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Peter Drahos et la convergence - une entrevue

by GRAIN | 24 Oct 2005

Peter Drahos est professeur de droit et coordinateur du Programme des Institutions de Réglementation à l'Université nationale d'Australie. Parmi ses publications, on peut citer: A Philosophy of Intellectual Property (1996)(Une philosophie de la propriété intellectuelle), Information Feudalism: Who owns the knowledge economy (2002, avec John Braithwaite,(Le féodalisme de l'information: qui détient l'économie du savoir?) dont Seedling a rendu compte, voir www. grain.org/seedling/?id=265 ) , et Global Intellectual Property Rights: Knowledge, access and development (2002, avec Ruth Mayne)(Les droits de propriété intellectuelle au niveau mondial: Savoirs, accès et développement)

Liens?

Une manière efficace de combattre les détenteurs du pouvoir sans être pris dans leur jeu est de revenir au principe plus profond des règles élémentaires. Le mouvement pour le logiciel libre nous apprend qu'on peut dire tout simplement non. Nous devons apprendre à nous écarter des marchandages et à renforcer notre capacité à dire non. Nous devons chercher des manières de dire non par lesquelles nous pouvons ne pas nous compromettre ou être trahi. Une si grande partie du jeu des négociations internationales repose sur des trahisons locales: des responsables qui signent des choses qu'ils ne comprennent pas vraiment. Pour arrêter tout ça il faut se conformer à des règles très simples. Elles peuvent varier selon les différents groupes, mais ce sont des règles simples derrière lesquelles nous pouvons nous unir, et elles amorceront une évolution qui nous permettra de gagner la bataille.

L'une des clefs du succès des négociateurs des Etats-Unis est de faire les choses si vite que personne ne peut suivre. A Genève, il y a des négociateurs des pays en développement qui ont la responsabilité de douze secteurs différents. C'est ridicule, tout le monde sait qu'on peut difficilement suivre un secteur, alors imaginez que vous en avez douze à suivre! Evidemment, ces personnes sont fatiguées par les négociations. C'est pourquoi la capacité de dire non est si importante. Les ONG locales doivent dire à leurs négociateurs: " Prenez du recul; n'entamez pas maintenant une autre négociation, ne dites pas oui à cette offre de négociation bilatérale". Choisissez quelques négociations et concentrez tous vos efforts sur elles, et c'est comme ça que vous pourrez gagner en force et en unité.

Une autre des clefs pour combattre le pouvoir derrière laquelle nous pouvons nous unir c'est la désobéissance civique (ndt: ou civile). Quand un pays négocie à huis-clos avec les Etats-Unis, et qu'il y a des soulèvements dans ce pays, le négociateur en situation de faiblesse peut se tourner vers les Etats-Unis et leur dire: "J'aimerais vous accorder ces conditions de brevets, mais j'ai les mains liées – c'est tout simplement politiquement invendable dans mon pays". Mais s'il n'y a pas de soulèvements, et que la négociation se déroule à huis-clos, le négociateur va céder. La désobéissance civique est l'un des quelques outils restants pour les groupes les plus faibles, et il peut être très efficace. Voyez les mouvements d'opposition à la guerre aux Etats-Unis pendant la guerre du Viet-nam; les choses ont changé quand les gens sont descendus dans les rues.

Convergence?

Il y a une telle diversité dans le monde et tellement de points de vue moraux différents qu'il faut trouver un cadre commun. Et ce cadre, ce sont les droits humains. C'est institutionnalisé et pour certaines questions, comme la santé et l'éducation, il y a un fort consensus inter-culturel. D'autres droits, comme le droit à la sécurité alimentaire, ne sont pas aussi largement partagés, mais ce n'est pas grave. La force des droits humains, c'est qu'ils reconnaissent la diversité, et qu'ils ont un cadre conceptuel commun. On peut essayer d'inventer un autre langage et le mondialiser mais cela prendra beaucoup de temps d'atteindre tout le monde. Les droits humains ont été institutionnalisés dans notre monde et un grand nombre de personnes ont du renoncer à beaucoup de choses pour que ces droits soient mis sur la table. Cela compte beaucoup. Chaque pays peut se présenter avec les mêmes droits fondamentaux, comme l'éducation et la santé. D'autres droits sont bien plus contestables, mais cela ne fait rien, car certains droits peuvent être plus importants pour certains pays que pour d'autres. Chaque pays doit pratiquer le principe de tolérance (qui est implicite dans les droits humains) et s'unir autour de ces mots. Ces mots leurs donnent les instruments pour examiner les droits de propriété intellectuelle et demander ce que ces droits de monopole font pour atteindre leurs objectifs. C'est pourquoi je pense qu'il est possible pour tous ces groupes de s'unir autour des droits humains, de se servir de ce vocabulaire, et de créer une communauté plus globale.

Vous pouvez ne pas aimer l'idée des droits, mais c'est tout ce que vous avez pour agir. Quand je suis allé aux Philippines pour effectuer un travail sur l'accès aux médicaments, un grand nombre de groupes m'ont dit qu'ils trouvaient que les mots des droits humains, 'le droit à la santé' par exemple, étaient très utiles. Vous devez vous en servir. Il faut réfléchir aux façons d'intégrer ce langage dans la vie. Il y a une telle diversité morale dans le monde, on a besoin de concepts abstraits pour l'unir.

Si vous ne voulez pas l'appeler 'un droit', appelez-le 'revendication fondamentale'. Je ne suis pas en train de dire qu'on ne devrait pas essayer de chercher des solutions alternatives et créer de nouveaux mots, mais on ne peut pas tourner le dos aux choses pour lesquelles les générations précédentes se sont battues; cela n'est pas logique. On doit se servir du langage des droits humains parce que c'est institutionnalisé dans un cadre commun et que beaucoup de pays l'acceptent, même si leurs pratiques peuvent ne pas être en accord avec ce que dit ce langage.

 

Author: GRAIN
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