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Lois sur les semences: Travers et limites

by Niels Louwaars | 25 Jul 2005

Niels Louwaars

La plupart des pays du monde ont mis en place une forme ou une autre de loi ou de mécanisme de réglementation des semences. Dans les pays du Sud, ces systèmes s’inspirent largement des modèles des Etats-Unis ou de l’Union européenne. Niels Louwaars, un chercheur néerlandais du Centre de ressources génétiques des Pays-Bas, étudie et analyse les lois sur les semences dans les pays en développement depuis 1992. Il fournit ici un aperçu du fonctionnement de ces systèmes et met l’accent sur quelques questions clefs relatives à la diversité et aux besoins des petits agriculteurs.

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Les lois sur les semences visent à promouvoir la qualité des variétés et des semences, et par ce moyen « protègent » les agriculteurs en évitant qu’ils plantent des semences de qualité inférieure. En même temps, elles établissent les règles du marché pour les différents fournisseurs de semences, destinées à créer ainsi un ‘terrain de jeu équitable’. Les lois sur les semences mettent donc en place le cadre institutionnel des organes nationaux des semences et des agences de certification et elles réglementent les procédures et les normes pour:

•   Les systèmes d’autorisation de diffusion des variétés , visant à faire que seules les variétés ayant une valeur attestée soient mises à la disposition des agriculteurs via le système officiel de semences.[1]

•   La certification des semences , visant à contrôler l’identité et la pureté variétales tout le long de la chaîne des semences.

•    Le contrôle de la qualité des semences , vérifiant les autres caractéristiques des semences comme leur viabilité, leur pureté et leur état sanitaire.[2] Le contrôle de la qualité des semences vise aussi à protéger les producteurs de semences honnêtes de la concurrence exercée par des collègues moins scrupuleux.

Différents systèmes nationaux

Les structures de réglementation qui ont été développées dans divers pays reflètent différents niveaux d’implication du gouvernement. En Amérique du Nord, par exemple, la certification est souvent une démarche facultative, et la mise en circulation d’une variété est entièrement sous la responsabilité de la compagnie. Cela reflète une confiance généralisée dans les effets régulateurs du marché. L’idée est que les fournisseurs de semences de moindre qualité seront sanctionnés par les clients qui déclineront l’offre de leurs produits, et les clients réclameront une marque si celle-ci a donné la preuve de sa qualité. D’autre part, dans divers pays européens, les institutions publiques ont développé une obligation significative et un soutien légal pour ‘surveiller’ la qualité des semences, c’est à dire vérifier toutes les semences du marché et interdire les lots de semences de qualité inférieure. Dans certains pays, comme les Pays-Bas, les agences de certification sont organisées comme des établissements indépendants gérés par des organisations d’agriculteurs, de producteurs de semences et de sélectionneurs, mais celles-ci opèrent strictement à l’intérieur du cadre national légal, exactement comme les agences publiques dans d’autres pays. Dans plusieurs pays, il y a une tendance manifeste à certifier les procédures internes de contrôle de qualité plutôt que de vérifier chaque lot de semences.

Dans la plupart des pays en développement, la production officielle de semences s’est organisée comme partie intégrante du paradigme de stratégie verticale du développement agricole, dans lequel on pense que la sélection des plantes peut accroître les rendements potentiels des cultures, et où la production de semences est considérée comme le vecteur nécessaire du transfert technologique. Dans l’approche de la révolution verte, les semences et autres apports sont considérés comme subsidiaires afin de faciliter l’adoption de nouvelles variétés et des technologies qui y sont associées. Dans ce paradigme, des unités centralisées de production de semences ont été construites dans de nombreux pays sous forme d’institutions ou d’entreprises publiques ressemblant aux entreprise de semences privées européennes ou nord-américaines. Ces secteurs formels des semences ont par la suite développé des institutions spécialisées dans le contrôle de la qualité des semences pour créer une sensibilisation à la qualité à la fois chez les producteurs de semences et les consommateurs, et pour sauvegarder les intérêts des agriculteurs, tout comme le font les agences officielles de certification des semences dans le Nord. A l’ère de la privatisation des institutions publiques à la fin des années 80, suivant les politiques d’ajustement structurel, ces institutions de contrôle de la qualité des semences sont devenues les forces de proposition pour l’organisation de la législation sur les semences dans le Sud.[3] Une telle législation était destinée à fournir à ces institutions un soutien légal, estimé nécessaire à l’accomplissement de ses tâches de contrôle, en particulier avec les nouveaux producteurs privés de semences. C’est pourquoi beaucoup de lois sur les semences du Sud ressemblent fortement à celles du Nord. Cependant, alors que dans le Nord les intérêts des agriculteurs ont été souvent fortement représentés dans les systèmes de contrôle de qualité des semences, cela n’a pas été le cas dans plusieurs pays du Sud.[4] Les réglementations sur les semences ont été fixées dans les structures bureaucratiques existantes et imposées à la fois aux producteurs et aux utilisateurs de semences.

Inscription et vérification d’une variété : Travers habituels

Le processus d’autorisation de diffusion d’une variété inclut en général les étapes suivantes[5]:

•   demande auprès d’un comité officiel d’autorisation de diffusion des variétés et inscription de la variété, comprenant sa description;

•   vérification de la valeur agronomique et technologique (VAT) de la variété, comprenant un nombre prescrit de sites et de saisons ;

•   vérification des critères de distinction, homogénéité et stabilité (DHS) ; et enfin

•    analyse des résultats des tests par le comité, amenant à l’accord ou au refus de l’autorisation de diffusion officielle.

Dans chacune de ces étapes, il peut y avoir une tendance à favoriser des types particuliers de variétés.[6]

La demande d’autorisation de diffusion d’une variété implique généralement le paiement de droits. La tendance mondiale à la réduction des dépenses publiques signifie que, dans la plupart des pays aujourd’hui, le demandeur doit financer le processus de vérification en payant des droits. Le résultat est qu’à la fois les obtenteurs  publics et privés limitent le nombre de variétés qu’ils soumettent à autorisation de diffusion officielle à celles qui seront probablement performantes dans tous les lieux où elles seront testées. Des variétés présentant un caractère spécifique d’adaptation à des niches agroécologiques particulières ou à des besoins spécifiques ont beaucoup moins de chances d’être présentées. Cela contribue à la tendance à multiplier en priorité des variétés s’adaptant partout plutôt que des variétés qui conviennent aux différentes caractéristiques des environnements de la plupart des petits agriculteurs.[7]

La façon dont de nombreux systèmes de contrôle des variétés sont menés réduit encore plus le nombre de variétés approuvées. Des niveaux élevés d’intrants sont souvent utilisés pour améliorer l’essai d’un point de vue statistique. Parfois, c’est aussi un choix délibéré de représenter les conditions des « meilleurs agriculteurs » et d’inciter les autres à suivre leur exemple. De même, des niveaux élevés d’intrants donnent de ‘magnifiques cultures’ qui rendent un essai présentable pour les visiteurs. Mais ces apports abondants d’engrais et de pesticides dissimulent les variations environnementales dans l’essai, réduisant ainsi la variation résiduelle qui pourrait sinon retarder l’autorisation de diffusion ou complètement l’empêcher. Cependant, ce niveau élevé d’intrants est une raison majeure du faible intérêt des résultats des essais pour les agriculteurs, et par conséquent pour la portée des résultats de la sélection opérée par le secteur public. Par exemple, il est peu probable que les résultats officiels des essais sur le sorgho en Inde soient valables pour la majorité des agriculteurs quand les rendements moyens des essais de 1989/90 représentaient trois fois les rendements moyens des agriculteurs.[8]

L’évaluation des essais utilisant les méthodes de la simple analyse statistique conduit à favoriser des approches de sélection pour une adaptation large. Comme les essais sont rassemblés dans un seul calcul, la variété ayant le rendement moyen le plus haut est considérée comme la meilleure. Pourtant, elle peut ne pas être la meilleure variété dans tous les sites où elle a été testée. Les procédures standards d’ autorisation de diffusion des variétés acceptent rarement une variété spécifiquement adaptée à des conditions particulières, même si les listes nationales de variétés peuvent contenir des recommandations régionales.

Le système d’essais peut aussi être défavorable à la sélection à cause d’une résistance (horizontale) partielle, qui dans la plupart des cas est polygénique et plus durable. De telles variétés sont résistantes, mais ne sont pas immunisées contre la maladie et c’est pourquoi elles présentent en général les symptômes de la maladie, et pour cette raison sont susceptibles d’être rejetées par le système d’autorisation de diffusion, même si elles sont homogènes. De plus, la petite taille des parcelles dédiées à la recherche rend difficile l’identification d’une résistance horizontale.

L’évaluation des essais sur les variétés par les comités d’autorisation de diffusion est en général entièrement axée sur les quantités, avec pour résultat que seul le rendement devient le critère décisif. Des caractéristiques importantes pour les petits agriculteurs peuvent ne pas être prises en compte, parmi lesquelles, par exemple, l’aptitude d’une variété à être associée à d’autres cultures, à l’égrenage, (pour les grains de soja par exemple), ou au stockage quand la récolte est retardée (pour le maïs par exemple), le temps de cuisson du produit (par exemple pour les haricots), et le rendement et la qualité des produits secondaires (la paille pour la construction ou le fourrage). La sélection tend ainsi à se concentrer sur le seul rendement, sans tenir compte des divers besoins des agriculteurs.

Les comités d’autorisation de diffusion des variétés considèrent en général la productivité d’une semence certifiée comme un critère important. Il faut qu’un variété soit morphologiquement identifiable et donc ‘distincte’ des variétés existantes, et ‘stable’. Les deux facteurs contribuent au besoin d’un certain niveau d’homogénéité génétique. Les normes d’homogénéité des systèmes de certification des semences sont en général très élevées, ne permettant qu’un ou quelques douzaines de plants hors-type par hectare. Autoriser la diffusion des variétés dans un système de certification des semences implique donc une sélection visant l’homogénéité, même quand celle-ci n’a pas d’avantage agronomique.

Finalement, l’absence de participation et de transparence dans le système fermé de l’autorisation de diffusion officielle des variétés conduisent à une conception et à une gestion des essais conservatrices. Des essais de démonstration parallèles menés par les services techniques de vulgarisation, des organisations non gouvernementales (ONG) ou par des compagnies de semences privées n’ont été pris en compte dans la décision de mise en circulation que récemment dans de nombreux pays. Les essais de variétés menés de manière officielle à la ferme deviennent de plus en plus populaires dans les systèmes d’autorisation de diffusion des variétés. Cependant, cette évolution contribue difficilement  à autoriser la diffusion de variétés plus adaptées car de tels essais à la ferme sont soit entièrement gérés par les chercheurs, et sont ainsi similaires aux essais en station de recherche, soit les résultats ne peuvent pas être facilement analysés statistiquement, ce qui aboutit souvent à leur rejet. Les observations non-quantitatives des agriculteurs peuvent certes être prises en compte, mais sont difficiles à inclure dans des rapports statistiques. Dans les pays en développement, les agriculteurs sont rarement bien représentés dans les comités d’ autorisation de diffusion des variétés ou dans l’évaluation des variétés.

L’autorisation de diffusion des variétés peut devenir un but en elle-même quand les systèmes de réglementation sont trop rigides. L’autorisation de diffusion devient le critère servant à mesurer l’efficacité des programmes publics de sélection végétale. Les sélectionneurs sont en général reconnus sur le nombre de variétés autorisées à la diffusion, et non sur la généralisation de leur utilisation par les agriculteurs. C’est pourquoi les objectifs des sélectionneurs de plantes risquent de s’adapter à la procédure d’autorisation de diffusion des variétés plutôt qu’aux besoins des agriculteurs.

En bref, les procédures standards d’autorisation de diffusion des variétés se résument en général dans l’accord donné à quelques variétés homogènes et largement adaptées qui ne répondent pas aux divers besoins des agriculteurs.

La certification et le contrôle de la qualité des semences

La certification et le contrôle de la qualité des semences sont destinées à aider les agriculteurs qui achètent des semences, car on peut difficilement apprécier la variété et la qualité d’une semence par une simple observation de la semence elle-même.

La certification des semences suit toute une série de contrôles, où l’identité et la pureté de la variété sont vérifiées à partir de la toute première génération (appelée communément « semence de l’obtenteur ») à travers un nombre prescrit de générations jusqu’à aboutir finalement à des quantités suffisantes de semences pouvant être distribuées aux agriculteurs. Chaque génération de semence a ses propres procédures et normes, qui sont contrôlées par des vérifications, des documents, et dans les champs de production de semences. Les normes comprennent, par exemple, la distance existant avec les champs voisins cultivant la même plante ou avec des mauvaises herbes qui pourraient se croiser avec elle, le nombre de hors-types permis, etc. La certification implique aussi des procédures strictes pour l’étiquetage et l’emballage des paquets de semences. La certification des semences requiert ainsi un système officiel très organisé, et est généralement réservé à des variétés bien décrites et stables.

La certification va de pair avec un contrôle de la qualité des semences dans lequel les qualités les plus importantes pour une semence - la viabilité, la pureté et la qualité sanitaire - sont testées dans un laboratoire, utilisant habituellement les procédures harmonisées au niveau international de l’Organisation de la coopération et du développement économiques (OCDE) ou celles de l’Association internationale d’essais de semences (ISTA)

Tout ceci a un effet manifeste sur les stratégies de la sélection. Selon les règles de la certification, les variétés doivent être stables de manière à établir leur identité variétale. Seules les variétés homogènes peuvent fournir ce degré de stabilité. La certification et le contrôle de qualité des semences est aussi une opération assez coûteuse et qui prend du temps. Le niveau requis d’administration et le coût induit rendent très difficile pour les pays le travail de contrôle de toutes les semences produites et utilisées. Dans les pays en développement, il arrive très souvent que seuls 10% des semences utilisées soient en fait certifiés, alors que la plus grosse quantité est produite par les agriculteurs eux-mêmes.

Les lois sur les semences

Les lois sur les semences, au sommet de toutes ces opérations, réglementent les procédures et les normes pour l’autorisation de diffusion des variétés, et la certification et le contrôle de la qualité des semences. Beaucoup d’entre elles sont destinées à organiser le système officiel des semences mais ont des effets qui vont bien au-delà. Beaucoup de lois sur les semences des anciennes républiques soviétiques, par exemple, prescrivent que toutes les semences (utilisées ou plantées) doivent être certifiées, ce qui en fait interdit la conservation des semences produites à la ferme.

Plus courante, cependant, est la règle qui stipule que seule la semence commercialisée doit être inscrite et certifiée. C’est le cas dans les lois sur les semences du Cameroun, du Niger, du Sénégal et de nombreux autres pays. Dans la plupart de ces lois, le terme « commercialisée » n’est pas défini. Les lois sur les semences d’Afrique du Sud et du Malawi précisent que l’échange et le troc sont compris dans le terme « vente ». Cela signifie que même l’échange informel de semences entre agriculteurs est interdit la-bas.

Dans la plupart de ces lois lourdes de conséquences, comme celles citées plus haut, le terme « semence » est employé au sens large, signifiant n’importe quelle partie d’une espèce végétale quelconque. Tous ces pays n’ont pas encore les équipements opérationnels pour tester les variétés, les autoriser à la diffusion, et certifier et contrôler les semences. Certains pays stipulent donc en plus que ces règles ne s’appliquent qu’à un certain nombre de plantes cultivées et/ou de variétés qu’ils désignent sous le terme de « prescrites » (Zambie, Malawi) ou « notifiées » (Inde, Bangladesh) ou « réglementées » (Indonésie). En pratique, cela veut dire que les lois sur les semences ne s’appliquent qu’à certaines plantes cultivées dans ces pays-là. Cependant, comme toutes les principales espèces cultivées alimentaires sont habituellement listées, il est possible que des problèmes importants surgissent avec les initiatives sur les semences prises au niveau des communautés locales utilisant des variétés locales ou des semences non-certifiées.

Dans certains cas cependant, le secteur officiel des semences est réglementé tout en évitant qu’il interfère avec les systèmes de semences produites par les agriculteurs. L’Indonésie prévoit une dispense particulière pour les semences produites à la ferme et commercialisées à l’intérieur du village, ce qui permet au moins une ouverture à la production et à la diffusion des semences locales. Dans certains pays, les lois s’appliquent seulement aux semences empaquetées et certifiées, sans toucher au système des semences produites par les agriculteurs. Elles protègent en fait le label des semences et le réservent aux semences réellement contrôlées : les semences ne doivent pas être vendues en tant que « semences certifiées par le gouvernement » (Corée) ou « semences testées par le gouvernement » (Botswana). La loi du Maroc réserve elle le mot « semence » pour les seules semences contrôlées.

Une solution au dilemme que représente le contrôle des semences commercialisées, tout en permettant aux systèmes des semences paysannes de prospérer, est d’adopter un système facultatif de contrôle des variétés et des semences à la place de l’autorisation de diffusion obligatoire pour les variétés, la certification et le test des semences. Le système facultatif peut soutenir le secteur privé tout en laissant de la place aux initiatives locales. De cette manière, les producteurs de semences ont le choix d’avoir ou non leurs variétés officiellement recommandées et leurs lots de semences certifiés et testés, et les agriculteurs ont le choix d’acheter des semences présentant ou non le label de la certification officielle. Ce système fonctionne dans plusieurs endroits des Etats-Unis, où les lois sur les semences réglementent simplement les demandes de label dans le commerce des semences (« label de confiance »), alors qu’ailleurs, les règles des associations de semences introduisent « de facto » une sorte de système de contrôle de qualité obligatoire. Les agriculteurs peuvent compter sur une semence ayant une marque et ainsi sur l’information et la loyauté de la compagnie de semences. Les opposants à cette approche signalent l’absence de compétition sur le marché des semences dans la plupart des pays en développement, ce qui n’incite pas à fournir des semences de qualité. De même, les agriculteurs illettrés pourraient ne pas être capables de comprendre l’information donnée par l’étiquette et être induits en erreur. Les contrôles facultatifs de semences pourraient ainsi faciliter les fournisseurs de semences peu scrupuleux.

Une alternative est d’inclure les catégories de semences non-certifiées dans un système par ailleurs obligatoire. Par exemple, l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) essaie de faciliter cette approche par le biais du concept de « semences de qualité déclarée », qui demande moins de contrôles lourds. De même, certains pays établissent des listes ou des catégories différentes de semences commerciales, avec des exigences et des contrôles moins contraignants pour certains types de variétés.

L’impact de ces lois sur les semences

Le cadre conventionnel de réglementation des semences qui fonctionne dans de nombreux pays en développement entraîne toute une série de conséquences pour les acteurs du secteur des semences. Ces acteurs sont les agriculteurs qui produisent et échangent des semences à la fois de variétés locales et de variétés dites améliorées, et les acteurs des secteurs public et privé dans les différentes étapes de l’ensemble de la chaîne formelle de la semence.

Plusieurs activités ordinaires des systèmes de semences diversifiés deviennent illégales avec les lois conventionnelles strictes sur les semences, comme les activités suivantes :

•   les systèmes de semences produites par les agriculteurs, quand elles impliquent la production et l’échange au niveau local de semences non-testées de variétés qui, dans de nombreux cas, n’ont pas reçu l’autorisation de diffusion

•   le réapprovisionnement de la diversité génétique après une catastrophe

•   la sélection végétale participative, qui repose sur la dissémination informelle de nouvelles sélections (sans autorisation de diffusion))

•   l’organisation de foires aux semences, qui visent à partager les semences et plants adaptés localement.

Il existe quelques cas où la loi sur les semences a vraiment été utilisée pour arrêter les pratiques traditionnelles des systèmes de semences produites par les agriculteurs ou des initiatives touchant aux semences dans des organisations de la société civile. Un de ces cas a eu lieu au Zimbabwe, où une ONG a été obligée de cesser sa production d’une semence de maïs non-hybride produite pour être utilisée en urgence au Mozambique touché par la guerre. Les agriculteurs du Zimbabwe ont commencé a se rendre compte de la valeur de ce maïs, mais la loi sur les semences du Zimbabwe interdit la commercialisation d’une semence de maïs population. L’ONG fut alors obligée de mettre fin à l’opération.

Un autre cas a eu lieu en Indonésie. Pendant le régime de Suharto, les agriculteurs indonésiens de Java ont été obligés par la loi sur les semences de planter uniquement des variétés de riz « à haut rendement » de catégories très particulières. L’argument était de réduire le niveau du taux de ‘brown plant hopper’ (ndt : maladie causée par un insecte piqueur, Nilaparvata lugens Stal.) par le développement de gènes de résistance.

Des techniciens agricoles ont rapporté que des responsables du gouvernement sont arrivés et ont incendié ou déraciné les champs où les agriculteurs avaient persisté à planter leurs variétés traditionnelles.

Assez souvent, c’est la mise en œuvre plus que les termes mêmes de la loi qui pose problème. Le facteur le plus important est sans doute l’inefficacité des institutions. Leurs procédures peuvent mener à des retards excessifs dans la diffusion des variétés ou des lots de semences. Par exemple, aucune variété n’a été autorisée à la diffusion au Yémen depuis plusieurs années parce que les membres du comité d’autorisation des variétés n’arrivent pas à s’entendre sur leurs objectifs. En Indonésie, la production de semences certifiées de soja est difficilement possible car le temps passé à échantillonner, tester et rendre compte des résultats est tellement long que la qualité des semences se détériore au delà des limites acceptables.

Un autre problème peut se rencontrer dans l’établissement des normes sur les semences. Des normes élevées de qualité des semences peuvent entraîner un fort taux de refus des variétés qui sont parfois suspendues à volonté de manière à répondre aux demandes des programmes de développement du gouvernement.

Enfin, de nombreux systèmes nationaux de contrôle des semences manquent de transparence. La certification obligatoire des semences peut susciter la recherche de rente, en particulier quand les inspections sont faites par des employés de l’état sous-payés.

Une réforme de la réglementation sur les semences ?

La diversité des systèmes d’organisation des semences demande un réexamen des structures de réglementation des semences dans les pays en développement. D’un point de vue gouvernemental, ces structures doivent concilier des politiques nationales différentes et parfois conflictuelles, comme :

•   la promotion des investissements du secteur privé[9], impliquant une avancée vers une harmonisation internationale ;

•   la promotion de la participation active des ONG et des groupements d’agriculteurs[10] ;

•   la réduction de la perte de la diversité génétique dans les fermes[11] ;

•   la réduction des dépenses publiques dans la sélection, la production et le contrôle des semences, et la commercialisation[12] ; et

•   le maintien d’un niveau minimum de protection des consommateurs.

Cependant, ces réformes peuvent être assez difficiles à réaliser.

Il peut être difficile pour les autorités ou les services chargés de la certification des semences d’avoir affaire à différentes manières de produire des semences ou de gérer leur qualité. Même si les réglementations sur les semences sont destinées à garantir la qualité des semences, de nombreux inspecteurs voient leur rôle comme un rôle de « surveillance » des producteurs et des négociants de semences afin de maintenir certaines semences en dehors du marché. Dans quelques pays cependant, les agences de certification estiment que leur rôle de promouvoir la qualité des semences prévaut sur leurs fonctions de contrôle. L’Institut de certification et de contrôle des semences de Zambie, par exemple, met en avant l’introduction de « semences de qualité déclarée » dans ses réglementations. Cela leur permet d’assouplir les procédures de certification et d’interpréter les normes de qualité avec plus de flexibilité. Malheureusement, dans beaucoup d’autres pays, les organismes de certification des semences se cantonnent dans les règles qui leur ont été données et ne peuvent pas jouer de rôle dans la promotion de nouvelles initiatives, quoique l’exemple zambien soit maintenant aussi suivi dans d’autres pays (comme le Sri Lanka, la Thaïlande).

Au niveau de l’autorisation de diffusion des variétés, les comités sont chargés de choisir les variétés appropriées à planter s’inscrivant dans le cadre de la sécurité alimentaire nationale et des politiques de modernisation agricole. Ils sont souvent dirigés par les directeurs des instituts de recherche et des organismes gouvernementaux, et sont habituellement guidés par des procédures et des normes strictes, y compris pour les résultats des essais de variétés. Des problèmes peuvent survenir quand des petites entreprises de semences essaient de produire des variétés de semences adaptées à des conditions et à des goûts spécifiques d’une région ou d’un village particulier. De telles variétés peuvent ne pas donner de meilleurs résultats que les variétés « vérifiées » dans des essais opérés sur tout le territoire national ou encore elles peuvent être développées pour des caractéristiques pour lesquelles le comité n’a pas reçu d’instruction pour en tenir compte.

A un niveau politique plus large, de plus en plus de pays reconnaissent l’importance des systèmes de semences produites par les agriculteurs. Cependant, les pressions opérées au niveau international pour introduire les droits de propriété intellectuelle (DPI) peuvent contrebalancer l’impact de lois sur les semences plus ouvertes. Les lois sur les DPI, comme les brevets ou les droits des obtenteurs (généralement basé sur l’une des conventions de l’UPOV) sont destinées à empêcher les agriculteurs de partager les semences des variétés protégées, même là où des lois ouvertes sur les semences, conçues pour soutenir les systèmes de semences produites par les agriculteurs, laissent aux agriculteurs une certaine liberté de le faire.

Conclusion

Les systèmes de semences produites par les agriculteurs et les systèmes officiels de semences ont des fonctions complémentaires dans le soutien au développement agricole et à la gestion des ressources génétiques des plantes. Les structures de réglementation des semences apportent les cadres légaux à l’intérieur desquels les deux systèmes fonctionnent même si dans la plupart des pays ils sont destinés à réglementer seulement le système officiel.

La portée de ces lois détermine, dans une grande mesure, le degré de liberté dont les agriculteurs disposent pour gérer leurs propres semences, c’est à dire les plantes cultivées auxquelles les lois s’appliquent et les types de semences qui sont réglementés. De plus, le degré de mise en application des lois diffère de manière significative selon les pays, donnant parfois aux ONG, et même aux institutions officielles (comme celles qui certifient les semences), la possibilité de soutenir différentes manières de produire des semences. Cependant, les réformes des institutions officielles peuvent être lourdes et se heurteront à une opposition intérieure. En outre, la pression pour la mise en place de nouvelles politiques internationales, comme celles promouvant l’introduction des droits de propriété intellectuelle, pèsera aussi sur toute réforme de ces lois sur les semences.

En résumé : problèmes liés à la manière dont les variétés enregistrées sont choisies.

Les systèmes d’autorisation de diffusion des variétés sélectionnent, par des tests en champs, celles des variétés dont la valeur est avérée. Cependant, les tests en champs signifient généralement que les agriculteurs n’obtiendront pas les variétés appropriées :

1 - Les frais engagés font en sorte que la sélection se fait sur des variétés qui produisent bien dans de nombreux environnements agroécologiques.

2 - Un niveau élevé d’intrants (engrais et pesticides) est utilisé pour fournir les conditions optimales, ce qui est irréaliste. Il est aussi utilisé dans l’espoir d’encourager les agriculteurs à recourir à l’emploi d’un même niveau d’intrants.

3  - Une simple analyse statistique aboutit à faire la moyenne des hauts rendements sur un grand nombre d’environnements différents, même si ça pourrait ne pas être ce qu’il y a de mieux.

4 – Les variétés présentant une résistance partielle aux nuisibles et aux maladies qui est souvent plus durable ne sont en général pas identifiées dans ces essais.

5 – Seul le rendement est considéré pour sélectionner les meilleures variétés et non les nombreux critères répondant aux besoins des agriculteurs.

6 – Les variétés sont choisies pour être homogènes , même là où cela n’a aucun avantage agronomique.

7 - L’absence de participation des agriculteurs et l’absence de transparence font que les variétés sont choisies par les chercheurs, et non par les agriculteurs.

8 – Les sélectionneurs sont reconnus sur le nombre de nouvelles variétés, non sur leur réussite auprès des agriculteurs (surfaces où elles sont plantées).

 


[1] Louwaars, N.P., 2002. Variety Controls. In: Niels P. Louwaars (Ed). Seed Policy, Legislation and Law; widening a narrow focus. Binghamtom NY, Food Products Press, The Haworth Press, p. 131-153.

[2] Tripp, R., 1997. New seeds and old laws. London: Intermediate Technology Publications.

[3] Louwaars, N.P. and G.A.M. van Marrewijk, 1996. Seed Supply Systems in Developing Countries. Wageningen: CTA

[4] Tripp, R., 1997. New seeds and old laws. London: Intermediate Technology Publications

[5] Louwaars, N.P., 2002. Variety Controls. In: Niels P. Louwaars (Ed). Seed Policy, Legislation and Law; widening a narrow focus. Binghamtom NY, Food Products Press, The Haworth Press, p. 131-153.

[6] Louwaars, N.P., 1997 . Regulatory aspects of breeding for field resistance in crops. Biotechnology and Development Monitor 33, 6-8.

[7] Ceccarelli, S. 1989. Wide adaptation: how wide? Euphytica 40, 197-205.

[8] Virk, D.S, A.J. Packwood & J.R. Witcombe, 1996. Varietal Testing and Popularisation and Research Linkages. Discussion papers series. Centre for Arid Zone Studies, Bangor, 27 p

[9] Jaffé, W. & J. Srivastava, 1994. The roles of the private and public sectors in enhancing the performance of seed systems. The World Bank Research Observer 9, 97-117

[10] Wiggins, S. & E. Cromwell, 1995. NGOs and seed provision to smallholders in developing countries. World Development 23, 413-422.

[11] Boef, W.de, K. Amanor, K. Wellard & A Bebbington (Eds),1993. Cultivating knowledge; Genetic diversity, farmer experimentation and crop research. London, Intermediate Technology Publications.

[12] Thirtle, C. & R. Echeverria, 1994. Privatisation and the roles of public and private institutions in agricultural research in sub-saharaan Africa. Food Policy 19, 31-44

Author: Niels Louwaars