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Les marchés paysans en Colombie

by Bulletin international Nyéléni | 4 Apr 2013

(Cette article est tiré de la dernière édition de bulletin international Nyéléni)

Depuis la fin des années 1940, la Colombie a vu se succéder au pouvoir une longue série de gouvernements parmi les plus anti-paysans du monde. Les échanges de tirs entre l’armée, les escadrons de la mort paramilitaires, les narcotrafiquants, les soldats de la guérilla et les forces gouvernementales ont causé la mort de plusieurs centaines de milliers de paysans. Beaucoup d’autres ont dû quitter leurs terres. Des décennies de propagande gouvernementale anti-communiste ont amené les citadins à assimiler le mot « campesino » (paysan) avec « subversif » , dans un climat où les liquidations extrajudiciaires de « subversifs » sont considérées comme « normales » .

Dans ces conditions, comment les organisations paysannes colombiennes - dont certaines sont membres de La Via Campesina et d’autres y sont alliées – ont-elles réussi à recueillir le soutien de la population de Bogota pour promouvoir les marchés paysans? Au milieu des années 2000, le maire de la capitale a souhaité restructurer la distribution des produits frais dans Bogota en créant une série de points de livraison « inter-nodaux » entre les producteurs ruraux et les grandes chaînes de supermarchés.

Les paysans qui approvisionnaient les marchés de gros de Bogota risquaient de perdre leur gagne-pain. Mais des universitaires basés en ville et des groupes religieux faisant la promotion de l’agriculture biologique ont mis en place une coalition rurale-urbaine et proposé à la municipalité d’ouvrir une dizaine de nouveaux marchés paysans. Le maire a d’abord rechigné, arguant que les paysans transformeraient les magnifiques places de la ville en «bidonvilles». Mais sous la pression, il a accepté de lancer un marché-pilote. A sa grande surprise, les paysans étaient ordonnés et bien organisés, et les consommateurs urbains, qui manquaient de produits frais de qualité, ont été conquis. La conjonction de ces bons résultats et des nouvelles élections municipales a amené la municipalité de Bogota à revenir sur sa décision et à accepter la création de plusieurs marchés. En 2010, quelque 2500 familles de paysans engrangeaient un chiffre d’affaire annuel de plus de 2 millions de dollars.

Construire la souveraineté alimentaire dans des conditions difficiles

Les aspects les plus intéressants de la souveraineté alimentaire ont trait aux objectifs, à l’organisation et aux réussites du mouvement paysan. L’un des objectifs était de créer des marchés dans tous les quartiers, peu importe leur classe sociale , et d’offrir des tarifs plus abordables que ceux pratiqués par les supermarchés, mais qui permettent aux paysans de dégager une marge de profitabilité, puisqu’ils se passent d’intermédiaires. Ils y sont parvenus.

Un autre objectif était de contrer la stigmatisation des paysans parmi la population citadine. Des sondages indiquent que les paysans se sont graduellement débarrassés de leur image de subversifs à éliminer, pour être perçus comme des producteurs d’aliments sains et abordables, qui sont pour cela respectés et valorisés. La coalition voulait utiliser les marchés pour organiser les paysans et bâtir leur conscience politique. Lorsqu’ils venaient vendre à Bogota, ils participaient à des séminaires sur l’élaboration des politiques publiques, et à leur retour dans leur communauté, ils demandaient d’y créer également des marchés. Ils se sont organisés en associations afin de partager les coûts de transport, et à force de pressions, ont obtenu des municipalités rurales qu’elles leur fournissent des camions afin de livrer les produits frais au marché. En fin de compte, les marchés ont aidé à promouvoir la transition vers une agriculture écologique.

Cette transition a été pilotée de façon très intelligente. Tous les fermiers bio vendent leurs produits sous une grande tente verte, et leurs prix ne doivent jamais dépasser ceux des paysans conventionnels sur les stands voisins. Sans grande surprise, les consommateurs se ruent d’abord vers la tente verte, puis se tournent vers les autres tentes lorsqu’il n’y a plus de produits bio. Lorsque les autres paysans s’intéressent à l’agriculture verte et aux techniques écologiques (personne ne les y force), les religieuses qui soutiennent la coalition les mettent en contact avec les autres paysans, qui deviennent leurs mentors en agriculture écologique.

Aujourd’hui, les marchés paysans de Bogota contribuent de façon significative à la souveraineté alimentaire et représentent un débouché très profitable pour les producteurs de quatre provinces. Ils sont un vecteur d’éducation politique, car ils dynamisent la lutte pour la souveraineté alimentaire dans toutes les municipalités, améliorent la perception des paysans dans la société et soutiennent une transition en douceur vers une agriculture écologique.

Dans de nombreux pays, un sentiment de désespoir nous envahit et nous craignons que la souveraineté alimentaire ne soit jamais vraiment adoptée. Nos gouvernements semblent trop hostiles à l’égard des paysans et bien trop proches des grands joueurs de l’agro-alimentaire comme Carrefour. Lorsque nous sommes découragés, nous devrions penser à l’expérience de Bogota. Si la souveraineté alimentaire a pu être défendue en Colombie, alors d’autres succès sont possibles partout ailleurs.

Pour plus d’informations sur les marchés paysans de Bogota, visitez ce site www.ilsa.org.co (en espagnol)

Author: Bulletin international Nyéléni
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