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Les plantes cultivées pour l'énergie alternative et la prochaine génération d'agrocarburants

by GRAIN | 22 Oct 2007

GRAIN

Il n'y a pas de mystère dans le coup de foudre de l'industrie biotech pour les agrocarburants. Davantage d'agrocarburants se traduit par une production plus importante de soja et de maïs hybride – ce qui signifie davantage de ventes de semences GM et de pesticides. Robert Fraley, le vice-président de Monsanto et co-inventeur de ses cultures Roundup Ready, a déclaré avec jubilation en public lors d'une récente exposition d'agrobusiness en Argentine que la croissance des agrocarburants était "inimaginable en termes de ce que cela allait signifier en surface pour le maïs et le soja". [1]
 
Il n'y a pas longtemps le principal message de Fraley concernait  la manière dont les modifications génétiques pourraient remplir les ventres des pays pauvres; maintenant cela concerne la manière dont les OGM vont alimenter les véhicules dans le monde. Il semble que ce soit juste une question d'adaptation du message à la dernière préoccupation à la mode. De toutes façons, comme Fraley l'a fait remarqué, Monsanto et Cargill travaillent sur de nouvelles variétés de maïs dans leur association d'entreprises (joint venture) , Renessen, que Cargill peut simultanément transformer à la fois en éthanol et en alimentation animale, résolvant ainsi, au moins pour Cargill, le conflit entre ses marchés de carburants et de produits alimentaires.

La sélection du maïs par Renessen en dit beaucoup sur la manière dont des entreprises comme Monsanto sont prêts à tirer profit de la ruée vers les agrocarburants. Les agrocarburants ouvrent de nouveaux marchés pour les cultures GM, que ce soit le maïs, le soja ou le colza, qui étaient jusqu'à présent limités à l'Europe, le Japon et ailleurs par les obstacles érigés par des réglementations  fondées sur les inquiétudes concernant les effets des OGM sur la santé humaine. Mais le maïs GM de Renessen est destiné à deux débouchés, les agrocarburants et l'alimentation animale, qui ont le niveau de réglementation le plus bas. C'est un arrangement parfait pour les deux compagnies: Cargill contourne les obstacles au commerce et Monsanto  assure sa position dans l'empire du plus gros négociant en céréales du monde. Des arrangements similaires surgissent ailleurs. En 2006, DuPont et Bunge ont annoncé qu'ils élargissaient le cadre de leur joint venture vers la recherche-développement sur le soja, sous le nom de Solae, pour y inclure les agrocarburants.[2]

Les intérêts des grosses entreprises biotech pour les agrocarburants ne s'arrêtent cependant pas aux principales cultures GM. Ces compagnies sont aussi au centre de la recherche de matières premières alternatives et de l'insaisissable prochaine génération d'éthanol cellulosique, où les mêmes scénarios de contrôle par des monopoles se déroulent. (voir l'article sur le jatropha).

Monsanto est un acteur clé de la recherche-développement pour le miscanthus et la switchgrass, deux des matières premières les plus prometteuses pour le futur marché de l'éthanol cellulosique. Début 2007, Mendel Biotechnology, qui est partiellement détenue par  Monsanto, a acheté la compagnie basée en Allemagne Tinplant Biotechnik, faisant ainsi l'acquisition de ses cultivars hybrides de miscanthus et de la totalité de sa collection de ressources génétiques de miscanthus, la plus importante du monde, avec plus de 1000 échantillons. Mendel mène aussi des opérations de sélection de miscanthus en Chine (un centre de diversité du miscanthus) et aux Etats-Unis, où il travaille sur des variétés GM à haut rendement, avec une possibilité de collaboration avec le nouvel Institut des Biosciences de l'Energie de BP à l'université de Berkeley.[3] Le 13 juin 2007, BP a annoncé qu'elle finançait Mendel pour mener un programme de recherche sur cinq ans sur les matières premières des agrocarburants et qu'elle avait acheté des parts dans la compagnie, ce qui lui donne un siège à côté de Monsanto au conseil d'administration de Mendel.[4]

Géants du pétrole : énormes plantations d'arbres

Dans l'éventualité où les méthodes d'agrocarburants cellulosique arriveraient sur le marché, les plantations d'eucalyptus et d'autres arbres deviendraient des sources importantes de matières premières. Les géants du pétrole sont déjà en train d'assurer leurs positions dans cette nouvelle configuration. Chevron, par exemple, a un partenariat avec Weyerhaeuser, l'une des plus grosses compagnies forestières du monde, avec des centaines de milliers d'hectares de plantations d'eucalyptus en Uruguay et au Brésil. Shell Oil est en train de développer de l'éthanol cellulosique  à partir de copeaux de bois en partenariat avec Iogen Corp et Choren Industries en Allemagne, même si, entre 2000 et 2004, il a donné un coup de frein  à son programme biomasse et vendu ses filiales forestières en Afrique et en Amérique du Sud.

L’engagement de Monsanto dans la switchgrass s'effectue via son partenariat avec une autre compagnie de biotech des Etats-Unis, Ceres, qui est aussi liée à l'Institut des Biosciences de l'énergie de BP.[5] Ceres a déclaré être en train d'"améliorer la switchgrass pour en faire une plante cultivée par la sélection de types améliorés. Mais, plus important, qu'elle apportera les gènes, les outils et les procédures dont elle est propriétaire pour accroître les améliorations plus rapidement et fournira à la plante les attributs idéalement adaptés pour qu'elle soit cultivée sur de grandes superficies pour produire des rendements toujours plus hauts". Ceres déclare posséder la plus grande collection de gènes de plantes entièrement séquencés, avec des brevets sur plus de 75000 gènes.

Tableau 4: Compagnies développant les enzymes des agrocarburants cellulosiques et leurs partenaires

Diversa/Celunol

Syngenta, Dupont/Tate&Lyle, Khosla Ventures

Iogen

Shell, Goldman Sachs

Genencor (Danisco)

Tembec, Mascoma/Kohsla Ventures, Cargill, Dow, Royal Nedalco

Novozymes

DuPont, Broin, COFCO. China Resources Alcohol Corporation

Dyadic

Abengoa, Royal Nedalco

Les compagnies de semences sont aussi en train de manœuvrer pour s'assurer que les plantes actuellement cultivées pour les agrocarburants  continuent à servir de matières premières quand les systèmes de transformation évoluent. Cana Vialis, la plus grosse compagnie de sélection de canne à sucre, et la compagnie biotech de canne à sucre Allelyx, toutes deux détenues par la conglomérat brésilien Votorantim, travaillent sur de nouvelles variétés GM  de canne à sucre pour des compagnies d'éthanol comme Cosan, l'une de leurs entreprises partenaires. C'est la même chose pour Monsanto. En décembre 2006, un responsable de Monsanto a indiqué au journal brésilien Valor Econômico que la compagnie menait des études sur de nouvelles variétés de canne à sucre pour le marché brésilien en partenariat avec une autre compagnie dont le nom n'a pas été divulgué.[6] Quelques mois plus tard, Monsanto a révélé que cette compagnie était Votorantim et qu'ils avaient l'intention de commercialiser les variétés de canne à sucre Roundup Ready au Brésil d'ici 2009 (voir encadré sur le conglomérat Ometto).[7] Syngenta, pendant ce temps, s'est récemment assuré l'accès à des variétés de canne à sucre non comestibles  et contenant de très grandes quantités de cellulose, développées par la firme biotech Celunol quand Celunol a été rachetée par Diversa, une compagnie de bioprospection - d'enzymes et de microbes – contrôlée par Syngenta.

De son côté, DuPont, la deuxième plus grande compagnie semencière du monde, développe ce qu'i appelle "une bioraffinerie de maïs intégrée", avec des financements   du département étasunien à l'énergie et en co-opération avec Diversa, Tate & Lyle, John Deere et Broin, le plus gros producteur d'éthanol des Etats-Unis. Il utilisera probablement des variétés de maïs à haute teneur en amidon développées par DuPont, et un micro-organisme qui peut transformer la tige du maïs en éthanol que Diversa a isolé du sucre de la sève des agaves tropicaux. En aval, la bioraffinerie de DuPont devrait s'introduire dans la production et la commercialisation  de biobutanol de l'entreprise commune qu'elle a avec BP et British Sugars.

Syngenta, qui a récemment fusionné ses affaires étasuniennes de semences avec celles de DuPont, travaille aussi avec Diversa à développer un maïs pour la production d'un agrocarburant cellulosique.[8]  En 2008, il espère lancer une variété GM de maïs qui produira un enzyme développé par Diversa qui transformera l'amidon en sucre pour l'éthanol. L'idée sous-jacente à cette variété de maïs GM est de faire baisser le coût des enzymes liquides utilisés pour la production de l'éthanol cellulosique – le point de blocage critique dans la fabrication de cette prochaine génération d'agrocarburants économiquement viables.[9]

C'est précisément là, au niveau des enzymes, que la rivalité des entreprises pour le développement de la prochaine génération d'agrocarburants est la plus intense. La recherche-développement de ces enzymes est aux mains de quelques compagnies biotech seulement, chacune d'entre elles faisant déjà partie de groupes d'entreprises ou d'"équipes" essayant de développer des systèmes totalement intégrés pour la production d'éthanol cellulosique.[10]
 


Réferences

1 Présentation à l' Agro-Expo, Junin, Argentine, 15 mars 2007.

2 http://tinyurl.com/2j4bth

3 James Zhang, “Feedstock improvement: A biotechnology business opportunity perspective”, 26 April 2007, http://tinyurl.com/2mm2dl
Richard Brenneman, “Corporate academic web entangles UC–BP proposal”, Berkeley Daily Planet, 23 mars 2007. http://tinyurl.com/2vgs6v

4 Communiqué de presse de la compagnie. http://tinyurl.com/36ff47

5 Emily Heaton et Frank Dohleman, “Practical experiences with miscanthus and switchgrass in Illinois”, 26 avril 2007. http://tinyurl.com/39zj6r

6 “Monsanto studies entry into Brazil transgenic cane market”, Dow Jones, 7 décembre 2006.
http://tinyurl.com/2pp6g8

7 MST, “Brasil: Votorantim e Monsanto produzirão cana transgênica”, Brasil, 30 mai 2007.
http://tinyurl.com/3845hd

8 En avril 2006, Syngenta et DupPont ont annoncé a formation d'une joint venture à parts égales, Greenleaf Genetics. Voir Andrew pollack, "Dupont and Syngenta join in modified seed venture", New York Times, 11 avril 2006.

9 Le Centre africain de biosécurité a fait paraître une analyse critique sur cette variété de maïs, qui a contribué à ce que cette variété soit refusée par les réglementations sud-africaines. Voir http://tinyurl.com/2u2ehh

10 http://tinyurl.com/338mmo

Author: GRAIN
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  • [1] http://tinyurl.com/2j4bth
  • [2] http://tinyurl.com/2mm2dl
  • [3] http://tinyurl.com/2vgs6v
  • [4] http://tinyurl.com/36ff47
  • [5] http://tinyurl.com/39zj6r
  • [6] http://tinyurl.com/2pp6g8
  • [7] http://tinyurl.com/3845hd
  • [8] http://tinyurl.com/2u2ehh
  • [9] http://tinyurl.com/338mmo