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Le pouvoir des entreprises: les agrocarburants et l'expansion de l'agrobusiness

by GRAIN | 26 Oct 2007

GRAIN

La vague des investissements dans les agrocarburants est en train de changer la structure même de l’agrobusiness. De nouveaux et puissants acteurs convergent vers le secteur. Les multinationales de cosmétiques vendent du biodiesel. Les grosses compagnies pétrolières raflent toutes les plantations. Les spéculateurs de Wall street passent des contrats avec les barons féodaux du sucre. Et tout cet argent qui circule autour du monde est en train de réorganiser et de renforcer les structures transnationales, unissant la classe la plus brutale des propriétaires terriens des pays du Sud aux multinationales les plus puissantes des pays du Nord.

Cet article se penche sur les investissements et le contrôle de plus en plus importants des multinationales sur les agrocarburants.  Il donne une vision d’ensemble sur ceux qui investissent dans les agrocarburants et sur la destination de l’argent, mettant en lumière la manière dont le développement de ce carburant alternatif, promu pour ses avantages environnementaux et les bénéfices économiques qu’il apporte aux agriculteurs, est déjà géré par les multinationales et assimilé intégré à leurs stratégies de profit et à leurs plans d’expansion.

D’où vient l’argent 

Est-ce une tendance, une bulle ou une reconfiguration structurelle ? C’est difficile à dire dès à présent à ce stade. La meilleure manière de caractériser l'afflux d'investissements dans les agrocarburants au cours des dernières années est sans doute de parler de déluge. Il ne se passe pas un jour sans qu’on parle de la création quelque part d’une nouvelle raffinerie d’agrocarburant de plusieurs millions de dollars. Mais qui investit dans tous ces nouveaux chantiers ?

Comme on peut s’y attendre, les grosses entreprises de l’agrobusiness sont parmi les plus gros commanditaires. Les compagnies de produits agricoles  comme Archer Daniels Midland (ADM), Noble, et Cargill investissent abondamment. Il en va de même pour ces entreprises qui se spécialisent dans le commerce du sucre, de l’huile de palme,et, dans une moindre mesure, dans la sylviculture. 

Ensuite vient l’argent du secteur de l’énergie. Les grosses compagnies pétrolières comme Petroleum (BP) et Mitsui font des investissements substantiels. C’est la même chose pour ces compagnies  plus directement liées aux programmes agrocarburants de leurs gouvernements, comme Petrobrás du Brésil et PetroChina, et de plus petites compagnies comme PT Medco d’Indonésie et la Philippine National Oil Company.

Tableau 1. Multinationales investissant / dans les agrocarburants.

Agrobusiness

ADM, Cargill, China National Cereals, Oils and Foodstuffs Import & Export Corporation, Noble Group, DuPont, Syngenta, ConAgra, Bunge, Itochu, Marubeni, Louis Dreyfus

Sucre

British Sugar, Tate & Lyle, Tereos, Sucden, Cosan, AlcoGroup, EDF & Man, Bajaj Hindusthan, Royal Nedalco

Huile de palme

IOI, Peter Cremer, Wilmar

Sylviculture

Weyerhauser, Tembec

Pétrole

British Petroleum, Eni, Shell, Mitsui, Mitsubishi, Repsol, Chevron, Titan, Lukoil, Petrobrás, Total, PetroChina, Bharat Petroleum, PT Medco, Gulf Oil

Finance

Rabobank, Barclays, Société Générale, Morgan Stanley, Kleiner Perkins Caufield & Byers, Goldman Sachs, Carlyle Group, Kohsla Ventures, George Soros

La source d’investissements sans doute la plus importante provient toutefois du monde de la finance. Un certain nombre des plus importants établissements du capital globalisé sont entrés dans le jeu des agrocarburants. Les financements proviennent de banques comme Rabobank, Barclays et la Société Générale, et de fonds d'actions comme Morgan Stanley et Goldman Sachs, qui sont spécialisés dans les rachats d’entreprises et peuvent rapidement transférer des milliards de dollars d’un endroit du monde à l'autre.

Et il y a aussi les milliardaires : George Soros, le gourou des fonds spéculatifs, possède des opérations d’agrobusinness produisant de l’éthanol au Brésil ;  Bill Gates possède l’un des plus gros producteurs d’éthanol des Etats-Unis ; Vinod Khosla, le célèbre fondateur de Google, est un investisseur important dans toute une série de projets commerciaux de technologie et de production d’agrocarburants ; et  Sir Richard Branson, propiétaire du groupe Virgin et maintenant de Virgin Fuels, possède un porte-feuille d’actions de plus en plus gros dans les investissements dans les agrocarburants. Ces géants de la globalisation ne font pas qu’apporter leurs énormes fortunes dans la ruée vers l’or que sont les agrocarburants, ils apportent aussi tout leur poids politique.

Bien entendu, derrière tout ça, amortissant les risques pour les plus grands « spéculateurs » du monde, se trouvent les gouvernements et  les organismes de prêts internationaux, comme la Banque mondiale et les banques régionales de développement. Les milliards qu’ils fournissent par des subventions directes, des exonérations de taxes, des routes construites par les Etats, des mécanismes de commerce du carbone et des prêts à taux bonifié font que les agrocarburants sont économiquement viables.

Le groupe Carlyle est-il une entreprise / multinationale d’agrocarburants ?

Le groupe Carlyle est un fonds d’actions de 55 milliards de dollars US très bien placé à Washington qui a réalisé un certain nombre d’acquisitions liées aux agrocarburants ces dernières années par l’intermédiaire de ses groupes d'énergies renouvelables.  Aujourd’hui, son portefeuille comprend l’un des plus importants groupes produisant de l’éthanol à partir du sucre de cane du Brésil (voir l’encadré sur le conglomérat Crystalsev) et plusieurs plantations d’agrocarburants aux Etats-Unis et en Europe, qu’il gère avec les principales entreprises s’occupant d’agrobusiness comme Bunge et ConAgra. En Janvier 2007, il a rejoint Goldman Sachs and Richard Morgan, l’un des groupes financiers les plus importants de soutien au Président George Bush, en absorbant l’entreprise de distribution d’énergie Kinder Morgan, qui traite à peu près 30% de l’éthanol vendu aux Etats-Unis.

Où va l’argent

« C’est de la culture des plantes que va sortir le profit », Nancy DeVore, Bunge Global Agribusiness.

Il y a certainement un lien entre la ruée actuelle vers les agrocarburants et la hausse brutale des prix du pétrole qui a commencé il y a deux ans.  Mais une augmentation du prix du pétrole peut difficilement produire le type d'investissements à long terme que les gros acteurs mettent actuellement dans les agrocarburants. Le prix du pétrole, même si les réserves mondiales diminuent, est toujours déterminé par la spéculation, qui n'est que très vaguement corrélée à l’offre et à la demande. Le prix du pétrole peut descendre aussi vite qu'il peut monter, entraînant les producteurs d'agrocarburants dans sa chute. C'est précisément ce qui est arrivé à l'industrie de l'éthanol dans les années 80.

La différence avec le marché des agrocarburants aujourd’hui n’est pas tant le prix du pétrole que le degré de soutien de la part du gouvernement. Pour des questions d’ordre politique, certainement liées à l’intérêt croissant des multinationales pour les énergies « renouvelables », les gouvernements des principaux pays consommateurs de pétrole ont rendu obligatoire - ou sont en train de le faire – que le pétrole destiné au transport contienne un pourcentage minimum d’éthanol et de biodiesel. Ensemble, les subventions et cette obligation reviennent à fournir un vaste marché captif aux entreprises d’agrocarburants.

Mais même comme ça, la production d’agrocarburants reste une activité dont la viabilité est encore fragile, car les profits dépendent toujours d’une autre variable importante : le prix de la matière première, la matière végétale utilisée pour produire l’agrocarburant.

Le coût de la matière première peut faire réussir ou échouer une opération d’agrocarburants, et il n’est pas facile pour un producteur d'agrocarburants d’en contrôler le prix. C’est parce que l’industrie des agrocarburants est toujours en concurrence avec d’autres marchés, en particulier pour l’alimentation, qui dépend des mêmes cultures ou des mêmes terres. Cependant, le réel succès des agrocarburants – manifeste dans leur utilisation croissante – fait remonter les prix des matières premières et diminuer les approvisionnements. Et la hausse des prix peut être fatale car les compagnies d’agrocarburants ont peu de possibilités de répercuter les coûts en amont.

La manière la plus sûre de sortir de ce dilemme pour les entreprises d’agrocarburants est de contrôler la production et la fourniture de leurs propres matières premières. C'est la raison pour laquelle la plupart des entreprises d’agrocarburants se créent actuellement avec des investissements simultanés dans la production des plantes. La tendance est clairement orientée vers la formation de réseaux transnationaux complètement intégrés, réunissant toutes les activités, des semences au transport.

Et là, les multinationales de l’agrobusiness avec leurs chaînes mondiales de marchandises agricoles déjà bien développées ont l’avantage sur leurs concurrents. Dans un avenir prévisible, les matières premières produites en quantités suffisantes pour des opérations d’agrocarburants à grande échelle vont être les cultures - soja, maïs, huile de palme et sucre - dont la production et la commercialisation sont dominées par un petit nombre de multinationales. Il n’est pas surprenant,  alors, que la plupart des sommes investies en masse dans les agrocarburants proviennent où sont concentrés vers ces multinationales. Les agrocarburants fournissent ainsi un double bonus aux grosses multinationales des agrocarburants : elles réalisent des profits non seulement dans la production et la vente des agrocarburants mais aussi avec le boom mondial des marchandises que cette nouvelle demande contribue à générer ( voir «  Les connections du biodiesel tiré de l’huile de palme »).

Tableau 2. Le contrôle des entreprises sur les matières premières clés des agrocarburants

 

Principales multinationales

Contrôle

Négociants de maïs

(Etats-Unis)

Cargill, ADM

 

Les 3 premières entreprises contrôlent 80% des exportations de maïs des Etats-Unis

 

Semences de maïs

(Etats-Unis)

Monsanto, DuPont, Syngenta

Monsanto controls 41% of global market

Monsanto contrôle 41% du marché mondial

Commerce du sucre (Brésil)

Cargill, Louis Dreyfus, Cosan/Tereos/Sucden

Cargill est le plus gros expéditeur de sucre brut du Brésil

Commerce d'huile de palme (mondial)

Wilmar, IOI, Synergy Drive, Cargill

Les multinationales possèdent 60% de  la superficie occupée par les palmiers à huile en Malaisie; les propriétaires locaux en possèdent seulement 9%.

Commerce du soja (mondial)

Bunge, ADM, Cargill, Dreyfus

3 compagnies contrôlent 80% du broyage européen

5 compagnies contrôlent 80% de la production brésilienne

Semences de soja

(mondial)

Monsanto, DuPont

Monsanto contrôle 25% du marché mondial

Sources: ETC Group, WWF, UK Food Group, Cargill.

Il y a cependant des limites dans l'intensité et la rapidité avec lesquelles les gros de l'agrobusiness pourront investir dans les agrocarburants. Cargill, par exemple, a clairement affiché sa préférence à vendre dans les canaux alimentaires et d'aliments pour animaux quand la pression a commencé à s'intensifier. Pourquoi se lier par la vente du soja aux producteurs d'agrocarburants quand vous pouvez faire plus de profits en le transformant en huile de cuisine? [1] ADM peut être le plus gros producteur d'éthanol du monde, sa principale ressource n'en demeure pas moins la transformation du maïs en aliments pour les animaux ou en sirop de maïs à haute teneur en fructose pour des compagnies comme Coca-Cola et Pepsi, et il n'aimerait pas voir des prix trop élevés pour le maïs, car cela compromettrait ces marchés. [2] Ces grosses entreprises de l'agrobusiness sont satisfaites de vendre des agrocarburants pour augmenter le volume d'affaires général, mais seulement si c'est sous leur coordination et leur contrôle attentifs, de manière à ne pas perdre leur chère flexibilité et leurs circuits de profits traditionnels. [3]

En conséquence, l'argent en surplus qui circule dans les agrocarburants et qui n'est pas absorbé par le gros agrobusiness est transféré vers la construction de réseaux de marchandises transnationaux alternatifs  qui ont leur propre production de matières premières et leurs chaînes d'approvisionnement. Cet afflux d'investissements spéculatifs génère une vague de nouvelles alliances et de regroupements d'affaires, rassemblant des compagnies financières, des transporteurs, des négociants et des producteurs. Dans certains cas des fonds d'investissements très importants, comme le groupe Carlyle, montent même leurs propres réseaux,  intégrant complètement agrobusiness et énergie (voir l'encadré: "Wall street à la ferme").

D'autres compagnies contournent les chaînes de matières premières déjà existantes en lançant une production dans des zones géographiques où l'agrobusiness est moins présent et où les coûts de productions sont faibles. Plusieurs compagnies chinoises ont conclu des accords avec les Philippines et l'Indonésie début 2007 pour convertir dans chacun des pays 1 million  d'hectares à la production d'agrocarburants pour l'exportation. [4] Les producteurs d'éthanol brésiliens sont en train d'étendre la production de canne à sucre au Paraguay voisin, où les coûts de production sont estimés encore plus bas qu'au Brésil. De même, l'entreprise Mapple, une firme des Etats-Unis produisant de l'énergie, installe une plantation de sucre de canne et de plantes à éthanol au Pérou pour tirer partie des faibles coûts de production de ce pays et des avantages pour accéder aux exportations vers les Etats-Unis. [5]

Une autre manière d'éviter les problèmes d'approvisionnement passe par la production des matières premières qui sont contrôlées de moins près par le gros agrobusiness. A la fois BP et ConocoPhilips ont conclu des accords avec les principaux transformateurs de viande pour l'alimentation des animaux de boucherie pour produire du biodiesel. [6] BP, avec plusieurs autres compagnies, développe aussi le jatropha comme matière première, pendant que les entreprises chinoises et sud-coréennes  sont occupées à conclure des affaires au Nigeria et en Indonésia pour une production de colza à grande échelle.

Wall Street à la ferme

George Soros

George Soros a acheté la compagnie argentine Pecom Agribusiness en 2002, ce qui lui a apporté 100 000 hectares de terre en Argentine pour l'élevage de bœufs de boucherie et de vaches laitières, et la production de soja, de maïs, de blé, de riz, et de tournesol. [1] Puis, en 2004, la compagnie Soros, désormais appelée Adenco, s'est étendue au Brésil, en achetant 27000 hectares de terres dans les états de Tocantins et de Bahia pour la production de coton et de café. En 2006, Adenco a conclu un partenariat avec la famille Vieira du Brésil, un clan de cultivateurs de café de l'état du Minas Gerais, pour créer un moulin / une fabrique d'une capacité de production d'un million de tonnes de sucre de canne par an. La famille Vieira est maintenant actionnaire d'Adenco et gère les opérations brésiliennes du groupe. Le groupe continue de s'étendre, et il est prévu que, bientôt, ses quatre usines de transformation de sucre du Brésil produisent 12 millions de tonnes de sucre de canne, dont la majeure partie sera transformée en éthanol.  En attendant, aux Etats-Unis, Soros a annoncé que sa compagnie construisait une usine d'éthanol à base de maïs, qui transformera 50 millions de tonnes de maïs, récoltés sur une superficie de 50 000  hectares, et que des installations similaires sont à l'étude pour l'Argentine.

Goldman Sachs:

Goldman Sachs, l'une des plus grosses banques d'investissements au niveau mondial, ne gère pas seulement le financement d'un grand nombre des principales entreprises d’agrocarburants, mais c’est aussi l’un des principaux investisseurs dans l’énergie « renouvelable », ayant déjà investi plus d' un milliard de dollars, en majorité dans les agrocarburants. [2] Il partage la propriété de Iogen, qui a développé l’éthanol cellulosique, ainsi que les compagnies de distribution d'énergie Kinder Morgan et Green Earth Fuels, qui travaillent ensemble sur une usine et un terminal de stockage de 325 millions de litres (86 millions de gallons) de biodiesel  au Texas qui peut traiter 8 millions de barils de biodiesel. Goldman Sachs s'est encore plus directement engagé dans l'agrobusiness en devenant copropriétaire en 2006 des deux plus grosses entreprises de viande de Chine, ce qui fait de la banque d'investissement chinoise le plus gros investisseur dans ce secteur. [3]

1- Fabiane Stefano et Lívia Andrade, “George Soros ataca no campo”, Dinheiro rural, Octobre 2006, http://tinyurl.com/365e4z (aussi traduit en anglais par Ethablog), http://tinyurl.com/2ww5wb

2- Le 2ème directeur général de British Petroleum,Lord Brown of  Madingley, a siégé au Conseil d'administration de Goldman Sachs à partir de 1991. En 2007, il s'est retiré de ses deux postes, suites à un procès retentissant provoqué par les allégations de son ex-amant. Voir http://tinyurl.com/33jkpc

3- Dominique Patton, “Foreign equity group wins bid for 3 China’s leading meat processor”, MeatProcess.com, 16 May 2006.

http://tinyurl.com/2v9zg6

Du côté recherche-développement cependant, la majorité des financements vont à l'éthanol cellulosique, qui serait la prochaine génération d'agrocarburants. Nombreux sont ceux qui, dans l'industrie des agrocarburants, pensent que des méthodes économiquement viables vont bientôt être mises en œuvre pour transformer la matière cellulosique des plantes en éthanol, ce qui ouvrira la voie à une utilisation à grande échelle de cultures comme la graminée 'switchgrass' et les arbres pour la production d'agrocarburants. Ou encore cela permettra  l'utilisation  de la totalité de la plante d' espèces déjà utilisées pour les agrocarburants, comme la canne à sucre et le maïs,  au lieu de seulement utiliser le jus extrait ou les épis, comme c’est le cas actuellement. Ceux qui développent et brevètent ces technologies à partir de la cellulose gagneront bien sûr une influence accrue dans la chaîne d'approvisionnement en agrocarburants, et il n'est donc pas surprenant que les gros pétroliers soient en train de concentrer stratégiquement leurs investissements dans ce secteur ni que les compagnies de biotechnologies comme Monsanto soient déjà en train de s'assurer des monopoles sur les semences et les gènes des plantes cultivées porteuses de la prochaine génération, comme le jatropha ou le miscanthus. Déjà, seules quelques compagnies, avec de gros porte-feuilles de brevets et de solides alliances avec les principales entreprises d'agrocarburants, dominent la recherche-développement sur les enzymes nécessaires à la fabrication d'un éthanol cellulosique qui a des chances de réussir (voir "Les conséquences du contrôle des entreprises").

Vents politiques

Bien évidemment, les agrocarburants ne concernent pas seulement les milieux d'affaires. C'est une question hautement politique, et les entreprises qui en contrôlent la production façonnent et suivent tout à la fois les changements des courants politiques. Bien qu'il existe une euphorie générale pour les agrocarburants chez la plupart des gouvernements, les politiques nationales sont influencées par les différentes dynamiques existant au sein des lobbies des affaires, par les questions géopolitiques et par les politiques commerciales. Les gouvernements et les entreprises en Chine, en Corée du Sud et au Japon cherchent d'autres pays pour la production et l'approvisionnement en matières premières. Le Brésil veut approvisionner le monde avec à la fois le carburant et les technologies de l'éthanol, et a négocié à cet effet des offres groupées comprenant les deux avec des pays dans chaque continent. Les Etats-Unis et l'Europe voient dans les agrocarburants la réponse à tous les problèmes, du changement climatique aux crises agricoles et aux problèmes avec les états "voyous" riches en pétrole. Par conséquent, des contrats d'agrocarburants sont conclus partout,  déterminant les lieux où les agrocarburants sont produits, par qui et pour qui et, peut-être plus important, comment ils sont commercialisés.  Et cela n'apparaît nulle part de manière aussi apparente que dans le développement du marché mondial de l'éthanol de canne à sucre (voir "Les connections de l'éthanol de canne à sucre")

De l'agrobusiness vert? Ne soyez pas dupes

L'agriculture utilisée pour la production d'énergie n'est pas un phénomène nouveau. La plupart des fermes ont toujours produit l'énergie que les familles et les animaux utilisent pour cultiver la terre. La différence avec les agrocarburants cependant est qu'ils impliquent que l'énergie produite par l'agriculture devienne une marchandise qui, comme telle, est totalement intégrée aux circuits de l'agrobusiness et de la finance transnationaux. La production d'agrocarburants par conséquent, suit les diktats des dirigeants financiers mondiaux, des chefs des  banques d'investissement ou des entreprises d'agrobusiness, qui sont à la tête d'énormes concentrations de richesses et qui, dans cette ère de globalisation néo-libérale, peuvent la conduire là où elle génèrera le plus de profits.

Grâce aux engagements fermes pris à long terme par les gouvernements, il est désormais bien plus certain que les agrocarburants vont rapporter. D'importants financements y affluent donc, encourageant l'agrobusiness et son modèle d'exportation de produits agricoles à avancer plus profondément et rapidement que jamais auparavant dans  sa prise du pouvoir du monde agricole.

GRAPHIQUE: Vente des semences de maïs et des biotechnologies dans le monde (en millions de dollars)

Une des constantes claires de cet investissement dans les agrocarburants est que l'argent va de plus en plus dans la construction de réseaux d'agrocarburants complètement intégrés, comprenant la production, le transport, la transformation et la distribution. Il afflue aussi dans quelques centres de productions à faible coût, en particulier au Brésil pour la canne à sucre, aux Etats-Unis pour le maïs et en Indonésie pour le palmier à huile, même si des sommes substantielles vont aussi dans des pays qui s'engagent par des accords spéciaux ou qui ont un accès commercial de faveur aux Etats-Unis, au Japon ou dans l'Union européenne. La production et le contrôle de l'approvisionnement en matières premières sont essentiels, et presque tous les nouveaux programmes d'agrocarburants arrivent maintenant avec des plans de plantations de haute technologie ou concluent des accords de culture, souvent gérés par l'agrobusiness local et souvent sur des terres servant à la production alimentaire ou sur des pâturages et des forêts communaux.

Les programmes d'agrocarburants génèrent ainsi de nouvelles alliances ou renforcent celles qui existent entre les producteurs locaux et les fournisseurs de matières premières et les entreprises étrangères. Habituellement, les investisseurs étrangers constituent des entreprises communes avec des compagnies contrôlées par les gros propriétaires terriens et les familles politiquement puissantes, confiant la gestion du côté production de l'affaire à ces familles. Les agrocarburants approfondissent ainsi les relations entre le capital transnational et les élites terriennes locales, avec des conséquences importantes sur les luttes pour la terre et la production alimentaire locale.

"Nous essayons de faire en sorte que les voitures soient alimentées avec du pain et les gens avec du pétrole"

Ce réseau de production mondiale et de circuits commerciaux qui se développe pour l'extraction et l'exportation des agrocarburants va devenir avec le temps de plus en plus fermement contrôlé par les entreprises. La technologie de la prochaine génération de cultures de biocarburants est entre les mains d’un petit nombre de compagnies et de leurs partenaires commerciaux, qui se serviront des brevets et autres droits de monopole pour bloquer les concurrents et contrôler le marché. En outre, les entreprises commencent déjà à se tourner vers des marques et des standards afin de consolider leurs parts de marché. [7]

Rien de tout ceci n'a à voir avec la prévention pour le changement climatique ni même avec la diminution de la dépendance vis à vis de l'étranger pour le pétrole, comme le gouvernement américain  aime à le proclamer.  Les résultats financiers montrent que les agrocarburants sont une nouvelle façon pour les entreprises, les spéculateurs et les puissants barons de l'agrobusiness de faire plus d'argent, de vendre plus de marchandises, et de renforcer leur contrôle sur la planète.


Bibliographie:

(1) Steve Karnowski, “Cargill, ADM differ in food-duel 1 debate”, AP, 17 May 2006: http://tinyurl.com/3bxtw7

(2) Alexei Barrionuevo, “Springtime for ethanol”, New York 2 Times, 23 January 2007. http://tinyurl.com/3y9v9t

(3) Tom Philpott, “ADM, high-fructose corn syrup and 3 ethanol”, Gristmill blog, posted 10 May 2006. http://tinyurl.com/kxmqq

(4) GRAIN, “Hybrid rice and 4 China’s expanding empire”, 6 February 2007, http://www.grain.org/hybridrice/?lid=176

“Indonesia and China sign biofuel deal”, AFP, 9 January 2007.

(5) “US-based Maple invests in 5 Peru ethanol production”, Reuters, 20 March, 2007. http://tinyurl.com/39psuj

(6) “BP Brews the fat”, Engineer Online, 3 April 6 2006, http://tinyurl.com/2qe2lh

“Pig fat to be turned into biodiesel”, BBC, 19 April 2007. http://tinyurl.com/2mrhvf

(7) Le groupe Peter Cremer en Allemagne par exemple, l'un des plus gros négociants en produits pétrochimiques, vend une marque de biodiesel, Nexsol,  aux Etats-Unis, dans l'Union européenne et en Australie.

Author: GRAIN
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