes émises par l'OUA et les autres pays africains, suffisamment de pays de l'OAPI ont ratifié les accords, ce qui les rend irrévocables.

Certains fonctionnaires travaillent à l'intérieur des institutions africaines pour défendre les agriculteurs des attaques des PDI et pour développer et renforcer les droits des communautés. Mais la pression exercée sur eux est très forte et de nombreux gouvernements sont submergés. Les chercheurs des centres de recherche agricole nationaux et internationaux ne paraissent pas comprendre le rôle qu'ils jouent en encourageant les régimes de DPI, et beaucoup veulent adopter ces régimes  pour avoir la possibilité d'accéder aux biotechnologies du Nord, même si c'est seulement pour des objectifs de recherche. Il est manifeste qu'en Afrique, et dans le reste du monde, toute opposition effective aux DPI viendra de la société civile. Mais à part quelques exceptions notables, dans la société civile, la prise de conscience de la façon dont se répandent les DPI en Afrique est minime, particulièrement chez les petits agriculteurs – ceux qui en seront les plus affectés.

La lutte pour les droits des communautés 

Sur la scène internationale, les pays africains ont été à la tête de l'opposition aux brevets sur le vivant, face à la pression grandissante de l'industrie des semences et de ses alliés. Chez eux, le soutien apporté par la société civile a été déterminant pour rendre possible cette position audacieuse. A l'OMC, l'appel du groupe africain pour l'interdiction  des brevets sur les organismes vivants  est soutenu par le réseau africain du commerce, qui réunit plus de 20 ONG et organisations de la société civile  provenant de 10 pays africains. Différentes ONG ont aussi travaillé avec les représentants des gouvernements lors de réunions de la Convention sur la Biodiversité et du Traité international sur les ressources phytogénétiques. De fait, sans les efforts continuels de la société civile, la Loi modèle de l'OUA a peu de chances de réussir.

L'un des dangers pesant sur la société civile de nombreux pays africains est cependant le risque permament d'être tenue à l'écart des prises de décision. David Fig, de Biowatch Afrique du Sud rappelle comment son gouvernement a adopté le traité de l'UPOV de 1991 sans débat public. Dans d'autres pays, il est fort à craindre que les consultations nationales promises soient limitées à un petit groupe de personnes influentes soutenant les propositions de modernisation du gouvernement,  et comprenant en particulier le gouvernement américain, la Banque mondiale et les autres puissances alliant leurs efforts pour imposer les DPI.

C'est ce qui rend les organisations locales d'autant plus importantes. Les organisations de la société civile doivent œuvrer pour que les petits agriculteurs et les communautés participent au processus d'action politique. La Loi modèle de l'OUA fournit la base pour une consultation nationale, mais les communautés locales elles-mêmes doivent modeler et définir les droits qui gouvernent leurs ressources et leurs savoirs. Cela ne sera pas facile. Dans de nombreux pays, les communautés rurales ont très peu d'influence et ne peuvent pas accéder aux processus de décision politique et les organisations de la société civile travaillant à la base auront à trouver des moyens créatifs pour informer les communautés locales des enjeux et les aider à faire entendre leurs voix.

En Afrique, les petits paysans comprennent généralement l'importance de la diversité des cultures et le besoin de variétés adaptées aux conditions locales. Une enquête effectuée au Zimbabwe a établi que 85% des agriculteurs interrogés veulent maintenir ou augmenter le nombre des plantes et des variétés qu'ils cultivent et au Malawi, une autre enquête indique que les agriculteurs classent la diversification des cultures et l'accès aux semences au deuxième rang des priorités sur 15 indicateurs d'agriculture durable.73 Au Kenya, les agriculteurs de Tharaka, dans l'Est du pays, ont créé le Groupe de conservation des semences de Gakia, avec le soutien de l'ITDG. Depuis sa création en 1997, il a identifié et collecté 50 variétés de sorgho et 29 de mil qui avaient presque disparu de ce pays aride. Une agricultrice, Amina Njeru, cultive huit variétés de mil , sept variétés de niebe, et quatre variétés de « green gram Â». Le succès de ce groupe a fait dire à l'ambassadeur du Kenya au Japon : «  Je pense au passé avec nostalgie quand je me rappelle comment les greniers de mes grands-parents étaient toujours pleins  de toutes sortes de nourritures bonnes pour la santé récoltées dans une ferme qui aujourd'hui produit une mince récolte de haricots et de maïs. Â»74

« Partout dans le monde, des expériences montrent que les agriculteurs prendraient une part active dans les débats relatifs aux DPI et dans les processus de prise de décision si ils pouvaient bénéficier d'un minimum de soutiens financiers. Â»

En Ethiopie, le Programme éthiopien pour la survie des semences a été établi en 1988 pour restaurer, conserver, multiplier et mettre en valeur les qualités des semences traditionnelles des agriculteurs à la suite de la période de sécheresse du début des années 80 et de l'obligation de cultiver des variétés à haut rendement inadaptées. Ce programme prend en compte l'approche des agriculteurs  pour la conservation des semences, leur mise en valeur et leur utilisation. Les agriculteurs locaux, les chercheurs et les agents du développement travaillent ensemble sur des petites exploitations en recourant aux pratiques traditionnelles de sélection, de production et de stockage. Ce projet fonctionne sur l'idée que ce sont les agriculteurs qui maintiennent la diversité et que leurs pratiques fournissent la base d'une approche viable et profonde de la conservation. Jusqu'à présent, le projet a pleinement réussi. Les champs de cultivars locaux de blé « durum Â», cultivés sans recours aux fertilisants du commerce ou autres intrants extérieurs, ont vu leur rendement s'améliorer de 20 à 25%, surpassant les cultures utilisant beaucoup d'intrants de 10 à 15%.75

Des initiatives comme celle-ci constituent les fondements mêmes d'une opposition effective aux DPI. Elles ne démontrent pas seulement la valeur des stratégies d'innovation des agriculteurs, mais génèrent aussi une prise de conscience et organisent les communautés rurales et les chercheurs du secteur public autour des questions relatives aux DPI. Partout dans le monde, des expériences montrent que les agriculteurs prendraient une part active dans les débats relatifs aux DPI et dans les processus de prise de décision si ils pouvaient bénéficier d'un minimum de soutiens financiers. Les agriculteurs du Groupe de conservation Gakia, par exemple, se sont rendus à la cinquième conférence des membres de la Convention sur la Biodiversité  à Nairobi, pour demander que les gouvernements s'engagent pour les principes de la Convention et s'opposent aux brevets sur le vivant.

Les agriculteurs sont en général exclus des débats. C'est pour cela que les organisations de la société civile ont un rôle clef à jouer pour, d'une part, faciliter la participation des agriculteurs aux débats nationaux et internationaux relatifs aux DPI et, d'autre part, diffuser l'information sur les DPI et sur le contexte dans lequel ils ont émergé. Dans d'autres endroits du monde, notamment en Asie et en Amérique Latine, les agriculteurs prennent part plus activement aux débats relatifs aux DPI. Via Campesina, un mouvement international de paysans, de petits agriculteurs, de populations indigènes, et d'ouvriers agricoles, a lancé un appel qui prend clairement position : « pas de brevets sur le vivant Â». Vue la manière très rapide avec laquelle les DPI se répandent en Afrique, il est urgent que les paysans africains se fassent entendre.

ANNEXE

Rappel sur la Convention sur la Biodiversité

La Convention est entrée en vigueur en 1993. Elle engage les 170 signataires sur un certain nombre de principes de base concernant la question de savoir comment, par qui, et pour le profit de qui la biodiversité doit être conservée. Elle affirme :

-         l'importance de la contribution des populations des pays en développement à la conservation de la biodiversité mondiale ;

-         que la biodiversité n'est pas un « don de la nature Â» mais le résultat des actions de la communauté où les femmes en particulier jouent un rôle vital ;

-         le fait que la biodiversité est intrinsèquement co-dépendante des différentes cultures, systèmes de connaissances, et styles de vie qui la génèrent et la maintiennent ;

-         que la conservation in situ (locale) des ressources biologiques est plus durable que la conservation ex situ (dans des banques de gènes) ;

-         que les droits des communautés locales, ainsi que ceux des Etats, sont nécessaires pour protéger les ressources biologiques et leur conservation.

 

Ce programmes et ces décisions politiques doivent être appliquées afin de promouvoir la conservation et l'utilisation durable, ainsi que le partage des bénéfices issus de l'utilisation des ressources biologiques. 


[1] American Seed Trade Association News Centre : http://www.amseed.com/qaDetail.asp?id=37

[2] Ralph Austen, African Economic History : Internal Development and External Dependency, James Currey Ltd. : London, 1987.

[3] Pat Roy Mooney, « The Parts of Life : Agricultural Biodiversity, Indigenous Knowledge, and the Role of the Third System Â», Development Dialogue, 1996 : 1-2, p.85.

[4]Temba Musa, « Farmer Seed Systems Â», in Proceedings of the International Workshop on Developing Institutional Agreements and Capacity to Assist Farmers in Disaster Situations to Restore Agricultural Systems and Seed Security Activities, FAO, Rome, Italy, 3-5 November, 1998. http://www.fao.org/WAICENT/FaoInfo/Agricull/AGP/AGPS/ norway/Tabcont.htm#Table

[5] Ralph Austen, African Economic History : Internal Development and External Dependency, James Currey Ltd. : London, 1987, pp. 140-141.

[6] Ibid.

[7] J.S. Carr, “ Technology for Small-scale Farmers in Sub-Saharan Africa. Experience with Food Crop Production in Five Major Ecological Zones,” Technical paper No. 109, World Bank: Washington D.C., 1989.

8 Jannik Boesen et al, “Agricultural Policy in Africa after Adjustment,” CDR Policy Paper, September 2000.

9 F.W.T. Penning de Vries and M.A. Djitèye (Eds), “La productivité des pâturages sahéliens. Une étude des sols, des végétations et de l'exploitation de cette ressource naturelle", Agric.Res. Rep. 918, PUDOC, Wageningen, 1982, 523 p.

10 FAO, « A synthesis report of the Africa Region – Women, agriculture and rural development,” Prepared under FAO's Programme of Assistance in Support of Rural Women in Preparation for the Fourth World Conference on Women, 1995:http://www.fao.org/docrep/X0250E/X0250E00.htm

11 Ann Gordon, « Improving Smallholder Access to Purchased Inputs in Sub-Saharan Africa , Â» Nation Resources Institute, Policy Series No. 7, University of Greenwich, 2000.

12 W.R. Scowcroft and C.E. Polak Scowcroft, “Developing a strategy for sustainable seed supply systems in Sub-Saharan Africa, Proceedings of the Regional Technical Meeting on Seed Policy and Programmes for Sub-Saharan Africa, Abidjan, Côte d'Ivoire, 23-27 November, 1998: http://www.fao.org/ag/AGP/AGPS/abidjan/tabcont.htm

13 http://www.fao.org/ag/AGP/AGPS/Abidjan?TA11.gif

14 Joseph Rusike and Melinda Smale, « Malawi, Â» in Michael Morris (ed), Maize Seed Industries in Developing Countries, CIMMYT, 1998, p.291.

15 M.C. Fallers, « The Eastern Lacustrine Bantu (Ganda and Soga), : Â» in Ethnographic Survey of Africa : East Central Africa, Pt. 11, Int. African Institute, 1960: http://www.tropag-fieldtrip.cornell.edu/Thurson_TA/MulchReferences.html

16 Les marchés des semences en Afrique du Sud et au Zimbabwe représentent une valeur de 300 millions de dollars, ce qui explique pourquoi plusieurs multinationales de semences opèrent dans ces pays.

17 Patrick Heffer, FIS/ASSINSEL, « Basic Figures on International Seed Trade, Â» presented at the Preparatory Meeting for the Establishment of an African Seed Trade Association, Lilongwe, Malawi, 8-10 April, 1999.

18 G. Traxler, « Assessing the prospects for the transfer of gentically modified crop varieties to developing countries Â», AgBioForum, Vol.2, Numbers 3&4, 1999, pp. 198-202. http://www.agbioforum.org/

19 http://www.monsantoafrica.com/monsantoafrica/default.html

20 Entretien personnel, Juin 2001.

21 Joseph De Vries and Gary Toeniessen, Securing the Harvest : Biotechnology, Breeding and Seed Systems for African Crops, CABI Publishing: UK, 2001, p. 21.

22 Business Alliance for International Economic Development, « American Foreign Assistance in the Real World : A Closer Lokk”, in Protecting America's Future: The Role of Foreign Assistance, April 2000, http://www.fintrac.com/alliance/protecting_toc.htm

23 J. Beyron et al., Financing the Future : Options for Agriculture Research and Extension in Sub-Saharan Africa, Oxford Policy Management, 1998.

24 Philip Pardey and Johannes Roseboom, “Trends in Financing African Agricultural Research,” in Eds SR Tabor et al, Financing Agricultural Research: A Sourcebook, The Hague, Netherlands: International Service for National Agricultural Research, 1998, pp 307-321.

25 Mylene Kherallah et al., “The Road Half Traveled: Agricultural Market Reform in Sub-Saharan Africa,” Food Policy Report, IFPRI, Washington D.C., October 2000.

26 Entretien personnel avec le Dr. Terry Watson, Juin 2001.

27 Entretien personnel, septembre 2001.

28 Tewolde Berhan Gebre Egziabher, The Convention on Biological Diversity: With some

explanatory notes from a Third World Perspective, Institute for Sustainable Development and Third

World Network, p 10.

29 Chundu, Hurungwe District, Mashonaland West Province, Zimbabwe.

30 Canadian Federal Court decision, Monsanto Canada v. Schmeiser, March 29, 2001: http: //decisions.fct cf.gc.ca/fct/2001/ 2001fct256.html               

31 ASSINSEL Statement on the Development of New Plant Varieties and Protection of Intellectual Property (adopted in June 1999), http://www.amseed.com/govt_statementsDetail.asp?id=51

32 Entretien personnel, 3 mars 2002.

33 FAO, op cit.

34 Ibid.

35 David Godden, “Growing Plants, Evolving Rights: Plant Variety Rights in Australia,” Australian Agribusiness Review, Vol. 6, 1998, Paper 3. http://www.agribusiness.asn.au/agribusinessreview/1998V6/ GrowingPlantsRightsIssues.htm

36 Ignatius Wijayanto (Secretariat of Network on Farmers' Rights) and Riza Tjahjadi (PAN Indonesia), “Indonesia Advances on Farmers'Rights,” December 1998.

37 Action Aid et al, Syngenta: Switching off farmers rights?, ActionAid, GeneWatch UK, Berne Declaration and the Swedish Society for Nature Conservation, October 2000. http://www.actionaid.org

38 Human Development Report 2000, Human Rights and Human Development, UNDP, New York, 2000, p 84.

39 Jitendra Shah, “The Seed Industry in Kenya, an Overview,” presented to the Preparatory Meeting for the

Establishment of an African Seed Trade Assocaition, Lilongwe, Malawi, 8-10 April 1999.

40 J Wynand van der Walt, “A review of the South African seed industry,” prepared for the FIS/ASSINSEL 2001 World Seed Congress.

41 Nature Biotechnology, Vol 17,October 1999, p 936.

42 Lewis Machipisa, “Southern Africa for renegotiation of UPOV 1991,” IPS, http://www.twnside.org.sg/title/reneg-cn.htm

43 Philippe Cullet, Plant Variety Protection in Africa: Towards Compliance with the TRIPS Agreement, African Centre for Technology Studies: Nairobi, 2001, p 12.

44 J Wynand van der Walt, “A review of the South African seed industry,” prepared for the FIS/ASSINSEL 2001 World Seed Congress.

47 Jeroen van Wijk and Walter Jaffé, Intellectual Property Rights and Agriculture in Developing Countries, University of Amsterdam, January1996; and Jeroen van Wijk and Walter Jaffé, The Impact of Plant Breeders' Rights in Developing Countries: Debate and experience in Argentina, Chile, Colombia, Mexico, and Uruguay, October 1995.

46 Dwijen Rangnekar, “A Comment on the Proposed Protection of Plant Varieties and Farmers' Rights Bill, 1999”, March, 2000, p 6.

47 L'accord ADPIC est entré en vigueur le 1er janvier 1995.

48 Le Kenya possède une législation concernant les DPI, dans les textes mais, jusqu'en 1994, n'avait pas de structure permettant de la mettre en application. 

49 Les pays membres de l'OAPI sont : Le Bénin, le Burkina Faso, le Cameroun, la République d'Afrique Centrale, le Tchad, le Congo, la Côte D'Ivoire, le Gabon, la Guinée-Bissau, la Guinée Equatoriale, la Guinée,

le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Sénégal, et le Togo.

50 Site Web de l'OAPI: http://www.oapi.cm/index_fr.html

51 GRAIN in cooperation with SANFEC, “TRIPS-plus' through the back door: How bilateral treaties

impose much stronger rules for IPRs on life than the WTO,” July 2001, http://www.grain.org/publications/

trips-plus-en.cfm

52 SSASI Team, World Bank, “Initiatives for Sustainable Seed Systems in Africa,”

http://www.fao.org/ag/AGP/AGPS/Abidjan/Paper12.htm

53 Joe Cortes, “Improving the regulatory environment for agriculture in the developing world,” Association

for International Agriculture and Rural Development, 35th Annual Meeting, Washington DC, June 6-9, 1999, http://www.siu.edu/~aiard/Proceedings99.html

54 SSASI Team, World Bank, op cit.

55 Elizabeth Mayhew, USDA, “Trade-Enhancing Technical Assistance for Developing Countries: USDA/ Foreign Agricultural Service's Private Sector Partnerships,” Association for International Agriculture and

Rural Development, 35th Annual Meeting, Washington DC, June 6-9, 1999, http://www.siu.edu/~aiard/Proceedings99.html

56 SSASI Team, World Bank, op cit.

57 Ibid.

58 V. Lehmann, “Biotechnology in the Rockefeller Foundation's new course of action.” Biotechnology and Development Monitor, 2001, No.44/45, pp 15-19.

59 Nature, Vol. 404, p 594, April 6th 2000; and the web site of the Organisational Change Programme: http://www.orgchange.org/cimmyt.htm .

60 ICRISAT, “Policy of the ICRISAT on Intellectual Property Rights and Code of Conduct for Interaction with the Private Sector,” Approved by the Governing Board of ICRISAT at Bulawayo on February 21, 2001.

61 The International Centre for Insect Physiology and Ecology Intellectual Property Policy, 2000.

62 Entretien privé avec Robert Lettington, ICIPE, novembre 2001.

63 ACTS website, http://www.acts.or.ke/Biotech%20-%20Press%20release.htm

64 Entretien privé avec John Mugabe.

65 DeVries and Toeniessen, op cit.

66 SSASI Team, World Bank, op cit.

67 JA Ekpere, The OAU's Model Law: The Protection of the Rights of Local Communities, Farmers and

Breeders, and for the Regulation of Access to Biological Resources, An Explanatory Booklet, Organisation

of African Unity, Scientific, Technical and Research Commission, Lagos, Nigeria, p 4.

68 Third World Network, “Africa Group Proposals on TRIPS for WTO Ministerial,”

http:/ / w w w. t w n s i d e . o r g . s g / t i t l e / trips2.htm; ACP Declaration on the Fourth Ministerial, Brussels, 5 to 6 November 2001, Communication from Kenya, http://www-svca.wtoministerial. org/english/thewto_e/minist_e/min01_e/proposals_e/wt_l_430.pdf

69 La SADC comprend l'Angola, le Botswana, la République Démocratique du Congo (DRC), le Lesotho, le Malawi, l'Ile Maurice, le Mozambique, la Namibie, les Seychelles, l'Afrique du Sud, le Swaziland, la Tanzanie, la Zambie et le Zimbabwe.

70 Edward Zulu et al, “Country Presentation: Zambia,” in the Report on the Regional Workshop in Southern Africa on the Implementation of Article 27.3(b) of the TRIPS Agreement, Harare, Zimbabwe, 22-25 March 1999.

71 Rachel Wynberg, “Privatising the Means for Survival: the commercialisation of Africa's biodiversity,” Gaia/GRAIN, Global Trade and Biodiversity in Conflict, No. 5, May 2000.

72 Dr. Otieno-Odek, “Towards TRIPS compliance: Kenya's experience and legislative reforms,” Paper presented

at the Eastern and Southern Africa Multi-stakeholder Dialogue On Trade, Intellectual Property Rights and Biological Resources in Eastern and Southern Africa, Nairobi, Kenya 30-31 July 2001:

http://www.ictsd.org/dlogue/2001-07- 30/Otieno%20Odek.pdf

73 Virginia Mathabire and Chris Kakunta, “What price agrobiodiversity?” New Agriculturalist: http://www.new-agri.co.uk/01-6/develop/dev05.html

74 Wandera Ojanji, “Farmer's Seed Bank Project Enhances Biodiversity,” ECO, Vol. 1, Issue 2, May 16, 2000:

http://www.ukabc.org/eco2.pdf

75 Melaku Worede, “Links Between Indigenous Knowledge and Modern Technology in Africa: Seeds of Hope,” Scandinavian Seminar College: African Perspectives of Policies and Practices Supporting Sustainable Development: http://www.cdr.dk/sscafrica/wor-pre3.htm


Ce dossier a été écrit par Devlin Kuyek à la suite des recherches qu'il a effectuées pour GRAIN (Genetic Resources Action International) et plusieurs ONG.  Ce groupe d'organisations cherche à susciter une prise de conscience des conséquences du génie génétique et des droits de propriété intellectuelle (DPI) sur les petits agriculteurs en Afrique.  Ces ONG comprennent, au niveau national : SACDEP et RODI, du Kenya, Biowatch, d'Afrique du Sud, ISD, d'Ethiopie, Jepp, d'Ouganda, ITDG et CTDT du Zimbabwe ; au niveau régional : Pelum, d'Afrique du Sud ; et au niveau international, Gaia et ActionAid.

Ce dossier a pour objectif de fournir aux acteurs des communautés rurales, aux agriculteurs et aux décideurs en Afrique des informations pouvant les aider à comprendre les conséquences pour les petits agriculteurs des droits de propriété intellectuelle sur les ressources génétiques des plantes. Ce travail insiste particulièrement sur la situation dans l'Est et le Sud de l'Afrique. Il replace l'apparition des DPI sur les ressources génétiques des plantes dans un contexte historique plus large, dans lequel il apparaît que les traditions et les grandes capacités d'innovation des communautés agricoles africaines ont été constamment négligées au profit des intérêts des acteurs extérieurs. Il en vient à la conclusion que l'émergence des DPI dans l'agriculture africaine est hautement préjudiciable à la production alimentaire locale et aux petits systèmes agraires, et qu'une réorientation rapide des politiques est nécessaire.

Nous remercions le grand nombre de personnes et de groupes qui ont fourni du temps et des informations à la préparation de cet article.

 

Author: Devlin Kuyek
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  • [1] http://www.grain.org/publications/issue2-en.cfm
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