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Le niébé et le sorgho : nouvelle frontière dans l'expansion de l’agro-industrie

by GRAIN et Laboratoire de Génétique Ecologique, Université d’Abomey, Calavi (Benin) | 21 Mar 2016

 

Récolte des gousses de niébé (Photo : IITA)

Après le coton génétiquement modifié (GM), c'est le tour des aliments GM de faire leur entrée en Afrique de l'Ouest. Actuellement, les cibles des multinationales en Afrique sont le niébé et le sorgho, deux plantes alimentaires les plus cultivées dans les régions semi-arides et arides. Ces cultures sont moins exigeantes en eau, et tolèrent la pauvreté des sols. De ce fait, elles sont mieux adaptées aux modifications actuelles des conditions climatiques, et elles contribuent de façon significative à la souveraineté alimentaire.

Le niébé est l’une des cultures les plus anciennes originaires de l’Afrique, constituant la première source d’alimentation pour des millions d’africains pendant la période de soudure, avant que les céréales n’arrivent à maturité. Il joue aussi un rôle important dans l'équilibre nutritionnel des populations rurales et plus particulièrement dans la lutte contre la déficience protéinique des enfants. Certains n’hésitent pas à l’appeler la viande des pauvres.

A côté des variétés locales paysannes, il existe actuellement dans la sous-région, plusieurs variétés améliorées par les instituts de recherche nationaux et internationaux. C'est dans ce contexte de cohabitation de variétés paysannes locales et de variétés améliorées que les industries semencières des OGM convoitent les marchés des semences de niébé en Afrique. La Fondation africaine de technologie agricole (AATF en anglais), une organisation pro-OGM basée à Nairobi (Kenya) extrêmement influente et disposant de ressources considérables, est le fer de lance d’un projet de niébé GM visant le Nigeria, le Ghana et le Burkina Faso, les trois pays africains à grande diversité, et ayant les plus grandes productions de ces graines.

Au cours des dix dernières années, la culture du niébé a sensiblement augmenté au Burkina Faso, au Ghana et au Nigéria, bien qu’il s’agisse de semences locales en culture traditionnelle. Ces pays à fort rendement, qui détiennent la plupart de la diversité variétale cultivée et sauvage, sont les cibles des firmes pro-OGMs, avec le soutien de l’AATF. Le niébé GM n’est pas encore produit commercialement, mais des essais à un stade avancé sur le terrain sont en cours au Nigéria et au Burkina Faso. Des demandes d’applications commerciales sont attendues dès 2016, ce qui rendrait les semences de niébé GM disponibles, à la vente aux exploitants dans le courant de l’année 2017. Au Ghana, selon The African Center for Biodiversity, les essais de terrain se déroulent depuis 2012. Le projet pour la création du niébé GM a été financé par The Rockefeller Foundation, United States Agency for International Development et le Département britannique pour le Développement International.

Dans le cas du sorgho, cette culture joue un rôle très important dans l'alimentation dans les régions tropicales et subtropicales de l’Afrique, de l’Asie et de l’Amérique centrale. Le sorgho est l’aliment de base de 500 millions de personnes dans plus de 30 pays de la zone tropicale semi-aride. Outre l’alimentation humaine qui est le principal domaine d’utilisation du sorgho en Afrique et en Asie, les demandes des produits du sorgho deviennent de plus en plus fortes pour le fourrage et d’autres usages industriels tels que la production de sirop et de biocarburant.

Le Projet de sorgho GM Africa Biofortified Sorghum, d’une seconde génération de sorgho génétiquement modifié, a été financé par une subvention quinquennale de la Bill and Melinda Gates Foundation, d’un montant de 18,6 millions de dollars. Ce financement a permis aux chercheurs de Dupont Pioneer de mettre au point une variété de sorgho GM pour l’Afrique.

Le gouvernement Sud-africain, premier pays Africain à accepté les OGM, a refusé l’approbation d’essais du sorgho GM, même en serre, dans son pays. Face à ce refus de l’Afrique du Sud, Robert Paarlberg, professeur de Sciences politiques à Wellesley College aux Etats-Unis, s’est exprimé en ces termes : « L’Afrique du Sud a voulu redoubler de prudence avec le sorgho, à cause de l’existence de parents sauvages en Afrique. Les responsables voulaient examiner les questions relatives aux flux de gènes », reconnaissant ainsi que cette zone de prédilection du sorgho est une zone de forte diversité. Toutefois, il ajoute que « ce serait dommage que des risques pour la biodiversité non prouvés et non documentés bloquent le projet (de sorgho biofortifié)». Il écarte de ce fait, tous les arguments de possibilité de flux de gêne entre le sorgho GM et les variétés locales.

Face au refus de l’Afrique du Sud, les promoteurs des OGM se sont tournés vers le Burkina Faso, où le sorgho est la première céréale la plus produite. Ce fut un pays bien choisi, car de là, ils peuvent rapidement atteindre le Mali et le Niger, les pays sahéliens qui ont cette céréale comme base alimentaire. De ces trois pays, la diffusion des semences se fera ensuite sans problème dans toute la région Ouest Africaine. Le Burkina Faso est donc un pays stratégique  en Afrique de l’Ouest pour ces firmes. La sécurité alimentaire de plus de 750 millions de personnes qui vivent dans ces régions arides et semi-arides, ayant le niébé ou le sorgho comme aliment de base, vont ainsi dépendre d’eux.

Avec les OGM, les multinationales cherchent à mettre la main sur les aliments de base en Afrique et remplacer les semences locales avec des semences industrielles. Si les OGM se répandaient dans toute la zone ou ces cultures traditionnelles sont cultivées, ils pourraient décimer la biodiversité agricole et les semences paysannes qui soutiennent l'alimentation et la résilience écologique des communautés rurales en Afrique.

Télécharger le rapport complet : « Les OGM dans l’alimentation en Afrique de l’Ouest : cas du niébé et du sorgho »

 

Author: GRAIN et Laboratoire de Génétique Ecologique, Université d’Abomey, Calavi (Benin)