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Des pasteurs mongols réclament leurs droits

by GRAIN | 25 Jan 2008

Dans le cadre du découpage du monde qui eut lieu après la seconde guerre mondiale, la Chine réussit à inclure dans sa sphère d’influence une région au Sud de la Mongolie qu’elle a appelée Mongolie intérieure. Quoique cette région soit aujourd’hui officiellement indépendante, elle est effectivement sous le contrôle chinois. Deux Mongols, Dorj Borjigin et Yangjain Tegusbagar, ont parlé à GRAIN des problèmes qu’ils rencontrent dans leur pays qu’ils appellent la Mongolie méridionale.

GRAIN, Dorj Borjigin et Yangjain Tegusbagar

Au cours des cinquante dernières années, la situation dans notre pays est allée de mal en pis. Avant que les Communistes ne s’emparent de la Chine, nous jouissions d’une certaine indépendance, mais la situation s’est ensuite détériorée. La période de la Révolution culturelle chinoise après 1966 fut terrible pour nous. Ce fut un réel massacre : la cible fut d’abord les intellectuels, puis les pasteurs et n’importe qui/tout le monde. Ce fut une sorte de purification ethnique. Selon les chiffres du gouvernement chinois, 370 000 Mongols furent emprisonnés et 16 222 tués, mais nous savons que les chiffres réels sont beaucoup, beaucoup plus élevés.

Depuis, de nombreux Chinois sont venus habiter notre région. Il ne reste plus que 4 millions de Mongols dans le pays, contre 18 millions de Chinois. Nous sommes devenus une petite minorité au sein de notre propre pays. Au moins les trois-quarts des Mongols mènent encore une vie de pasteurs nomades, ou pour être plus précis, semi-nomades, car il est devenu quasiment impossible de rester véritablement nomade. Autrefois, nous nous déplacions trois fois par an : nous allions de notre campement d’hiver vers notre campement de printemps, de là vers un campement d’automne, puis nous revenions au campement d’hiver. Pour beaucoup de communautés, le campement d’hiver était leur véritable domicile. Certains parmi les plus âgés y passaient d’ailleurs toute l’année.

C’était alors une belle vie. Les familles s’entraidaient. Nous mettions en pratique le concept d’el amak, ce qui signifie à peu près “une grande famille” et tout le monde se prêtait main-forte. Nous avions cinq sortes d’animaux : du bétail, des chèvres, des chevaux, des moutons et des chameaux qui paissaient en liberté. Si les animaux appartenant à une famille s’éloignaient un peu trop du troupeau et s’égaraient, une autre famille s’en occupait et finissait par les ramener à leur propriétaire. Personne n’aurait jamais volé un animal. Les limites des terres des différentes familles n’étaient pas marquées, mais cela ne nous posait aucun problème.

Aujourd’hui, tout cela est en train de changer. En apparence, on pourrait dire que les choses s’améliorent, mais en réalité, elles ne font qu’empirer. Depuis les années 1960, les Chinois se sont mis à cultiver nos pâturages de façon intensive. Ils ont envoyé des officiers de l’armée qui font partie de ce qu’ils appellent leur “armée de développement”. C’étaient principalement des officiers  de l’Armée de libération du peuple à la retraite. Ils ont labouré les zones humides et y ont planté du blé, du maïs, du riz, des légumes. Ils ont détruit les plus magnifiques de nos zones humides. Ainsi l’Ulgai, cette splendide zone humide située dans la ligue de Xilin Gol, a été quasiment détruite par les pratiques agricoles intensives des Chinois., Les compagnies minières se sont installées en même temps que les agriculteurs. Notre pays hélas est riche en ressources naturelles, charbon liquide, argent, cuivre et autres.

L’exploitation minière et l’agriculture intensive sont en train de ruiner notre terre, mais les Chinois nous tiennent pour responsables de cette dégradation. Ils prétendent que nous faisons du “surpâturage”. C’est intéressant, n’est-ce pas, de voir comment les gens parlent toujours de « surpâturage » mais jamais de “surcultivation”. Les Chinois imposent donc deux mesures qui nous handicapent grandement : La première est ce qu’on appelle “la politique de migration écologique”, selon laquelle nous devons être déplacés, puisque c’est notre système d’élevage nomade qui abîme la terre. Les Chinois assurent qu’ils vont gérer la terre de façon scientifique, et qu’une fois qu’elle sera remise en état, nous pourrons revenir. Ça a l’air d’une bonne solution et ç’est une façon de protéger l’écosystème. Mais en pratique, cela ne se passe jamais comme ça : Si la terre est assez fertile, les Chinois y plantent des cultures. Si elle ne convient pas à la culture, ils y plantent des arbres. Ils sont en train de faire de larges plantations qu’ils appellent des ceintures vertes. Mais quoiqu’il en soit, jamais nous n’avons le droit de revenir. La seconde mesure – qui est liée à la première -  est la décision, annoncée en 2006, que tous les pâturages doivent être clôturés. Depuis, les gens doivent payer de fortes amendes, si leurs animaux sont découverts paissant en liberté. Ces mesures sont appliquées de façon brutale par des policiers armés.

Mais ces politiques détruisent nos troupeaux. Nous avions déjà eu à souffrir avant la décision sur les enclos. Dans des conditions confinées, nos chevaux n’ont plus suffisamment d’exercice ; ils ont besoin d’espace et de liberté pour pouvoir galoper, mais les Chinois ne comprennent pas cela : pour eux, tout animal en liberté n’appartient à personne et peut donc être attrapé et vendu. On nous appelle, nous les Mongols, “le peuple à cheval ”, mais aujourd’hui nos chevaux ont presque disparu. Et ce ne sont pas juste les chevaux; la plupart de nos animaux disparaissent.  Il y a longtemps, en 1940, les Japonais avaient commencé à introduire de nouvelles espèces, mais pas de façon si agressive. Les gens n’aimaient pas les nouvelles espèces et par conséquent elles ne se sont pas répandues. Les Chinois sont différents. Ils amènent des moutons du Xinjiang (région du Nord-Ouest de la Chine) ou des Mermos de Russie. Nous n’aimons pas ces espèces. Nos espèces locales ont de longues queues et beaucoup de graisse de façon à pouvoir survivre aux durs hivers. Les nouvelles espèces que nous appelons « queues de chien » ne sont pas adaptées à notre environnement. Une grande partie des agneaux meurent très tôt après la naissance au printemps, parce qu’ils ne sont pas assez  robustes. Ils attrapent aussi plus de maladies. Mais ce n’est pas simplement  ça : même si ces espèces étaient aussi bonnes que les nôtres, nous ne les voudrions pas; nous voulons nos propres espèces. Mais les Chinois imposent leurs nouvelles espèces et nous forcent à utiliser l’insémination artificielle. Nos éleveurs refusent tout bonnement de le faire et les Chinois obligent nos femmes à le faire.

Ce que nous défendons, ce sont nos droits en tant que pasteurs. Et le plus important est l’accès à la terre. C’est ce dont nous avons besoin plus que tout. Sinon, nous n’avons plus qu’à émigrer vers les villes. Nous sommes alors doublement perdants : Nous perdons notre terre et nous n’arrivons jamais à nous en sortir quand nous vivons en ville. Nous n’avons pas les relations nécessaires ni les connaissances qui font qu’on peut vivre en ville. Nous finissons à la rue ou comme manœuvres sur des chantiers de construction. Est-ce qu’on peut appeler cela une vie ? Nous ne sommes pas contre le développement; nous voulons de l’eau propre, des transports modernes, mais nous voulons pouvoir fixer les conditions nous-mêmes : nous voulons améliorer nos vies, pas les détruire.

Author: GRAIN