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Les droits de passage au Niger

by Entretien avec Bouréima Dodo | 21 Jan 2008

Bouréima Dodo est agro-pasteur au Niger. Il est le Secrétaire exécutif de l’Association pour la re-dynamisation de l’élevage au Niger (l’AREN), une organisation nationale qui compte plus de 36 000 membres et fait partie de la Plateforme paysanne du Niger, elle-même membre du Réseau des organisations paysannes et des producteurs de l’Afrique de l’Ouest (ROPPA

Interview de Bouréima Dodo

Que produisez-vous ?

J’élève surtout des vaches. J’en ai environ cinquante, ce qui, au Niger, n’est pas beaucoup ; mais pour un agro-pasteur, ce n’est pas mal, car j’utilise une partie du grain que je cultive pour nourrir mes bêtes, tandis que le fumier qu’elles produisent me permet de faire de l’agriculture. C’est une combinaison harmonieuse. J’ai aussi des chèvres et des moutons, ainsi que des poules, pour notre propre consommation. Je cultive du millet et du riz que nous mangeons et je ne donne que les résidus aux animaux.

Êtes-vous sédentaire ou faites vous de la transhumance* ?

Mes animaux font de la transhumance : En saison sèche, nous sommes obligés d’aller vers le Bénin, le Burkina Faso et le Togo pour y chercher des pâturages. C’est particulièrement courant dans ma région, où toute la terre a été colonisée pour les cultures et où il ne reste plus de place pour les animaux. Une fois la récolte du millet terminée, on met les animaux sur les champs pour qu’ils profitent des résidus et qu’ils nous fournissent du fumier. Puis on les retire. Ma famille proche est quasiment sédentarisée de nos jours. Ce sont principalement les jeunes qui font de la transhumance, tandis que les autres membres de la famille restent sur place, de façon à ce que les enfants puissent aller à l’école. De plus, comme nous ne gagnons pas beaucoup en tant qu’éleveurs, il nous a fallu diversifier nos activités.

Pouvez-vous me donner des chiffres sur le nombre d’éleveurs au Niger ?

En 2000, on estimait que plus de deux millions de personnes vivaient exclusivement de l’élevage, et ce sur une population de 10 millions. Beaucoup de gens combinent aussi agriculture et élevage. Presque toutes les familles nigériennes élèvent quelque chose, ne seraient-ce que des poulets. Mais la forme d’élevage la plus caractéristique de notre pays est la transhumance.

Combien d’espèces différentes avez-vous ? S’agit-il principalement d’espèces locales ?

La plupart de nos races sont encore locales. Ce n’est qu’autour des villes, chez ceux qui font du ranching, qu’on trouve des animaux exogènes, en particulier les vaches. Très souvent il faut irriguer les pâturages si on veut que les animaux survivent. Bien sûr, aujourd’hui on entend très souvent dire : « Vos animaux ne sont pas productifs », « Il faut que vous ayez des animaux qui produisent plus de lait, plus de viande. » Mais nous, nous pensons que l’essentiel c’est qu’un animal soit adapté à son environnement, qu’il soit résistant aux maladies. Or nous avons bien vu que la plupart des animaux importés ne sont pas adaptés à notre environnement. Quant à la diversité des races, nous avons des zones écologiques qui ont des espèces typiques. Prenons les vaches par exemple : A l’ouest du pays, on a ce qu’on appelle la Djéli, au nord les M’Bororo et les Azaouak (sortes de zébus). Puis vers l’est, nous avons les Kouri, avec leurs grandes cornes. Nous avons aussi des croisements de ces races. Dans la région de Gouré, on trouve des chameaux qui ne sont pas de la même couleur que ceux du Nord. Il existe au moins trois types de chameaux qui sont adaptés aux différentes zones écologiques dans lesquelles ils vivent. Le Niger a aussi une grande variété de chèvres et de moutons.

Quels sont les principaux problèmes auxquels vous devez faire face en tant qu’éleveur ?

Le problème majeur est l’accès à la terre : Maintenant que la notion de propriété individuelle a émergé, l’accès équitable aux ressources dont nous bénéficions auparavant est en train de disparaître. Autrefois, on pouvait mettre ses animaux dans les champs après la récolte, mais aujourd’hui les propriétaires refusent souvent de libérer leurs champs. Les nouvelles lois sont également source de problèmes. Notre pays est divisé en deux régions complémentaires d’un point de vue écologique : le Nord est la zone pastorale où montent tous les animaux en hiver, parce qu’ils y trouvent beaucoup d’herbe. Durant la saison chaude, le sol y devient désertique et les pasteurs descendent vers le Sud, c’est-à-dire vers les zones agricoles. Cependant une nouvelle législation de type occidental est petit à petit introduite au Niger et nous nous retrouvons maintenant avec deux systèmes qui sont fondés sur des logiques différentes : la loi traditionnelle, que presque tout le monde connaît, et la loi moderne. La communauté avait coutume de garantir une sorte d’équilibre entre agriculteurs et éleveurs, mais il faut désormais apporter une preuve de ses droits si on veut avoir accès à la terre ; or la plupart d’entre nous sont analphabètes. L’importance récemment donnée à la propriété individuelle fait qu’il est difficile pour les éleveurs d’avoir accès aux ressources naturelles. La plupart des ressources dont ont besoin les éleveurs appartiennent en effet à un petit nombre de personnes. La transhumance est de plus en plus difficile, parce que les terres qui se trouvent sur nos voies de passage ont été privatisées.

Aujourd’hui les éleveurs se sentent complètement démunis face aux désastres naturels comme la sécheresse. Auparavant, il existait des stratégies que nous pouvions adopter dans ces cas-là et qui nous permettaient de survivre. Ainsi quand une sécheresse était annoncée, on changeait d’itinéraire. Maintenant ce n’est plus possible, car les chemins sont barrés. Ce qu’on appelle des « projets de développement » ont été introduits : ils épuisent la terre, la rendant très fragile. Ils ont provoqué une véritable dégradation de notre environnement : les arbres ont disparu et nous perdons beaucoup de sol. Les chemins ne nous appartiennent plus et sont devenus dangereux. En effet, à tout moment, les troupeaux peuvent se trouver coincés, incapables de se déplacer, car toutes les terres sont privatisées. C’est une véritable catastrophe.

Est-ce que vous avez aussi à souffrir de la concurrence des produits importés ?

Oui, particulièrement avec le lait en poudre et la viande en conserve. Avant, nous vendions notre viande jusqu’en Côte d’ivoire, mais la concurrence des produits importés d’Europe se fait de plus en plus sentir. Même si notre viande est de meilleure qualité, la viande importée est moins chère et nous avons donc perdu des marchés.

Que pensez-vous du problème de l’exode rural ?

Les zones rurales s’appauvrissent et de plus en plus de jeunes vont donc vers les villes à la recherche de travail. Cependant, ils n’en trouvent pas souvent et se mettent à voler ou tombent dans la délinquance. C’est devenu un sérieux problème social. Tout autour de nos villes, les bidonvilles poussent comme des champignons. Même dans les centre-villes, on peut voir des centaines de vendeurs de rues qui tentent de gagner leur vie. Beaucoup de gens ont été obligés d’émigrer plus loin, vers la côte ou vers d’autres pays, parce qu’ils ne parviennent tout simplement pas à joindre les deux bouts.

Quelles mesures avez-vous prises pour défendre vos droits ?

Nous avons créé notre organisation, parce que nous nous sommes rendu compte qu’étant donné tous les défis que nous devions affronter, nous avions besoin de nous organiser nous-même pour défendre nos droits. Pour commencer, nous avons acquis une certaine reconnaissance publique : Aujourd’hui au Niger, il n’est plus possible de faire passer une loi concernant l’élevage sans nous consulter. Evidemment, cela ne signifie pas que nos vues soient toujours acceptées mais le fait d’être consultés veut dire que nous pouvons quelquefois faire changer le gouvernement d’avis. Nous en avons eu un bel exemple il y a trois ans : nous étions engagés dans le processus d’élaboration d’un code pastoral, dont nous espérions qu’il garantirait aux éleveurs l’accès aux ressources et qu’il leur fournirait surtout des outils juridiques pour se défendre eux-mêmes. On assistait à ce moment-là à une véritable frénésie de privatisation et nous risquions fort de perdre nos terres collectives. Cependant, en travaillant avec le gouvernement, nous sommes parvenus à faire reconnaître ces terres collectives légalement et à faire accepter l’idée que celles-ci étaient réservées aux éleveurs. Ce fut vraiment un grand pas en avant, mais la lutte continue car il reste de nombreuses batailles que nous n’avons pas encore gagnées. Notre bataille la plus importante est celle que nous avons engagée pour préserver notre droit à la transhumance. Le gouvernement en effet voudrait bien nous sédentariser et nous empêcher de nous déplacer. Nous travaillons avec d’autres associations pour convaincre le gouvernement de nous laisser poursuivre notre style de vie traditionnel qui est si bien adapté à notre écosystème. Mais la lutte sera dure.


* La transhumance est une migration saisonnière des troupeaux qui permet de répondre aux changements de temps. En règle générale, les pasteurs emmènent leurs bêtes en montagne en été et redescendent dans les vallées en hiver.

Author: Entretien avec Bouréima Dodo