Supermarket watch Asia bulletin (Bulletin de veille des supermarchés d’Asie), No. 8, novembre 2017
Éditorial : Supermarchés, chaînes d’approvisionnement transnationales et violations du droit du travail
Les chaînes d’approvisionnement transnationales sont des réseaux d’entreprises locales qui répondent aux demandes des entreprises transnationales ; la demande concerne principalement les matières premières et les pièces de produits manufacturés. Ce sont les entreprises transnationales qui fixent les termes des échanges au sein de la chaîne d’approvisionnement : qualité, prix, quantités et délais. Elles laissent aux fournisseurs le soin de déterminer les conditions de travail et la gestion de la sécurité et des questions environnementales. Le commerce de détail et les supermarchés sont des exemples bien connus de chaînes d’approvisionnement transnationales, ainsi que les centres d’appel, les services postaux ou la gestion du transport.
Le rôle économique des chaînes d’approvisionnement est en pleine expansion depuis que les entreprises transnationales ont commencé à externaliser fabrication et fournisseurs là où prévalaient ou étaient tolérés des salaires extrêmement bas, des normes de sécurité au travail peu élevées ou inexistantes, et même l’esclavage. Diverses sources indiquent que ces chaînes assurent actuellement entre 30 et 60 pour cent de la totalité du commerce mondial et dépendent du travail de plus de 100 millions de personnes dans le monde. En moyenne, les entreprises qui s’appuient sur des chaînes d’approvisionnement transnationales n’embauchent directement que 6 pour cent de la main d’œuvre qu’elles emploient en réalité. Le reste est « externalisé » et les travailleurs sont souvent disséminés sur plusieurs pays et entre des milliers de fournisseurs.
En 2016 un rapport de la Confédération syndicale internationale (CSI ou ITUC en anglais) s’est intéressé aux chaînes d’approvisionnement de 50 des plus grandes entreprises mondiales. L’étude révèle que certaines des entreprises qui utilisent le plus la main d’œuvre cachée sont les chaînes de commerce de détail et les supermarchés comme Walmart, Carrefour, Tesco ou Seven & I, la société japonaise à qui appartient 7-Eleven. Walmart, la plus grande, s’appuie sur le travail de 10 millions de travailleurs cachés en plus de ses 2,2 millions d’employés enregistrés dans le monde. Disposer de main d’œuvre cachée permet aux entreprises de ne pas avoir à respecter les obligations nationales et internationales du droit du travail, les salaires minimaux, les pensions et les règlements sur la sécurité au travail. Dans beaucoup de ces chaînes transnationales, les violations des droits humains (heures supplémentaires non payées, quotas de production journaliers ou horaires obligatoires mais impossibles à atteindre, interdiction d’aller aux toilettes, châtiments corporels, abus sexuels, mesures antisyndicales et menaces) sont monnaie courante.
Ainsi les supérettes 7-Eleven sont coutumières de nombreuses violations des droits des travailleurs. Une enquête par le ministère de l’Emploi sud-coréen a trouvé que près d’un quart des magasins 7-Eleven payaient leurs employés moins que le salaire minimum. En Australie, jusqu’à deux tiers des gérants de 7-Eleven ont délibérément choisi de payer leurs travailleurs moins que le salaire minimum ; certains employés vont même jusqu’à travailler 16 heures de suite sans véritable pause. L’entreprise est également mêlée à une histoire d’évasion fiscale en Indonésie et a été obligée cette année de fermer.
Les agriculteurs sont eux aussi directement touchés par l’expansion des chaînes d’approvisionnement transnationales. Les supermarchés et les très grandes entreprises alimentaires ne cessent de fusionner, de développer l’intégration verticale et de faire disparaître les concurrents plus petits, provoquant une concentration de plus en plus forte du secteur des achats. Les agriculteurs se retrouvent donc avec moins d’options quant aux lieux de vente et doivent négocier avec des acheteurs qui ont plus de poids pour imposer leurs conditions, notamment des prix plus bas. C’est ce qui se passe avec les produits laitiers en Inde [en anglais], un secteur visé convoité par les géants de l’agrobusiness depuis longtemps à cause de sa taille et de sa nature désorganisée. Si un nouvel accord de libre-échange est signé et ratifié, le prix du lait ne pourra que continuer à baisser et à accroître les dettes des agriculteurs.
Un nouveau rapport de GRAIN montre comment la nouvelle génération d’accords de libre-échange, comme le TPP et le RCEP, renforce encore la protection juridique des grandes entreprises face aux pratiques abusives de travail caché au sein de leurs chaînes d’approvisionnement.
Cet éditorial est basé sur le rapport de GRAIN Nouveaux accord de libre-échange : la normalisation de la brutalité des chaînes d’approvisionnement mondiales et le rapport de 2016 de la CSI/ITUC Frontlines report 2016 - Scandal: inside the global supply chain of 50 top companies. Voir aussi la présentation de ce rapport en français : Scandale : Immersion dans les chaînes mondiales d’approvisionnement de 50 des plus grandes entreprises https://www.ituc-csi.org/un-nouveau-rapport-de-la-csi?lang=fr
DANS LA RÉGION
L'Atlas mondial de l'Agrobusiness
Ce rapport montre que la concentration dans les mains de quelques multinationales toujours plus puissantes a des conséquences considérables à tous les niveaux de la chaîne alimentaire. Les auteurs de l’Atlas de l’Agrobusiness tirent la sonnette d’alarme : cette évolution inquiétante menace la liberté de choix du consommateur ainsi que les emplois et les conditions de travail et la production alimentaire dans le futur.
- Une réduction du choix des consommateurs : avec l’accroissement des monopoles, la chaîne alimentaire est contrôlée par de moins en moins d’acteurs. Près de la moitié des aliments vendus dans l’Union européenne provient d’à peine dix chaînes de supermarchés et 50 compagnies de transformation couvrent plus de la moitié des ventes alimentaires mondiales. 4 compagnies contrôlent à elles seules 60% des aliments pour bébés.
- Un risque pour l’avenir de la production alimentaire : les multinationales issues des fusions poussent à l’industrialisation de l’ensemble de la chaîne alimentaire et aujourd’hui, 20% des terres agricoles mondiales sont dégradées.
- Des pertes d’emplois et de bas salaires : la vague actuelle de fusions dans le secteur de la transformation – comme celle de Kraft-Heinz et AB Inbev-SAB Miller – est motivée par des calculs de réduction des coûts et a provoqué la perte de milliers d’emplois.
- Des pressions sur les prix exercées par les cartels d’acheteurs : les distributeurs de produits alimentaires font pression sur leurs fournisseurs, éliminent les producteurs plus petits et instaurent de mauvaises conditions de travail et de bas salaires tout au long de la chaîne alimentaire. Près de 80% du marché mondial de thé est contrôlée par seulement trois multinationales.
Source: Amis de la terre