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Des brevets et des pirates

by GRAIN | 15 Jul 2000

DES BREVETS ET DES PIRATES:

Brevets sur la vie: le dernier assaut sur les biens communs

juillet 2000

www.grain.org/fr/publications/pirates-fr.cfm

 

 

LA BREVETABILITE DU VIVANT EXPLIQUEE

BREVETS SUR LES CULTURES ALIMENTAIRES

BREVETS SUR LES ANIMAUX

BREVETS SUR LES PRODUITS MEDICINAUX

BREVETS SUR LES PERSONNES

 

" Jamais, je n'aurais imaginé que les hommes puissent breveter les plantes et les animaux. Cela est fondamentalement immoral, contraire à la vision qu'ont les Guayamis de la nature et de notre place en son sein. Breveter le matériel humain, prendre l'ADN humain et breveter son produit, c'est violer l'intégrité de la vie elle-même et notre sens profond de la moralité."

Le Président du Congrès Général des Guayamis, apprenant l'existence d'un brevet sur les gènes d'une femme Guayami.

- Imaginez qu'une plante médicinale, cultivée et utilisée par votre famille et votre communauté depuis aussi longtemps que l'on puisse se souvenir, soit prise et brevetée par une firme multinationale.

- Imaginez que vous êtes un chercheur médical essayant de trouver un traitement contre le cancer du sein, mais que vous soyez empêché d'utiliser le matériel génétique dont vous avez besoin pour votre recherche parce qu'il a été breveté.

- Imaginez que lors d'une consultation médicale, des échantillons de sang et de tissus soient prélevés de votre joue sans votre consentement, et qu'à partir de ceux-ci un institut de recherche brevète vos lignes cellulaires.

- Imaginez que vous êtes un agriculteur qui ne peut plus conserver des semences pour les replanter en vue de la prochaine récolte, mais qui se trouve soumis à l'obligation d'en racheter chaque année parce que ces semences ont été brevetées.

 

LA BREVETABILITE DU VIVANT EXPLIQUEE

Un brevet est un titre légal sur une idée pour une invention qui procure à son titulaire des droits exclusifs à en tirer profit pendant un nombre déterminé d'années. La permission d'utiliser l'invention à l'usage du public est obtenue contre paiement au détenteur du brevet de redevances pour une licence ou royalties. Pour se voir attribuer un brevet, un postulant doit être capable de prouver:

- La Nouveauté: Ce doit être une idée nouvelle, inconnue et jamais utilisée par quiconque auparavant.

- L'usage: la demande de brevet doit expliquer quel usage et quelle finalité aura l'invention.

- L'Innovation: l'idée brevetable doit comporter une étape inventive qui ne relève pas de l'évidence.

Le système des brevets a été conçu à l'origine, il y a plus de 500 ans, pour récompenser les inventeurs industriels, pour protéger leurs inventions du vol, et stimuler l'innovation. C'était peut-être une idée intéressante, mais elle n'était pas à l'abri de la fraude. Les lois sur les brevets ont été fréquemment manipulées pour devenir les instruments de monopoles et de leurs investisseurs, au lieu d'agir comme outils d'incitation à la créativité. Ceci est devenu particulièrement visible au cours des récentes décennies.

Depuis 1980, le système a été graduellement étendu à la brevetabilité de formes de vie existantes ou génétiquement "améliorées". Ceci est dû en grande partie: a) au développement rapide de l'ingénierie génétique, et b) d'une flambée d'intérêt pour l'utilisation commerciale des ressources génétiques et des espèces sauvages. Etant donné que les lois sur les brevets exigent qu'un produit brevetable soit issu d'une découverte nouvelle et comporte un degré d'inventivité, sociétés commerciales ou individus contournent cette exigence en extrayant et/ou en manipulant le matériel chimique ou génétique qui présente un intérêt. Cela rend l'organisme différent de sa forme originale, permettant ainsi aux compagnies de se prévaloir sur lui de droits de propriété et de droits de propriété intellectuelle (DPI).

Les "produits" qui ont été brevetés incluent les micro-organismes, les cultures alimentaires de base, les espèces cultivées, les organismes génétiquement modifiés, les animaux clonés et les gènes humains. Ceci a provoqué des interrogations sérieuses sur les conséquences éthiques, économiques et politiques liées à une question clé: Les individus et les firmes multinationales seraient-ils en droit d'être propriétaires des composants biologiques de la vie?

Jeux de pouvoir

Le marché des DPI a provoqué un accroissement considérable de l'exploration de la biodiversité à la recherche de ressources génétiques et biochimiques présentant une valeur commerciale, phénomène connu sous le nom de "bioprospection". Dans l'industrie des sciences de la vie, hautement compétitive, collectionner les brevets est devenu un outil de défense important, résultant parfois dans le fait que la valeur d'investissement d'une compagnie soit déterminée seulement par la propriété intellectuelle qu'elle détient. Utiliser des brevets portant sur des formes de vie comme instruments de défense pour pourfendre des menaces dans la compétition aux investisseurs fait plus de mal que de bien. Les compagnies pharmaceutiques jouent un jeu controversé à double standard. Sous la menace légale d'une infraction à leurs brevets, elles empêchent les pays du Sud de produire et d'acquérir des drogues génériques moins onéreuses pour combattre des crises de santé publique telles que le SIDA, alors qu'elles dérobent aux peuples indigènes les plantes médicinales et le savoir qui y est associé pour profiter des redevances perçues grâce à leurs brevets. De surcroît, la protection prolongée qu'offrent les DPI rigidifie et restreint l'innovation, comme il l'a été démontré dans le cas où la société commerciale, qui a breveté des gènes porteurs du cancer du sein, fait payer aux chercheurs des redevances pour l'utilisation de ces gènes dans leurs études d'investigation. En permettant un contrôle du marché, et en facilitant ainsi la garantie de profits rapides aux investisseurs, les brevets autorisent des développements technologiques dans lesquels les consommateurs n'ont aucun mot à dire. Dans certains cas, cette technologie détruit l'efficacité originelle des formes de vie au lieu de l'améliorer. Pour la première fois de l'histoire, les agriculteurs peuvent être légalement empêchés non seulement de conserver et de re-semer des semences, mais également de "détenir" la semence reproductive d'animaux de ferme brevetés, louée par le détenteur du brevet à l'image d’un programme informatique. De façon évidente, les brevets offrent aux compagnies privées un contrôle inégalé sur le germoplasme du monde, sur des types génétiques humains et plus encore.

Le pouvoir politique et économique engendré par les brevets sur les formes de vie conduit à ce que les pays du monde entier, et particulièrement les pays du Sud riches en biodiversité, soient soumis à une pression intense pour adopter des lois en matière de propriété intellectuelle sur le modèle américain, par le biais d'une harmonisation des règles commerciales dans le monde. Cette pression se manifeste dans les termes de l'Accord sur les Droits de Propriété Intellectuelle liés au Commerce (ADPIC) de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et forcerait les 135 pays membres à reconnaître les brevets sur les formes de vie. Au sein de ces luttes de pouvoir et de ces guerres sur les brevets, les droits pour les premiers utilisateurs de la biodiversité et du savoir qui y est attaché, soit les peuples indigènes, à disposer d'un bénéfice, sont mis à l'écart. Les compensations qu'ils reçoivent sont faibles, sinon inexistantes, et leur accès à leur héritage collectif se trouve être progressivement limité ou même, dans certains cas, devient illégal. En fin de compte, ce que ces brevets garantissent ce sont des monopoles de marché et des profits assurés sur des denrées alimentaires, des drogues diverses et des ventes de technologies au bénéfice d'une poignée d'individus et non pas des communautés d'origine de ces substances.

Les consequences de la biopiraterie

Les conséquences, surtout pour les pays en voie de développement, sont immenses. Les agriculteurs sont confrontés au fait, à chaque récolte, d'avoir à acheter de nouvelles semences et payer des redevances. Des technologies telles que les semences "Terminator"et "Traitor", manipulées génétiquement pour empêcher la semence de se reproduire naturellement, comportent des risques énormes non seulement pour les communautés, mais pour la biodiversité elle-même. Comme les semences brevetées sont habituellement 10% à 30% plus chères que les semences non brevetées, ceci affaiblira l'industrie alimentaire et les gouvernements. De plus, d'autres recherches agricoles importantes, mais moins lucratives, sont marginalisées. La commercialisation de la biodiversité peut également entraîner l'escalade des prix des matières premières et exacerber la rareté des ressources sauvages. Par-dessus tout, une dépendance dangereuse se développe ouvrant la voie à l'exploitation, à l'insécurité alimentaire, à l'érosion génétique et à l'effritement des systèmes durables de subsistance.

Desarmer les pirates

Certains ont suggéré que des brevets doivent être obtenus par les communautés affectées elles-mêmes, de façon à bénéficier de leur commercialisation. Toutefois, leur savoir est souvent collectif, fondé sur leurs expériences, et dépendant d'elles, comme sur l'échange libre de connaissances sur la biodiversité qui a eu lieu de génération en génération. Par contraste, les droits de propriété intellectuelle de toutes sortes sont par définition une limitation de ce flux de connaissances, le déni de sa nature collective, et ils menacent ainsi l'évolution de ce type de savoir, son développement, et la continuité de sa survie. L'appropriation privée de ce savoir et son usage en tant que commodité commerciale est un concept étranger aux systèmes de valeurs de beaucoup de ces communautés.

Nombreux sont ceux qui, dans le monde entier, ont rejoint un mouvement grandissant contre les brevets sur le vivant. L'action des citoyens dans plusieurs pays a défié et parfois contré avec succès des brevets injustement délivrés. En Mai 2000, une coalition de plusieurs groupes a, avec succès, obtenu le retrait d'un brevet détenu à la fois par la compagnie américaine WR Grace et par le Département Américain de l'Agriculture sur l'arbre indien, le Neem, utilisé par les Indiens depuis des siècles pour ses propriétés de pesticide, médicinales et autres. Bien que plus de 80 brevets sur le Neem restent à contester, ce cas d'espèce a constitué un important précédent. Des droits sur les lignes cellulaires du peuple Hagahai, également détenu par le Département Américain de l'Agriculture ont aussi été réfutés et retirés, tout comme l'a été un brevet portant sur toute recherche médicale utilisant le cordon ombilical humain. De nombreux pays du Sud - sous la houlette de l'Afrique- ont résisté à la pression de l'Organisation Mondiale du Commerce qui visait un changement de leurs lois nationales pour autoriser les brevets sur le vivant. La force de la pression publique a amené le Premier Ministre britannique, Tony Blair et le Président américain Bill Clinton à s'exprimer contre les brevets sur les êtres humains. Quoique leur réaction relève d'un peu plus que d'un simple exercice de relations publiques, elle reflète à quel point se consolide cette pression. Partout, les gens sont en train d'articuler leurs droits collectifs au savoir et de refuser d'accepter les brevets sur le vivant.

Les droits de propriété intellectuelle sont non seulement en train de transformer l'économie globale, mais ils transforment aussi de façon fondamentale les règles et les éléments de base actuels pour la sécurité alimentaire, pour la fourniture de soins médicaux, pour les droits démocratiques et peut-être pour l'évolution humaine elle-même. Quelques questions fondamentales doivent absolument être posées au sujet de la brevetabilité. Pouvons-nous nous soumettre à un système de brevets qui a été grossièrement déformé pour permettre à quelques compagnies géantes de prendre le contrôle monopolistique des ressources génétiques du Monde? Les agriculteurs devraient-ils obtenir une licence pour faire croître des cultures? Les éléments du corps devraient-ils être brevetés? Les scientifiques occidentaux devraient-ils obtenir des droits de propriété sur le savoir traditionnel des peuples indigènes et des communautés rurales, sur leurs plantes et leurs remèdes médicinaux ? Les êtres vivants ne sont-ils rien d'autre que des séquences d'ADN avec des applications industrielles potentielles ?

Les dix-sept cas d'étude suivants ont été rassemblés pour mettre en évidence les oppositions clés et les débats autour de la brevetabilité du vivant, ainsi que les implications qu'ils présentent dans de futurs développements.

BREVETS SUR DES CULTURES ALIMENTAIRES

Soixante-dix pour cent de notre fourniture alimentaire repose sur un petit nombre vulnérable de cultures de base, dont en premier lieu le blé, le maïs, le riz et la pomme de terre. Reconnaissant que ces cultures sont fondamentales pour la sécurité alimentaire, la Convention Européenne sur les Brevets de 1975 a établi que personne ne pouvait breveter une variété entière de plante, tandis que le Congrès américain mettait en oeuvre un Système de Brevet sur les Plantes (Plant Patent System) comportant des règles similaires. Toutefois, les grandes compagnies de biotechnologie et les chercheurs ont utilisé une astuce légale pour contourner ces mesures en proclamant leur droit de propriété sur des "gènes" et des "plantes", au lieu de cibler des variétés entières. En Juin 1999, le lobby de l'agriculture biotechnologique persuada avec succès l'Office Européen des Brevets de proclamer unilatéralement et illégalement que des brevets pouvaient être accordés sur des plantes transgéniques. En janvier 2000, la Cour d'Appel des Etats-Unis décida que les variétés végétales étaient bien brevetables. Mais comment des gènes peuvent-ils être nouveaux ? Comment un individu peut-il "inventer" une plante? Que dire des siècles de travail des agriculteurs et autres qui ont sélectionné les caractéristiques désirées les premiers ? Et plus important: Quelle portée aura l'attribution de ces brevets pour les agriculteurs et pour la sécurité alimentaire au niveau local, national et global?

Le Gène BT

* Fiche Signalétique: Bactérie du sol d'origine naturelle, le Bacillus thuringiensis (Bt), produit une protéine fatale à beaucoup d'insectes communs qui l'ingèrent. Bt est un pesticide biologique non agressif pour l'environnement, utilisé par les agriculteurs depuis les années 1940. Dans la dernière décennie, plusieurs grandes compagnies agrochimiques ont investi dans l'introduction du gène Bt au sein de plantes, par ingénierie génétique, de façon à ce qu'elles produisent leur propre insecticide. Le gène Bt est présent dans des végétaux tels que le maïs, le soja, le coton, le colza, la pomme de terre, le tabac, le riz, la tomate, le peuplier, l'épicéa, la noix et la pomme.

* Brevets: Le maïs-Bt, le coton-Bt et la pomme de terre-Bt ont reçu leur agrément commercial aux Etats-Unis. A partir de décembre 1999, il y avait dans le monde au moins 540 brevets -et demandes- accordés ou à l'étude, relatifs à l'usage du gène Bt. Les fusions continuelles entre entreprises ont pour effet qu'aujourd'hui la technologie soit fortement concentrée entre de moins en moins de mains, pendant que les compagnies s'affrontent pour déterminer qui possède quoi. La société belge Plant Genetic Systems (aujourd'hui rachetée par le conglomérat géant Aventis) a obtenu l'attribution d'un brevet aux U.S.A, portant sur "toutes les plantes transgéniques contenant le gènes Bt". La société américaine Mycogen (aujourd'hui rachetée par Dow Agrosciences) obtint un brevet européen qui couvrait l'insertion de "tout gène insecticide dans une plante quelconque". Des brevets aussi vastes confèrent à leur bénéficiaire d'énormes monopoles sur les marchés. En 1998, Monsanto gagna un procès en matière de brevet contre Mycogène, relatif au transfert du gène Bt au sein de plantes, et dans le même temps un jury invalidait un brevet concédé à Novartis qui couvrait tous les types de maïs-Bt.

* Implications: Les brevets sont un moyen de permettre le recoupement d'investissements et d'assurer des profits sur la technologie de l'ingénierie génétique. En tant que produits d'une technologie, les plantes intégrant le gène Bt sont porteuses de nombreux risques. Les études de l'Université Cornell démontrèrent que le pollen issu du maïs-Bt tuait la larve du papillon Monarque qui l'ingérait en laboratoire, tandis que plus haut dans la chaîne alimentaire, les chrysopes qui se nourrissent de la pyrale européenne du maïs, laquelle fut développée sur le maïs Bt, moururent eux aussi. Des expériences conduites par l'Université d'Hawaï établissent qu'en une seule génération les insectes développent une résistance à de nombreuses formes de cette toxine, rendant l'implantation du gène Bt inutile dans le cadre d'une stratégie de lutte contre les ravageurs. Ceci rend également inutile l'aspersion, par les agriculteurs biologiques, de leurs cultures avec le traditionnel jet de Bt puisque les plantes transgéniques Bt en auront détruit l'efficacité. Malgré cela, les brevets sur les gènes Bt et les plantes Bt assurent aux compagnies de rapides profits, encourageant ainsi le développement de cette technologie. Le marché potentiel est énorme et dominé par un quasi-monopole des géants des sciences de la vie. Les batailles juridiques, quand aux droits de propriété existant sur la technologie Bt, consomment de vastes quantités de temps et d'argent pour beaucoup des firmes agrochimiques de pointe qui s'investissent dans des guerres sur les brevets au lieu de développer des alternatives plus satisfaisantes. Loin de promouvoir l'innovation, les brevets obtenus sur l'usage du gène Bt confèrent une valeur artificielle à une technologie qui va vraisemblablement échouer. De plus, les brevets concédés n'ont pas seulement piraté un système connu de contrôle écologique des insectes ravageurs, ils ont, semble-t-il, pour effet de rendre ce dernier inefficace. Les moyens d'existence de milliers d'agriculteurs et le droit des consommateurs à choisir sont également en jeu.

Le Soja

* Fiche signalétique: domestiqué en premier lieu comme culture alimentaire en Chine, le soja d'aujourd'hui (Glycine max L.) est une culture commerciale représentant un marché de plusieurs milliards de dollars, particulièrement importante pour son huile et pour l'alimentation animale. Les U.S.A ont en main plus de la moitié du marché global de ses exportations. Le Brésil, la Chine et l'Argentine sont d'autres pays gros producteurs de soja. Alors que le soja demeure un légume important et une plante source de protéines pour les Asiatiques, le soja est maintenant utilisé dans une étonnante variété de produits industriels- de l'encre des journaux quotidiens au ketchup des hamburgers vendus par les fast-foods. Les droits conférés par un brevet portant sur la culture du soja dans le Monde, attribuent à leur détenteur un énorme contrôle économique, social et politique sur un produit de base de l'Economie Globale.

* Brevets: En 1994, la compagnie biotechnologique Agracetus obtint un brevet qui couvrait de fait l'ensemble des types de sojas transgéniques. L'industrie de la biotechnologie fut ahurie par ce brevet, lequel fut attaqué devant les tribunaux. Le géant de la chimie, Monsanto, s'opposa avec véhémence à ce brevet en novembre 1994 sur le fondement que: " l'invention en cause présentait une absence totale de stade inventif" et ne pouvait être qualifiée de "nouvelle". Par la suite, Monsanto acheta simplement la société Agracetus dans son entier- y compris le brevet qu'elle détenait - et il abandonna tranquillement ses poursuites.

* Implications: les brevets sur les espèces tels que celui sur le soja, et d'autres sur le coton et le riz, montrent comment des brevets d'un spectre très large sont utilisés pour sécuriser des revendications territoriales sans relation avec une invention, en tant que moyen de bloquer la recherche et la compétition. Ces brevets affectent aussi les agriculteurs, lesquels doivent suivre des règles astreignantes lorsqu'ils utilisent du soja transgénique dans des pays où ces brevets sont reconnus. En achetant les semences "Roundup Ready Soybeans" brevetées par Monsanto, les agriculteurs américains sont contraints de n'utiliser que l'herbicide Roundup de cette société, ne peuvent pas mettre de côté une seule semence pour la prochaine récolte- comme cela se fait traditionnellement- et ne sont plus en droit de faire des expériences utilisant cette graine de soja. En décembre 1999, Monsanto poursuivait en justice au moins 475 agriculteurs qu'il suspectait de conserver et de replanter des semences développées par lui.

Brazzéine

*Fiche signalétique: La Brazzéine est une protéine 500 fois plus sucrée que le sucre lui-même, dérivée d'une baie originaire de l'Afrique de l'Ouest. A la différence d'autres produits sucrants ne contenant pas de sucre, la brazzéine est une substance naturelle et ne perd pas son goût sucré quand elle est chauffée, ce qui lui confère une valeur particulière aux yeux de l'Industrie Alimentaire. L'attention de l'Industrie se porta sur elle, après qu'un chercheur américain eut observé des animaux et des hommes mangeant ces baies en Afrique de l'Ouest.

* Brevets: Les chercheurs de l'Université du Wisconsin se sont vus attribuer les brevets américains 5,326,58- 5,346,998- 5,527,555 et 5,741,537- de même que le brevet européen 684995 portant sur l'isolement d'une protéine issue de la baie Pentadiplandra brazzeana, sur l'établissement de la séquence génétique codant cette protéine et sur les organismes transgéniques, lorsque de tels organismes y ont été ajoutés. Les travaux suivants se sont focalisés sur la fabrication d'organismes transgéniques qui produisent de la brazzéine en laboratoire, éliminant ainsi le besoin de la récolter ou de la cultiver commercialement en Afrique de l'Ouest.

* Implications: L'Université du Wisconsin indique que l'intérêt des grandes entreprises pour la brazzéine est fort: le marché mondial pour les produits sucrants est évalué à 100 milliards de dollars par an. L'université affirme clairement que la brazzéine est "une invention d'un chercheur de la UW-Madison" et qu'il n'existe pas de projet de partage de bénéfices avec le ou les peuple(s) d'Afrique de l'Ouest qui ont découvert et entretenu la plante visée. De nos jours, Nektar Worldwide et ProdiGene, une branche de Pioneer Hi-Bred International, la plus grande société semencière au monde, ont modifié génétiquement du maïs lequel produit désormais de larges quantités de brazzéine. Ils estiment que la demande future sera satisfaite par un million de tonnes de maïs modifié génétiquement, en lieu et place de tout autre approvisionnement en provenance d'Afrique de l'Ouest. Ceci constitue un exemple clair de la façon dont le système des brevets dévalorise complètement le savoir local et l'innovation des peuples du Sud, en permettant aux chercheurs de proclamer l'invention de quelque chose qu'ils ont tout au plus isolé et reproduit dans un laboratoire du Nord. En autorisant l'attribution de brevets pour ce type de "découvertes", le système des brevets fait la promotion de ce que les pays du Tiers-Monde appellent, à juste titre, la biopiraterie.

Quinoa

* Fiche Signalétique: Le quinoa (Chenopodium quinoa) constitue une part importante du régime alimentaire de millions de personnes dans les pays andins d'Amérique Latine, particulièrement chez les peuples indigènes. Depuis des temps antérieurs à ceux des Incas, ils ont cultivé et développé des variétés de quinoa adaptées à un large spectre de conditions difficiles dans les Andes. Récemment, la quinoa a fait son apparition sur les marchés des Etats-Unis et de l'Europe en raison de sa haute valeur nutritionnelle- soit environ deux fois le montant de protéines contenues dans le maïs ou dans le riz. La valeur du marché d'exportation de la Bolivie est estimée à 1million de dollars US par an.

Brevets: En 1994, deux chercheurs de l'Université du Colorado obtinrent le brevet américain numéro 5,304,718 leur attribuant un contrôle exclusif sur des plantes mâles stériles issues de la variété bolivienne traditionnelle de quinoa "Apelawa", ainsi que sur les plantes dérivées de leur cytoplasme. Ceci incluait quelque 36 variétés traditionnelles citées dans la demande de brevet déposée. Les chercheurs admettaient qu'ils n'avaient en rien créé la variété mâle stérile, mais que celle-ci "faisait seulement partie de la population des plantes natives….nous l'avons juste cueillie". Ils proclamaient avoir été les premiers à identifier et à utiliser un système fiable de stérilité mâle cytoplasmique dans la quinoa pour la production d'hybrides.

* Implications: Le brevet américain présentait des implications sérieuses pour les agriculteurs boliviens. La logique du développement de la quinoa hybride était d'augmenter la production de cette culture de façon à l'adapter à une échelle de production commerciale en Amérique du Nord. Quoique les chercheurs aient promis de rendre cette technologie abordable pour les chercheurs du Chili et de Bolivie, au sein de grandes entreprises, le droit des détenteurs du brevet d'empêcher les exportations boliviennes de quinoa vers les U.S.A aurait certainement été exercé. La modification subie par le marché des exportations de la Bolivie aurait affaibli l'existence de milliers de petits agriculteurs qui cultivent de la quinoa. Ces menaces amenèrent ANAPQUI, l'Association Nationale Bolivienne des Producteurs de Quinoa, avec un certain nombre d'ONGs conduites par la Fondation Internationale pour l'Avancement Rural (Rural Advancement Foundation International) à s'opposer bravement au brevet concédé. En raison de la pression internationale que ces mouvements ont suscitée, l'Université du Colorado abandonna le brevet dès le mois de mai 1998.

BREVETS SUR LES ANIMAUX

Les lois sur les brevets ont traditionnellement prohibé la brevetabilité de sélections/races et inventions relatives aux animaux "contraires à la morale". Les brevets sur les animaux sont déjà si controversés qu'ils ont été exclus des requêtes faites par la communauté internationale envers le respect des règles de l'Organisation Mondiale du Commerce, en matière de Droits de Propriété Intellectuelle liés au Commerce. Toutefois, à l'instar de la prohibition existant envers la brevetabilité des variétés végétales, les scientifiques et les compagnies commerciales ont trouvé des diversions juridiques pour modifier l'esprit et la lettre de la loi de façon à obtenir des brevets sur les animaux. Ces démarches ont provoqué des cris d'indignation morale et de fortes objections pour la manière dont elles réduisent les animaux à la somme de leurs produits ou à des machines industrielles. Les demandes de brevets techniques sur les animaux sont perçues comme nous rapprochant peu à peu de celles qui pourraient concerner les humains. D'autres sont préoccupés par le fait que des brevets rendraient impossible pour des exploitations agricoles familiales et de petite taille d'élever du bétail, consolidant ainsi davantage le contrôle des grandes compagnies commerciales. Beaucoup sont simplement troublés par le fait que les brevets sur les animaux marquent l'étape finale de l'industrialisation totale de l'élevage de bétail.

La Souris Transgénique (L'Oncomouse)

* Fiche Signalétique: la souris transgénique ou Souris d'Harvard a été génétiquement transformée pour développer un cancer. Les installations de recherche médicale possèdent maintenant un patient conçu expressément pour les tests d'expérimentation sur les thérapies du cancer, dès lors que tous les rejetons de la souris transgénique sont prédisposés à contracter la maladie.

* Brevets: En 1987, la souris transgénique devint le premier animal qui a été breveté aux U.S.A. La recherche avait été conduite à Harvard, mais ce fut une compagnie multinationale, Du Pont, qui obtint le brevet européen 169672 sur la souris en 1992. La demande de brevet déposée par Du Pont en Europe tenta de prendre le contrôle de tous les animaux génétiquement modifiés selon la technique de la souris transgénique, y compris de leurs descendants. De façon significative, la compagnie réclama également la protection d'un brevet sur tous les produits anti-cancer dérivés de l'usage de la souris.

* Implications: Le brevet européen sur la souris transgénique a été largement contesté par des groupes d'intérêt public, sur le fondement que ce brevet était contraire à la morale. La réponse initiale des autorités de l'Office Européen des Brevets (OEB) fut de dire qu'elles n'avaient pas la compétence d'interpréter ce qui est moralement acceptable et ce qui ne l'est pas. Plus tard, elles acceptèrent le défi et stipulèrent que toute invention dont le bénéfice pour l'Humanité dépasse les souffrances d'un animal est moralement acceptable. Les opposants au brevet trouvèrent la réponse insatisfaisante et le brevet est encore dans l'impasse en Europe. Néanmoins, ce cas ouvrit la porte aux brevets sur des animaux.

Viande et Oeufs

* Fiche Signalétique: avec leur importante teneur en acides gras saturés et en cholestérol, la viande et les produits animaux sont mis en cause dans des problèmes de santé liés au régime alimentaire et les pays développés sont confrontés à une augmentation très nette de l'obésité, des maladies cardio-vasculaires et des cancers liés à un mode alimentaire. Des produits d'origine animale, non transformés et d'un faible teneur en cholestérol, sont porteurs de vastes marchés.

* Brevets: L'Université de Médecine John Hopkins possède un brevet (W09833887) qui couvre les animaux (y compris les espèces de la volaille, des bovins, des poissons, des rongeurs et des porcins) modifiés génétiquement de façon à présenter une masse musculaire plus importante, sans accroissement corrélatif de graisses et avec des taux décroissants de cholestérol.

* Implications: Les brevets sur les animaux destinés à l'élevage peuvent limiter l'action des agriculteurs qui souhaitent augmenter leurs troupeaux ou même remplacer un certain nombre de têtes suite à des décès ou à des ventes au sein du troupeau. Quelques compagnies multinationales spécialisées dans les animaux d'élevage ont déjà annoncé qu'elles espéraient être en mesure d'interdire la reproduction de ces derniers à la ferme et de prélever des redevances sur tout nouveau-né issu d'une vache ou d'un mouton transgénique, animaux qu'elles considèrent comme étant loués aux agriculteurs et non comme la propriété de ces derniers. L'inquiétude soulevée par le brevet W09833887 s'étend bien au-delà du portail de l'exploitation agricole, car le droit de propriété a été accordée sur les produits finals- oeufs, lait et viande- des animaux transgéniques. Cela transforme les agriculteurs en de simples locataires-gérants des animaux d'élevage et confère au détenteur du brevet un contrôle sans précédent sur le produit alimentaire en bout de chaîne.

Tracey

* Fiche Signalétique: Tracey est une brebis dans laquelle on a introduit des gènes humains à hauteur des glandes mammaires, de façon à lui faire produire la protéine alpha-1-antitrypsine, un facteur coagulant du sang humain. Un représentant de la compagnie décrit Tracey comme l'une des "petites usines à longs poils qui déambulent dans les champs" appartenant à Pharmaceutical Proteins Ltd (PPL). La transformation de Tracey fut considérée par PPL comme un succès suffisant pour fournir "une forte impulsion à l'exploitation future des moutons transgéniques en tant que bioréacteurs pour la production de larges quantités de protéines actives en pharmacologie." Quelques personnes appellent cela "factory pharming"(la production agricole d'usines).

* Brevets: Tracey et ses semblables font maintenant l'objet d'un brevet américain 5,476,995 et d'un contrat de plusieurs millions de livres Sterling entre PPL et le géant chimique allemand Bayer.Il existe au moins 50 brevets couvrant les animaux transgéniques qui produisent des protéines humaines.

* Implications: Tracey soulève d'importantes questions quant à l'altération radicale du programme génétique des animaux pour se conformer à des processus d'échelle industrielle. Les moutons, de façon naturelle, produisent de la viande, du lait et de la laine. De façon naturelle, ils ne produisent pas de protéines humaines. Transformée en une usine pharmaceutique à quatre pattes, Tracey n'est plus perçue comme un animal, mais comme une machine qui est décrite comme une invention humaine et brevetée comme telle, à l'image d'une machine à écrire ou d'un frigidaire.

Dolly

* Fiche Signalétique: Dolly est le premier mammifère cloné au monde, preuve vivante qu'une semence reproductive fiable peut être développée à partir d'une cellule animale adulte unique. L'annonce de l'existence de cette brebis clonée balaya le Monde par surprise en février 1997. Ce qui choqua l'opinion publique fut la façon dont l'existence de Dolly tira la perspective du clonage humain du domaine de la Science Fiction pour l'insérer dans le domaine du Possible. Depuis lors, le public dans les pays développés a reçu l'assurance que le clonage humain, à but reproductif, ne serait pas autorisé, mais il a été encouragé à soutenir des technologies basées sur le clonage de façon à développer commercialement des cellules humaines, des tissus et des organes utilisables pour des transplantations.

* Brevets: L'Institut Roslin, responsable de l'expérience menée sur Dolly, a déposé deux brevets à échelle mondiale (W0 9707668 et W0 9707669) pour la technique du clonage utilisée. Les brevets couvrent l'utilisation de la technique appliquée à tout animal, formulation qui n'exclut pas les êtres humains. A l'époque, l'Institut Roslin arguait qu'il n'avait aucun intérêt commercial, ni de tolérance morale envers le clonage humain. L'Institut précisait qu'il avait spécifiquement inclus les humains de façon à s'assurer qu'aucune autre entité ne pourrait prétendre au clonage humain. Toutefois les brevets, une fois délivrés, peuvent toujours être vendus. En janvier 2000, Roslin céda des droits de licence à Geron, une firme américaine qui acheta par la suite l'Institut. L'activité de Geron consiste à développer des cellules humaines par clonage pour servir d'implants dans le but de faire régresser des désordres dégénératifs. La technique de Roslin, protégée par un brevet, permettra à Geron d'être propriétaire des embryons humains clonés qui seront source des cellules pour les implants, et rien légalement n'empêche Geron d'obtenir un droit de propriété sur tout fœtus qui pourrait être développé à partir de tels embryons, jusqu'à sa naissance.

Implications: Etant donné que les techniques sont les mêmes pour les humains et pour les animaux, et que certaines d'entre elles mêlent ensemble les cellules humaines et celles d'autres mammifères, la démarcation entre ce qui est légal pour les humains et ce qui l'est pour les animaux est illusoire. La course pour le contrôle d'un marché aussi lucratif a conduit à la délivrance d'au moins 20 brevets sur des processus liés au clonage animal ou humain. Les débats moraux et éthiques relatifs à la brevetabilité du Vivant ont pris un sens fort pour des millions de personnes. En plus des débats moraux sur le clonage animal et humain, bénéficiant d'une bonne publicité, Dolly suscite plusieurs questions. Une généralisation du clonage des animaux d'élevage exacerberait le grave problème de l'érosion génétique des animaux domestiques. Des races d'élevage sont actuellement en train de disparaître au taux de 5% chaque année, en raison des choix des sélectionneurs et de l'insémination artificielle, et le clonage pourrait aggraver de beaucoup cette situation. Cette aggravation de l'érosion génétique dans le secteur européen des animaux d'élevage, favorisée par le système des brevets et par le clonage, aurait un impact très sensible sur la vulnérabilité des animaux concernés aux parasites et aux maladies.

BREVETS SUR LES MEDICAMENTS

Les médicaments sont souvent dérivés de, ou basés sur, des composés biochimiques trouvés dans la nature dont beaucoup sont originaires de la biodiversité des tropiques et des zones sub-tropicales. Cela est tout aussi vrai pour les drogues synthétiques que pour les médicaments naturels. De nombreuses indications sur leurs applications et leur efficacité, nous sont données par le riche savoir médicinal des communautés locales et des peuples indigènes basés sur leur environnement. Les scientifiques occidentaux sont souvent accusés de biopiraterie lorsqu'ils s'approprient non seulement les remèdes chimiques dérivés des forêts humides, mais aussi le savoir traditionnel des shamans et des guérisseurs qui ont maîtrisé l'utilisation des matériaux locaux pour des problèmes de santé. Ceci constitue un vol à la fois physique et intellectuel puisque les chercheurs brevètent alors le savoir indigène. De façon fondamentale, cela va à l'encontre de la plupart des systèmes indigènes de valeurs, lesquels tendent à consacrer des systèmes de gestion collective de la biodiversité et la connaissance de cette biodiversité.

Tepezcohuite

* Fiche Signalétique:"L'arbre de la peau", tepezcohuite (Mimosa tenuiflora) est un arbre épineux qui présente une large distribution géographique, mais ce n'est que dans des zones très localisées du Chiapas, au Mexique, que l'espèce possède des propriétés cicatrisantes. L'écorce rôtie du tepezcohuite a été utilisée par les Mayas depuis le 10ème siècle pour traiter les lésions de la peau. Encore utilisée dans la région aujourd'hui, elle est particulièrement efficace pour la cicatrisation des brûlures. En 1984, la terrible explosion d'une usine de gaz dans la ville de Mexico laissa 500 morts et 5000 brûlés graves. Ceci sollicita à l'extrême les capacités médicales de la ville. Ils se tournèrent vers le tepezcohuite pour traiter les brûlures sur le conseil du Dr Leon Roque qui avait été élevé au Chiapas et était familier avec son usage traditionnel. Plus tard, Roque sortit le tepezcohuite du Chiapas pour le vendre sur le marché global. Ses propriétés anti-inflammatoires, anti-bactériennes, anesthésiques et régénérantes pour l'épiderme lui valurent le surnom de "plante miracle" et il fut classé comme élément de l'héritage national du Mexique.

* Brevets: En 1986, le Dr. Leon Roque posta une demande de brevet à Mexico couvrant la poudre obtenue à partir de l'écorce brûlée du tepezcohuite. En 1989, il obtint un brevet américain sur cette poudre (US 4,883,663). En 1992, Jacques Dupoy de Guitaard et Julio Tellez Perez reçurent un brevet américain (US 5,122, 374) couvrant l'ingrédient actif de l'écorce de tepezcohuite ainsi qu'une méthode d'extraction et d'isolation de celui-ci grâce à des solvants, en plus de l'utilisation de ces extraits dans des compositions pharmaceutiques. Les deux brevets ont également été déposés en Europe.

* Implications: Le brevet du Dr Leon Roque sur la poudre du tepezcohuite décrit son utilisation traditionnelle, la seule addition étant une étape stérilisante. Ceci, en fait, a pour conséquence que toute la poudre produite de façon traditionnelle contrevient aux droits du détenteur de ce brevet. Roque approcha un industriel, Jorge Santillan, qui affirme aujourd'hui avoir obtenu du gouvernement mexicain un monopole sur la production du tepezcohuite. Sa compagnie commerciale exploite et produit cet arbre dans deux Etats et recherche des marchés étrangers dans le domaine des cosmétiques. Pendant ce temps, pour les habitants du Chiapas les prix se sont envolés et les ressources sauvages ont été mises à sac. Les communautés ont non seulement subi l'appropriation de leur savoir, mais aussi l'appropriation d'une partie du maigre territoire où le Mimosa tenuiflora pousse. Pour conserver un accès à cet arbre, les autochtones devront entrer en confrontation avec ceux qui le commercialisent pour le marché mexicain.

Hoodia

* Fiche Signalétique: L'hoodia et le Tricocaulon sont deux plantes succulentes très similaires, originaires d'Afrique du Sud. Connues traditionnellement sous le nom de Ghaap, elles ont longtemps été utilisées par les bergers San et Khoi dans les environnements très arides de l'Afrique du Sud pour réduire la faim et la soif. L'Armée Sud Africaine a également utilisé ces plantes comme réducteurs d'appétit. Le CSIR, l'une des plus larges institutions de recherche scientifique et technologique d'Afrique et la firme britannique Company Phytopharm ont conclu un accord pour développer un réducteur d'appétit (baptisé "P57") dérivé de l'hoodia. L'obésité est l'un des problèmes majeurs dans les pays développés. Avec de 35 à 65 millions de personnes obèses aux USA seulement, le marché potentiel pour les réducteurs d'appétit est vaste.

* Brevet: La demande de brevet international, déposée sous le numéro W0 9846243 vise l'obtention d'un monopole sur l'utilisation de l'agent réducteur d'appétit contenu dans les extraits d'hoodia et de Trichocaulon et sur son utilisation dans les produits pharmaceutiques réducteurs d'appétit.

* Implications: Le réducteur d'appétit dérivé de l'hoodia promet de larges profits aux institutions de recherche impliquées dans son développement. Le CSIR escompte gagner des royalties sur ce qu'il décrit comme " des centaines de millions de Rands par an sur la durée de vie du brevet". Phytopharma a reçu 35 millions de Pfizer, lequel en retour espère toucher 3000 millions de US$ par an de ce produit. Alors que le CSIR dit qu'il investira l'argent qu'il reçoit dans l'organisation, aucune proportion des redevances projetées n'a été prévue pour la conservation, ni un quelconque partage de bénéfices avec les détenteurs du savoir traditionnel concernant cette plante. La culture de celle-ci est effectuée par des exploitants agricoles versés dans le commerce, et non par ceux qui ont préservé et maintenu cette plante, ni par des paysans pauvres en ressources. Ceci entre en conflit avec la politique de l'Afrique du Sud qui requiert que la bioprospection stimule le développement économique parmi les sections les plus désavantagées de la population. Des questions, sur les mécanismes actuels par lesquels la commercialisation des extraits d'hoodia contribuera à la conservation de la biodiversité, restent en suspens.

Turmérique

* Fiche Signalétique: Pour de nombreuses personnes en Inde, le turmérique, Curcuma longa, est un remède magique pour tous les maux. La racine orange est originaire du sous-continent et a été utilisée pendant des milliers d'années pour traiter des entorses, des conditions inflammatoires et cicatriser des blessures. Le Turmérique est l'un des composants clés de la médecine ayurvédique.

*Brevets: En 1995, deux scientifiques américains de l'Université du Mississipi se sont vus accorder un brevet US 5, 401, 504 sur l'utilisation du turmérique pour cicatriser les plaies, affirmant que ceci était nouveau. Dans leur demande de brevet, ils reconnaissent que " le turmérique a été utilisé depuis longtemps en Inde en tant que médicament traditionnel pour le traitement de diverses torsions et conditions inflammatoires". Toutefois, ils se prévalent de l'absence de recherche sur l'usage du turmérique en tant qu'agent cicatrisant pour des blessures externes. Le gouvernement indien attaqua le brevet en tant que vol patent et fournit des documents à l'infini, antérieurs au brevet, établissant que le turmérique avait été utilisé depuis longtemps en Inde pour cicatriser les blessures. Confrontés à cette confondante évidence, le Bureau Américain des Brevets et des Marques rejeta les six demandes de brevet concernées.

* Implications: Le brevet américain aurait empêché les firmes indiennes de vendre aux USA le turmérique pour cicatriser les plaies. Si le gouvernement américain avait réussi à imposer des régimes de brevet plus forts dans d'autres pays, y compris en Inde, ce brevet aurait aujourd'hui rendu illégale en Inde la commercialisation du turmérique. L'Inde s'est exprimée sur ce problème dans les forums internationaux, tels que l'OMC. Le gouvernement indien fit opposition au brevet par principe et il est de plus en plus concerné par la biopiraterie d'autres ressources naturelles par des sociétés étrangères. Les communautés locales sont déjà les victimes d'un accès réduit à cette ressource traditionnelle en raison de la forte augmentation de son prix sur le marché. La demande de brevet est définitivement rejetée.

Ayahuasca

* Fiche Signalétique: Les peuples indigènes du bassin de l'Amazone cultivent l'ayahuasca (Banisteriopsis cappil) pour un usage médical et des cérémonies religieuses. Il est central à la culture de nombreux groupes de la région. Selon leur cosmologie, c'est une plante sacrée qui leur a conféré leurs connaissances sur la nature, sur les traitements de nombreuses maladies, et qui leur offre des hallucinations qui "montrent le passé et le futur ".

* Brevets: Le citoyen américain Loren Miller annonça publiquement avoir "découvert" une nouvelle variété de Banisteropsis dans le jardin d'une maison en Equateur et en 1986, la société Plant Medicine Corporation se vit accorder le brevet américain PP05751 sur celle-ci. Le brevet attribuait le droit exclusif de vendre et de développer de nouvelles variétés de cette plante. La société entama le développement de médicaments psychiatriques et cardio-vasculaires dérivés de l'Ayahuasca. L'intention de Miller était d'établir un laboratoire en Amazonie équatoriale. Le Bureau de co-ordination des Organisations des Peuples Indigènes du Bassin de l'Amazonie (COICA) attaqua le brevet sur les fondements de manque de nouveauté, dès lors que la variété brevetée par Miller avait été domestiquée par leurs populations depuis des siècles. En mai 1997, le cinquième congrès de la COICA décida de lancer une campagne d'information du Public. Il déclara Miller, ennemi des peuples indigènes de l'Amazone, lui interdisant l'entrée de leurs territoires et avertissant Miller qu'il ne pouvait pas garantir sa sécurité personnelle dans l'hypothèse où ce dernier y pénétrerait. En novembre 1999, les poursuites légales entamées par la COICA aboutirent à l'annulation du brevet.

* Implications: Conformément aux règles de la Convention sur la Diversité Biologique, à laquelle l'Equateur est partie, chaque nation exerce sa souveraineté sur ses ressources biologiques et possède le droit de légiférer sur l'accès à celles-ci. Dès lors, à moins que Miller ne puisse prouver qu'il a obtenu les plantes avec une autorisation officielle, son brevet contrevient à la loi équatorienne. Il contreviendrait aussi au droit des communautés d'exercer un contrôle sur leurs ressources propres, d'être informées au préalable des buts et de la portée des extractions et d'y donner leur consentement préalable. Le fait que l'Ayahuasca soit sacrée signifie que la tentative de la breveter était particulière- ment aggressive envers les peuples indigènes concernés, lesquels l'ont perçue comme une grave attaque culturelle.

BREVETS SUR LES PERSONNES

Dès lors que la brevetabilité du Vivant est acceptée - micro-organismes, plantes, animaux- il n'y a plus moyen de maintenir la porte fermée à la brevetabilité des gènes humains, des cellules, des organes et autres parties du corps humain. Des demandes récentes de brevet ont tenté d'établir un droit de propriété sur des cellules humaines, sur la rate d'un homme dans un cas, et sur les cellules des cordons ombilicaux de tous les bébés dans un autre. L'idée que les gènes humains puissent être classés par la loi comme "invention" a provoqué un énorme débat éthique. Nos lois sur les brevets sont des instruments puissants pour réguler le contrôle des technologies et des marchés. Doivent-elles être utilisées, sans contestation, pour diriger le chemin futur de l'Humanité? Les scientifiques et les compagnies en faisant usage peuvent-ils posséder des droits de propriété sur les gens, ou sur des "inventions" qu'ils ne sont pas à même de décrire? Les hommes sont-ils simplement des séquences d'ADN qui ont une application industrielle? La brevetabilité de la vie humaine - gènes, séquences, constructions cellulaires, lignes cellulaires, et même des parties du corps et les moyens de programmer les traits de nos enfants - constitue l'aspect le plus controversé de la brevetabilité du vivant et l'un des plus importants débats de notre époque.

La Rate de John Moore

* Fiche Signalétique: En 1976, un citoyen américain du nom de John Moore subit une opération chirurgicale à l'Université de Californie. Il souffrait d'une forme rare de leucémie et les docteurs devaient lui enlever sa rate cancéreuse. Malgré le fait que, préalablement à l'opération, il ait signé un formulaire de consentement qui prévoyait la destruction de sa rate après qu'elle lui ait été enlevée, son médecin cultiva quelques tissus et cellules issus de celle-ci qui produirent une protéine particulière. Moore resta dans l'ignorance de tout ceci jusqu'à ce que son avocat l'informe que son médecin avait obtenu un brevet sur une ligne cellulaire prélevée sur son corps. Plus tard, Moore entendit le médecin faire référence à lui en parlant de sa "mine d'or".

* Brevets: Le médecin de Moore obtint le brevet 4,483, 032 pour la ligne cellulaire- baptisée"Mo"- prélevée sur la rate de Moore, affirmant qu'elle produisait des composants pharmaceutiques très utiles dans la thérapie du cancer. La valeur commerciale à long terme de cette ligne cellulaire fut estimée à plus de trois milliards de dollars. La compagnie pharmaceutique suisse Sandoz acheta les droits exclusifs pour l'exploitation commerciale du brevet pour un montant rapporté de 15millions de dollars. Moore se senti profondément trahi et demanda le retour de ses cellules et le contrôle sur les parties issues de son corps. Cependant, la Cour Suprême de Californie décida qu'il ne pouvait pas lui être reconnu de droits sur ses propres cellules lorsque celles-ci avaient déjà été ôtées de son corps.

* Implications: Ce brevet est unique, dès lors qu'il est le premier à avoir été attribué sur des gènes humains alors que l'innocent "donneur" de l'"invention" était non seulement vivant, mais également capable de discuter de ses sentiments sur le fait d'avoir été breveté. Selon les propres mots de Moore, "En fin de compte, tout un chacun fut protégé et récompensé: le chercheur, le physicien, l'entrepreneur, et même la Science. Mais je n'en savais rien. Qu'étais-je? La déshumanisation d'avoir ses propres cellules transportées en certains lieux et pour des fins que l'on ignore, peut être très, très douloureuse." Certains accusent Moore d'entraver une recherche utile sur le cancer en réclamant des droits sur ses propres cellules, mais ils oublient qu'il aurait pu souhaiter faire don de ses cellules à la médecine si on avait songé à le lui demander. Ces tendances actuelles dans le système de développement des brevets sont inacceptables dès lors qu'elles valident, encouragent et légalisent l'avidité spéculative, l'immoralité et l'injustice dans l'appropriation des parties du corps humain par les grandes compagnies commerciales, comme le démontre le cas de John Moore. Ce brevet est aujourd'hui éteint.

Les Porteurs Africains du Virus HIV

* Fiche Signalétique:Le virus HIV qui cause l'AIDS semble être originaire d'Afrique. Sang, salive et autres cellules prélevés sur des prostituées au Kenya, sur des villageois de la savane de l'Afrique de l'Ouest, et autres porteurs du virus HIV ont été "récoltés" pour des échantillons d'ADN par des chercheurs occidentaux essayant de trouver une source d'immunité qui pourrait mener à un vaccin ou à d'autres moyens d'arrêter une épidémie.

* Brevets: En 1991, l'Institut Pasteur, basé à Paris, qui proclama être le premier à avoir identifié le virus HIV, se vit accorder le brevet américain numéro 5,019,510 portant sur un mutant du virus HIV-1. Celui-ci est considéré comme étant une source utile d'anti-gènes pour des vaccins et pour détecter des anticorps contre les rétrovirus. Cette souche du HIV-1 fut isolée à partir d'un "donneur" gabonais en 1986.

* Implications: Ce n'est qu'un cas d'espèce parmi tant d'autres concernant les brevets relatifs au virus HIV, portant sur des lignes cellulaires prélevées sur des porteurs africains. Il demeure incertain qu'ils aient donné leur consentement avant de devenir des donneurs et encore moins qu'ils aient accepté de devenir l'objet de brevets, une fois que leurs cellules ont été mises en culture par des instituts de recherche aux USA et en Europe. Toutefois, la plus grande injustice concernant ces brevets reste que ces africains ont peu de chance de bénéficier de cette recherche. La recherche sur le Sida représente le secteur le plus lucratif de l'industrie pharmaceutique. Les marges de profit sur les thérapies actuelles atteignent un taux de 70% avant distribution. Cependant, alors que plus de la moitié des 22 millions de porteurs du virus HIV vivent aujourd'hui en Afrique, le coût actuel de la tri-thérapie est 30 fois supérieur au revenu annuel moyen sur le continent. Les brevets augmentent le prix des médicaments, lesquels représentent déjà un marché de 2,3 milliards de dollars US dans les pays industrialisés. L'Industrie Pharmaceutique a activement usé de pressions pour conserver les thérapies du Sida hors d'atteinte pour la plupart des Africains. Le gouvernement d'Afrique du Sud, dans une tentative pour soulager les souffrances causées par l'épidémie de SIDA dans ce pays, a encouragé les entreprises locales à produire et à distribuer des médicaments génériques moins chers. Entre 1997 et 1999, les compagnies pharmaceutiques dominantes persuadèrent le gouvernement américain de menacer l'Afrique du Sud de sanctions commerciales parce que leurs brevets n'étaient pas respectés. La position prise par le gouvernement Sud Africain, avec le soutien du lobby américain des activistes du Sida, réussit à embarrasser le gouvernement américain qui recula, bien que les compagnies défendent encore leurs brevets. Les U.S.A continuent d'empêcher l'Organisation Mondiale de la Santé de développer des médicaments basés sur des brevets de traitements médicaux détenus par le gouvernement américain, y compris pour des substances identifiées sur la liste des produits essentiels (WHO) comme cruciales pour résoudre des crises de santé. Voici l'un des exemples les plus limpides qui démontre comment les brevets, dans la recherche médicale d'importance majeure, excluent la majorité de la population du Monde d'un accès aux progrès réalisés en matière de traitements médicaux.

Le Génome Humain

* Fiche signalétique: l'année 1990 vit le lancement du Projet sur le Génome Humain, une initiative publique destinée à établir la carte et les séquences de tous les gènes existant dans un corps humain "moyen". Cette tentative d'obtenir "un décalque complet de l'Humain" donnera un regard intérieur sans précédent sur les mécanismes génétiques des maladies. Les énormes marchés potentiels existant pour les outils de diagnostique et les produits pharmaceutiques laissaient prévoir que le Secteur Privé n'était pas loin derrière. En 1992, la compagnie Human Genome Sciences fut créée, avec l'espoir de bénéficier des développements sur les séquences des gènes humains. Ainsi commença une course contre la montre pour cartographier le génome humain. D'un côté, figurent des institutions publiques de recherche appartenant à 18 pays, soumises à la publication des séquences de gènes sur des bases de données accessibles par Internet, dès qu'elles parviennent à décoder ces séquences. En compétition avec elles, plus d'une douzaine de sociétés privées constituées pour la recherche sur le génome et leurs clients, les compagnies multinationales, les géants du Secteur Pharmaceutique. Ces dernières capitalisent sur l'information publiée par le Secteur Public et par les séquences qu'elles décodent elles-mêmes, grâce à des demandes de brevets et à des bases de données sophistiquées et d'un coût exorbitant portant sur le génome. L'une de ces compagnies, Celera Genomics, surgit sur le devant de la scène. Son affirmation de pouvoir mettre en séquences l'ensemble du génome humain en moins de temps qu'il n'en faudrait au Secteur Public et ceci, avec une fraction des frais nécessaires à ce dernier, conduisit à un gonflement des cotations en bourse.

* Brevets:Le génome humain est constitué par peut-être plus de 140 000 gènes. Quelques-uns de ceux-ci peuvent être reliés à un certain nombre de maladies, et certaines de ces maladies disposent d'un marché considérable- que ce soit pour des outils de diagnostique ou pour des thérapies. Les USA ont attribué des brevets sur des séquences de gènes dès les années 1980. En ce qui concerne les bureaux des brevets, la brevetabilité des gènes - le résultat le plus immédiat de l'effort de déchiffrage des séquences - n'a pas été acceptée. Les compagnies commerciales n'ont pas été découragées par ces limitations. A la fin de 1999, la Société Human Genome Sciences avait déposé des demandes de brevets pour plus de 6 450 séquences entières de gènes humains, Incyte avait déposé des demandes de brevets pour environ 50 000 gènes humains individuels et Celera avait déposé des demandes de "brevets préliminaires" pour plus de 6 500 séquences partielles de gènes humains.

* Implications: Une section importante et croissante de la communauté scientifique est sérieusement alarmée par les contraintes que les brevets sur les gènes imposent déjà à leur recherche. En 1998, le président de l'Académie Nationale des Sciences des Etats-Unis a exprimé son inquiétude envers le fait que les brevets soient en train d'être utilisés de manière à " créer des obstacles dans la conquête des maladies humaines". Les brevets sur les gènes sont utilisés pour sculpter de larges monopoles de marché. Ainsi, au début de l'année 2000, la compagnie américaine Myriad Genetics, fondée sur deux brevets portant chacun sur un gène porteur du cancer du sein, a tenté d'empêcher 15 laboratoires britanniques, fonctionnant sur des fonds publics, d'exécuter des tests génétiques de détection du cancer du sein pour la moitié du prix que Myriad réclamait. Si les demandes de brevets visant les séquences de gènes humains sont acceptées, et il y a peu d'indices aujourd'hui pour suggérer qu'elles ne le seront pas, les implications pour la recherche médicale et pour la mide à disposition des traitements pour les gens ordinaires seront énormes. Des négociations entre le Human Genome Project et Celera Genomics sur une éventuelle collaboration future ont échoué en février 2000, après que Celera ait fait clairement part de son intention "d'établir une totale position de monopole sur le génome humain pour une durée d'au moins cinq ans." Le Dr John Sulston du Human Genome Project attira l'attention sur le danger que des politiciens soient persuadés de réduire les fonds publics attribués au Projet sur le Génome Humain, en pensant que celui-ci pourrait être laissé entre les mains des compagnies privées. En mars 2000, le Président américain Bill Clinton et le Premier Ministre anglais, Tony Blair, répondant à une inquiétude croissante du public, firent un plaidoyer pour maintenir le génome humain dans le domaine public. Les actions en bourse des compagnies de biotechnologie s'effritèrent. Il ne fallut que quelques semaines pour que Bill Clinton réassure l'industrie et ses investisseurs, leur promettant en privé qu'il n'avait nullement l'intention de suggérer un changement quelconque dans la politique américaine sur les brevets. A la lumière de ceci, il est difficile de croire que la participation du président de Celera, Craigh Venter, à l'annonce pompeuse faite par Clinton-Blair de la compilation d'un document de travail sur le génome humain, ait été tout au plus une simple politesse.

La Diversité Génétique Humaine

* Fiche Signalétique: Suite à un an de controverse nationale, le gouvernement de l'Islande a approuvé une loi concernant une Base de Données dans le secteur de la Santé en janvier 2000.

Celle-ci accordait à DeCODE Genetics du Delaware, USA, créée par un chercheur islandais, un monopole de 12 ans sur l'exploitation commerciale d'une base de données centralisée contenant des informations sur la santé de personnes non identifiables. Les données du secteur de la santé sont uniques en ce qu'elles relient les données du génome aux dossiers de santé des populations. L'Islande est l'endroit parfait pour ce projet. Non seulement, l'île est restée relativement isolée pendant quelques siècles, mais les Islandais ont systématiquement collectionné leurs dossiers de santé depuis 1915, et remonter l'arbre généalogique jusqu'aux premiers colons est un passe-temps national. Bien avant d'être certain de la licence, DeCODE avait déjà signé un contrat de 200 millions de dollars avec la société pharmaceutique suisse, le géant, Hoffman La Roche pour un travail d'identification de gènes qui visait les populations de l'Islande. En échange, DeCODE devait fournir aux Islandais, gratuitement, tout médicament développé grâce aux bases de données.

* Brevet: Les différences génétiques dans la susceptibilité aux maladies et dans la réponse aux médicaments ont été liées à de petites variations dans les gènes, connues sous le sigle d' SNP. Des populations isolées telles que les habitants de Tristan Da Cunha, les Guayamis, les habitants des Iles Salomon et les Islandais présentent de fortes fréquences de ces variations. Les Guayamis, peuple de Panama, et les résidents des Iles Salomon ont vu leurs lignes cellulaires faire l'objet de brevets détenus par le gouvernement américain. Quand ces personnes s'aperçurent que le fait d'accepter de donner des échantillons de sang signifiait devenir l'objet d'une demande de brevet, sans leur consentement préalable, elles protestèrent, naturellement. Dans certains cas, les objections des communautés locales, avec le support des ONGs, a conduit au retrait de ces demandes de brevet. Toutefois, la pratique de breveter des cellules particulières provenant de populations humaines spécifiques au bénéfice d'un chercheur donné ou d'une société commerciale, se poursuit et augmente même puisque le percement du génome humain avance.

En décembre 1999, le Bureau Américain des Brevets et des Marques stipula que lorsque les SNP pouvaient être mis en relation avec une condition génétique, ils étaient brevetables. La porte avait été ouverte à toute volée à la prospection et à la commercialisation de la diversité génétique humaine.

* Implications: Un problème très sérieux lié à la base de données visée en Islande, réside dans le fait que les dossiers personnels de santé soient utilisés dans une opération commerciale sans le consentement des intéressés. Les Islandais doivent expressément s'exclure eux-mêmes des données, sinon ils y sont inclus par défaut. Pour Mannvernd, une coalition de scientifiques, de médecins et d'autres citoyens islandais concernés, cette loi enfreint le respect des droits de l'Homme, de la vie privée, elle n'aménage aucun contrôle, éthique ou scientifique, sur son application en matière d'information, et elle met en danger la liberté des investigations scientifiques. Aux environs de la mi-mars, plus de 17 000 Islandais avaient refusé de figurer sur la base de données. Malheureusement, les profits prédominent sur les droits de l'homme. En dépit du débat enflammé en Islande, la base de données du Secteur de la Santé sert maintenant de modèles à d'autres pays. Gemini a l'intention d'établir un contrat similaire avec les Etats du Newfoundland et du Labrador au Canada, et le Conseil de la Recherche Médicale de Grande-Bretagne vient d'élaborer une base de données similaire, faisant ses débuts avec 500 000 volontaires. Des groupes du Sud, génétiquement et culturellement distincts, sont réellement exposés à l'inclusion, dans des bases de données aux USA, de l'information portant sur leur génome et sur leur culture, sans leur consentement. Cela veut dire que toute société pharmaceutique qui veut obtenir ces bases de données peut acheter des droits exclusifs sur celles-ci grâce à la pure puissance des dollars. A moins, qu'une action politique forte ne soit entamée maintenant, l'espoir de toucher d'importants profits associés à de nouvelles technologies "bioinformatiques" transformera en relique du passé le concept même de consentement préalable après information.

Les Cordons Ombilicaux Humains

* Fiche Signalétique: Les propriétés particulières des cellules sanguines des cordons ombilicaux sont largement connues des cercles médicaux. Les cellules sanguines issues du cordon ombilical des nouveau-nés présentent un intérêt dans la médecine classique de transplantation et en thérapie génétique. Ces cellules ont une importance particulière pour la recherche visant les cellules du sang et la transplantation de la moelle des os.

* Brevets: La société Biocyte Corporation, basée aux USA, rachetée plus tard par Avicord, obtint le brevet européen EP 343 217 sur les cellules sanguines du cordon ombilical des fœtus et des nouveaux-nés.

L' "invention" toute nouvelle du détenteur du brevet se résumait à avoir isolé et congelé les cellules. Le brevet conférait à Biocyte/Avicord le monopole du contrôle sur l'extraction et l'utilisation de ces cellules et sur toute thérapie développée en connexion avec elles. Cela signifiait que Biocyte pouvait refuser l'accès à ces cellules sanguines et leur utilisation, ainsi que l'utilisation de tout produit thérapeutique dérivé de ces cellules, à toute personne ou entité non désireuse ou dans l'incapacité de payer les redevances réclamées. De surcroît, obtenir le consentement des sujets sur lesquels sont prélevées de telles cellules, est bien évidemment impossible.

* Implications: Le brevet fut attaqué par des groupes européens d'intérêt public, sur le fondement que la Convention Européenne sur les Brevets interdisait les brevets sur les processus thérapeutiques et de diagnostique. Les opposants au brevet avançaient aussi qu'il n'y avait pas d'étape inventive en l'espèce et que de plus, ce brevet constituait une atteinte à la moralité et à l'ordre public. Eurocord, une alliance des médecins opérant des transplantations attaqua également le brevet. La Société Internationale de Transplantation proclame qu' "aucune partie du corps humain ne peut être commercialisée" et que "les dons d'organes et de cellules devraient être libres et anonymes". Eurocord soutient que: "Nous déplorons toute tentative de breveter une méthode de traitement des patients souffrant de maladies du sang, qui ne relève pas de la pharmacologie, et nous recommandons que les cliniciens et les scientifiques se dissocient des brevets de ce type, que ceux-ci soient déjà accordés ou simplement déposés pour approbation". En juin 1999, le Bureau Européen des Brevets renversa sa décision, déclarant que "l'invention" était la manifestation de pratiques déjà existantes et que dès lors elle ne représentait rien de nouveau. Par conséquent, ce brevet était retiré. Biocyte fait actuellement appel de cette dernière décision.

 

Grain (Genetic Resources Action International) est une ONG qui fait la promotion de la gestion et de l'utilisation durables de la biodiversité agricole, basées sur le contrôle des populations sur leurs ressources génétiques ainsi que sur le savoir local, avec une emphase spéciale sur les pays en voie de développement. Les brevets sur le Vivant fragilisent de façon fondamentale le contrôle des populations sur leurs ressources et leurs moyens d'existence et piratent les systèmes de savoir collectif des communautés locales de bien des parties du monde.

Nos sources incluent plusieurs communiqués de RAFI, the Rural Advancement Foundation International, les originaux des brevets, le courrier périodique Seedling de GRAIN, ainsi que des documents obtenus des mouvements "Global 2000" et de "No Patent on Life Coalition". Pour la contribution qu'ils lui ont apportée, GRAIN manifeste toute sa reconnaissance à Janet Bell, Hope Shand de RAFI, Rachel Wynberg de Biowatch et Silvia Rodriguez de CAMBIOS. Nous apprécions la communication de tout avis et commentaire sur ce document. Ceci est la troisième édition actualisée, publiée en août 2000, du rapport intitulé "Brevets, Pirates et Promesses perverties". Les versions anglaises et espagnoles de ce rapport sont disponibles.

 

Pour de plus amples informations, contactez:

GRAIN
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Versions en Anglais et en Espagnol disponibles.

Cette traduction a été assurée par Nathalie Whitfield-Pimbert.

Author: GRAIN
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