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Dix bonnes raisons de ne pas adhérer à l'UPOV

by Fondation Gaia et GRAIN | 25 May 1998

 

Dix bonnes raisons de ne pas adhérer à l'UPOV

Fondation Gaia et GRAIN

Commerce Mondial et Biodiversité en Conflit

No. 2, Mai 1998

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L'Union pour la Protection des Obtentions Végétales (UPOV) rassemble 37 pays sous un régime commun protégeant les intérêts des obtenteurs. Bien qu'elle ait été créée en 1961, l'UPOV n'a pas jouit d'une grande popularité en dehors des pays industrialisés. Cette situation est cependant en pleine évolution.

Les pressions visant à étendre la législation sur les droits de propriété intellectuelle (DPI) liés à la biodiversité aux pays en développement se font chaque jour plus fortes. Pour certains pays, cela signifie se voir placé sur la "liste de surveillance" Super 301 des Etats-Unis répertoriant les "mauvais joueurs" du libre échange. Pour d'autres pays, la pression provient des ministères du commerce chargés d'appliquer l'accord signé au terme de la ronde de négociation du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade, soit Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce) qui s'est tenue en Uruguay. Pratiquement aux quatre coins du monde, l'on affirme aux pays en développement que les brevets et autres formes de DPI sont des atouts essentiels pour stimuler l'investissement dans les biotechnologies, lesquelles sont censées servir leurs économies et améliorer leur sécurité alimentaire. Cet argumentaire est profondément erroné. La seule motivation qui justifie la campagne globale en faveur des DPI est l'augmentation des profits des firmes transnationales basées au Nord.

Parmi les diverses formes de DPI figurent les droits sur les obtentions végétales, qui sont imposés aux pays en développement avec une certaine agressivité. Présentées comme une version "allégée" du régime des brevets, les lois sur les obtentions végétales sont aussi compromettantes que les brevets industriels sur la biodiversité, et elles constituent aussi une menace pour les droits des communautés agricoles et des autres collectivités locales.

L'Accord sur les Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce (ADPIC; en anglais, Trade-Related Aspects of Intellectual Property Rights Agreement, TRIPs) de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) exige des pays en développement qu'ils instaurent une protection soit par brevet soit par un système sui generis (original) pour la propriété des variétés végétales avant l'an 2000. Les pays les moins développés doivent remplir la même obligation avant l'an 2005. L'UPOV est actuellement mise en avant comme la solution idéale pour remplir l'obligation des ADPIC. Bien que l'Accord sur les ADPIC ne se réfère nullement à l'UPOV, celle-ci voudrait convaincre chaque pays en développement qu'adhérer à l'Union est la manière la plus simple et la plus logique d'être en conformité avec le régime de commerce défini par l'OMC.

Les pressions exercées sur les pays en développement pour ratifier la Convention de l'UPOV se sont multipliées en avril dernier en raison de l'entrée en vigueur de l'Acte de 1991 de la Convention de l'UPOV. Cet Acte octroie des droits exclusifs très forts aux obtenteurs et ne prévoit rien en retour pour les agriculteurs. Les pays souhaitant adhérer à une version plus modérée de l'UPOV, à savoir la Convention de 1978, ont jusqu'en avril 1999 pour le faire. Les gouvernements pourraient bien être tentés d'adhérer à l'UPOV avant cette date butoir puisqu'elle coïncide savamment avec leur obligation courante d'appliquer les ADPIC. Ceci étant, 1999 est aussi l'année où l'option sui generis des ADPIC doit être officiellement révisée.

Ce document, que plusieurs décennies d'expérience internationale sur ces types de systèmes sui generis ont inspiré, explore le "côté obscur" du système de l'UPOV et de la protection qu'il offre aux généticiens des plantes. Il expose dix raisons pour lesquelles les pays devraient résolument éviter le piège de l'UPOV et se servir de la Révision de 1999 de l'Accord sur les ADPIC comme d'une opportunité légitime d'extraire la biodiversité de l'emprise de l'OMC.

 

"Les DPI semblent freiner la libre circulation des échanges de matériel génétique, ralentir la diffusion du nouveau savoir, contrarier l'équilibre entre la recherche fondamentale et appliquée, et nuire à l'intégrité scientifique."

Charles E Hess,
Agronome, Université de California-Davis (1993)1

 

1. Introduction

Les pays en développement sont actuellement soumis à de fortes pressions pour instaurer des droits de propriété intellectuelle (DPI) sur les variétés végétales. Bien que l'histoire récente des DPI appliqués aux plantes et aux ressources biologiques témoigne d'une atteinte à la biodiversité dans le Nord et d'une augmentation des monopoles corporatifs sur la chaîne alimentaire, les pays du Sud sont contraints d'emprunter la même voie. Le principal point d'ancrage de ces pressions est aujourd'hui l'Accord sur les Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce de l'OMC. Les ADPIC exigent des tous les pays membres de l'OMC qu'ils protègent les droits privés sur les variétés végétales soit par brevet soit par un système effectif sui generis.²

Le Droit d'Obtention Végétale (DOV) représente une forme parmi d'autres de droits sui generis sur les variétés végétales. Il a été élaboré en Europe à la fin des années 50 pour accorder aux généticiens des plantes un droit équivalent au brevet. La remarque de Hess, citée ci-dessus, repose sur des années d'observation des conséquences de ce type précis de DOV aux USA. Son nom lui-même est trompeur: au lieu de protéger les variétés, le DOV protège en fait les intérêts des grandes compagnies d'amélioration végétale et de biotechnologie.

Le DOV a donné lieu à des débats controversés bien avant les avancées des biotechnologies commerciales et, en fait, bien avant les pressions plus récentes de l'industrie en faveur de la brevetabilité intégrale du vivant. Dans les années 70, les ONG ont commencé à sensibiliser la population aux effets d'un double désastre. Elles ont signalé que l'érosion génétique en agriculture prenait des proportions considérables, particulièrement dans les foyers de diversité agricole du Sud, et que les stocks de semences mondiaux étaient en train de passer sous le contrôle de quelques firmes agrochimiques. L'uniformité génétique qui en résulte en agriculture représente à elle seule une véritable catastrophe. Les monocultures étant très vulnérables aux insectes et aux maladies, les agriculteurs sont obligés d'utiliser des poisons pour produire notre nourriture. La domination de l'économie alimentaire mondiale par les firmes est tout aussi dangereuse, puisque les options pour les producteurs aussi bien que pour les consommateurs s'en trouvent considérablement réduites.

Les ONG ont identifié la législation sur les obtentions végétales comme l'un des facteurs responsables de cette érosion génétique et de l'emprise corporative. Au lieu d'inciter à l'augmentation de la diversité des stocks de semences, ces lois encourageaient les compagnies agrochimiques à revendiquer un droit de propriété sur des ressources génétiques du Sud et à contrôler les systèmes publics de recherche en agronomie dans la simple intention de faire fructifier leurs intérêts marchands à travers le monde. Les lois sur les DOV ont aussi occasionné une vague de fusions et d'acquisitions sans précédent dans le système agro-industriel au cours des années 70 et 80, entraînant la domination de la chaîne alimentaire par un groupe de compagnies de plus en plus réduit. Comme Hess le souligne, les DPI sur les ressources phytogénétiques – qu'il s'agisse de brevets ou de droits sui generis – ne contribuent pas seulement à desservir les intérêts publics dans les domaines de la recherche et de l'innovation, mais ils érodent aussi l'intégrité scientifique.

Aujourd'hui, l'industrie outrage le monde avec sa biopiraterie. Des agriculteurs ont manifesté dans les rues de Delhi pour dénoncer un brevet américain sur leur riz Basmati; des pays en développement intentent des procès contre des firmes transnationales pour avoir volé leur savoir indigène sur la médecine; des scientifiques de la Révolution Verte s'insurgent face à la privatisation par des compagnies australiennes de semences qu'ils ont la responsabilité de maintenir dans le domaine public. Pendant ce temps, partout dans le monde, les téléspectateurs reçoivent leur part de reportages déroutants. La soif des corporations pour un système intégral de brevets sur le vivant – allant des gènes humains à des espèces complètes de plantes cultivées – est aujourd'hui au coeur du régime commercial mondial. L'Accord OMC-ADPIC force les pays en développement à adopter les instruments de propriété intellectuelle qui ont trahi les agriculteurs et les consommateurs du Nord.

2. UPOV: les principes fondamentaux de la protection des obtentions végétales

L'Union pour la Protection des Obtentions Végétales (UPOV) est un accord multilatéral qui a été adopté par des pays proposant des règles communes d'envergure nationale pour la reconnaissance et la protection de la propriété de généticiens des plantes sur des variétés nouvelles. Etablie en 1961, l'UPOV est passé de six membres Européens initiaux à environ 20 membres au début des années 1990. Aujourd'hui, elle compte 37 adhérents, dont plusieurs nouveaux venus d'Amérique latine. L'UPOV dispose d'un secrétariat réduit au sein de l'Organisation Mondiale sur la Propriété Intellectuelle des Nations Unies à Genève.

La Convention initiale de l'UPOV est été révisée en 1972, 1978 et 1991. Tous les membres actuels adhèrent soit à l'Acte de 1978, soit à celui de 1991, qui n'est entré en vigueur qu'en avril dernier. L'Acte de 1978 sera fermé à toute nouvelle adhésion en avril 1999.

Membres de l'UPOV en avril 1998

Acte de 1978

Asie: Japon

Europe: Autriche, Finlande, Hongrie, Norvège, Pologne, Portugal, Slovaquie, République Tchèque, Ukraine

Amérique latine et Antilles: Argentine, Chili, Colombie, Equateur, Mexique, Paraguay, Trinité & Tobago

Océanie: Australie

Acte de 1991

Afrique: Afrique du Sud

Europe: Allemagne, Belgique, Bulgarie, Danemark, Espagne, France, Irlande, Italie, Royaume-Uni, Pays-Bas, Russie, Suède, Suisse

Moyen-Orient: Israël

Amérique du Nord: Canada, Etats-Unis

Océanie: Nouvelle Zélande

Ont fait une demande pour adhérer soit à l'Acte 1978, soit à l'Acte de 1991

Afrique: Kenya, Maroc

Asie: Chine

Europe: Biélorussie, Croatie, Moldavie, Union Européenne

Amérique latine: Bolivie, Brésil, Nicaragua, Panama, Venezuela

Après cette date, tout pays désireux d'adhérer à l'UPOV doit accepter les termes de la version de 1991. Au fil des révisions successives de la Convention de l'UPOV, la protection accordée aux sélectionneurs s'est rapprochée des droits du brevet sur les plantes. La révision de 1991 a en fait été conçue pour placer le système UPOV quasiment sur le même terrain que le système des brevets. Les brevets sont des droits de monopole exclusifs sur des inventions nouvelles, d'une utilité industrielle potentielle, et non évidentes à des experts versés dans le domaine technologique concerné. En divulguant et décrivant publiquement son invention, le titulaire du brevet obtient l'autorisation légale d'empêcher quiconque de reproduire, d'utiliser ou de vendre cette invention. Les DOV s'appliquent à des variétés selon trois conditions: distinction, homogénéité et stabilité. Par "distinction", on entend simplement qu'une variété de riz, par exemple, est différente de toute autre variété. Le terme "homogénéité" signifie que toutes les plantes concernées doivent avoir les mêmes caractéristiques. La stabilité implique qu'une variété de riz présente les mêmes caractéristiques à chaque génération successive. Ainsi, les généticiens des plantes gagnent une reconnaissance en tant que créateurs de variétés végétales, tout comme les copyrights ou les brevets honorent les auteurs ou les inventeurs. C'est ainsi qu'ils obtiennent des droits de propriété exclusifs et privés sur la biodiversité.

En pratique, le droit accordé à un sélectionneur sous le régime de l'UPOV représente une protection forte. Le sélectionneur jouit du contrôle commercial absolu sur le matériel reproductif de sa variété. Cela signifie que les agriculteurs cultivant des variétés protégées ont l'interdiction de vendre les semences qu'ils ont récoltées, et, dans un nombre croissant de pays membres de l'UPOV, de conserver et d'échanger ces semences dans un but non commercial. Cela implique aussi que les agriculteurs paient des royalties à chaque achat de semences. De plus, seuls les producteurs ayant acquis une licence peuvent multiplier la variété pour la vendre. Selon les termes de l'Acte de 1978, l'UPOV reconnaît deux exceptions au monopole commercial. Les agriculteurs sont autorisés à conserver des semences pour leur propre utilisation, et les sélectionneurs peuvent librement utiliser des variétés protégées afin de développer de nouvelles variétés. Ces exemptions sont minimisées dans l'Acte de 1991.

La révision de la Convention de l'UPOV de 1991 a considérablement renforcé les droits des sélectionneurs. Cette tendance s'explique par le fait que les compagnies opérant dans le domaine du génie génétique obtiennent des droits de brevets étendus sur des gènes et des espèces. Les brevets menacent ainsi la survie économique des sélectionneurs conventionnels qui dépendent des droits d'obtention végétale. Si l'on possède un brevet sur un gène, il est très facile d'insérer ce gène dans une variété végétale et de déclarer la "nouvelle" variété comme sienne.

Les éléments controversés de l'UPOV 1991

La récolte appartient au sélectionneur:

Les pays membres de l'Acte de 1991 en arrivent à étendre le droit de monopole du sélectionneur jusqu'à la récolte de l'agriculteur. Si l'agriculteur a ensemencé son champ en utilisant une variété protégée sans avoir payé le montant des royalties, le sélectionneur est en droit de revendiquer la propriété de la récolte (du blé par exemple) ainsi que les produits issus de cette récolte (par exemple, la farine de blé). Autrement dit, les sélectionneurs ont les moyens de directement contrôler le commerce de produits transformés, des plantes ornementales et d'autres marchandises de valeur.

L'amélioration dérivée est limitée:

Toute personne utilisant une variété protégée pour sa recherche créative doit apporter des changements majeurs au génotype, sans quoi la "nouvelle" variété ne sera pas considérée comme "nouvelle" : elle sera traitée comme une variété "essentiellement dérivée", devenant la propriété du généticien initial. Selon l'UPOV, l'idée est d'éviter que des changements mineurs dans les caractéristiques d'une variété passent pour une réelle innovation. En particulier, les sélectionneurs conventionnels cherchent à dissuader les ingénieurs en génétique de prendre de variétés protégées, d'y insérer un gène nouveau, et d'obtenir ainsi un DOV sur cette "nouvelle" variété végétale.

Les agriculteurs ne peuvent librement conserver des semences pour leur utilisation personnelle:

La Convention de 1991 ne protège pas le droit des agriculteurs à utiliser librement les fruits de leur récolte pour l'ensemencement d'un champ au cycle de culture suivant. En pratique, ce droit à réutiliser les semences ne sera observé que dans les pays ayant prévu une disposition à cet effet.

Les variétés sont brevetables:

En dehors de la protection par DOV, les variétés peuvent aujourd'hui aussi être brevetées. Dans les versions précédentes de l'UPOV, cette "double protection" était expressément interdite. La spécificité du DOV pour les variétés végétales a ainsi été abandonnée.

 

3. Les ADPIC: un nouveau souffle pour l'UPOV

Les membres de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC), établie en 1994 à la clôture des négociations du GATT, sont dans l'obligation de privatiser les ressources génétiques et la biodiversité à travers les DPI sur les variétés végétales. Les pays en développement ont jusqu'en l'an 2000 pour faire passer des lois dans ce sens tandis que les pays les moins développés doivent le faire avant l'an 2005. Sous le régime OMC-ADPIC, le Sud doit rapidement étendre les lois sur les brevets aux variétés végétales ou mettre en place une forme de protection sui generis (Article 27.3b).

Le projet d'harmonisation des DPI dans le système mondial d'échanges et d'extension de ces DPI à la biodiversité s'est heurté à la résistance – parfaitement légitime – des pays du Sud. Les variétés végétales sont les semences utilisées par les agriculteurs; elles sont le fondement de la sécurité alimentaire et la base de la survie de millions de communautés. La plupart des plantes cultivées sont originaires du Sud, où les agriculteurs sélectionnent, entretiennent et conservent la diversité agricole depuis des milliers d'années. Leur travail s'est avéré être l'une des contributions primordiales à la biodiversité de la planète. L'histoire des variétés végétales que nous cultivons et consommons de nos jours pourrait être décrite comme le projet de recherche le plus étendu dans le temps et le plus innovant de l'histoire humaine. Ceci a été admis par la Convention sur la diversité biologique, qui a valeur légale, et qui a plus de signataires que l'OMC n'a de membres. Les ADPIC contrecarrent ouvertement les efforts de la Convention pour la reconnaissance des droits des agriculteurs et des communautés locales du Sud, entravant par là même les objectifs de la Convention.4

Bien que les ADPIC ne mentionnent ni l'UPOV ni les DOV, de nombreuses personnes interprètent l'option sui generis comme signifiant un système du genre de l'UPOV, puisque quelques dizaines de pays ont déjà appliqué cette interprétation à la lettre. Cependant, la majorité des experts s'accordent à dire que les pays disposent d'une importante marge de manoeuvre dans leur choix d'un système se conformant aux ADPIC.5 Néanmoins, l'entrée en vigueur de l'Acte de 1991 de l'UPOV en avril dernier signifie que dans un an, l'ancienne version de 1978 sera remplacée par la version de 1991. S'ils devaient choisir, les pays opteraient pour le système de 1978 à cause de sa plus grande flexibilité envers les agriculteurs et les sélectionneurs en matière de semences et de recherche.

Les pays n'ont aucune obligation de choisir entre ces deux options, ni de joindre l'UPOV ou de mettre en place un système de DOV par crainte de représailles commerciales édictées par l'OMC. Mais les pays en développement subissent des pressions intenses provenant des intérêts corporatifs les incitant à voir les choses autrement.

La manière dont les ADPIC peuvent être appliqués est par ailleurs compliquée par le fait qu'en 1999, l'Article 27.3(b) exigeant l'adoption de brevets ou de droits sui generis sur les variétés végétales doit être soumis à révision par les Etats membres de l'OMC. Cette étape pourrait prendre la forme d'une discussion intergouvernementale courtoise ou d'une remise en cause fondamentale de l'autorité nouvellement acquise de l'OMC sur les ressources biologiques, autorité dont elle ne jouit pas dans le cas des accords touchant à l'agriculture, l'environnement, ou encore les droits de l'homme. Un tel questionnement est de toute évidence nécessaire, comme en témoignent les rapports fréquents dans la presse d'individus protestant contre les firmes du Nord qui se déclarent propriétaires de la biodiversité du Sud. Là est le futur promis par les ADPIC, et favorisé par l'UPOV.

Aucun pays n'a le devoir d'adhérer à l'UPOV. Si l'on se positionne dans une perspective d'agriculture durable, toutes les raisons sont réunies pour ne pas adhérer à l'UPOV et pour éviter toute forme de protection sur les obtentions végétales.

4. Ce qui pose problème dans l'UPOV

Adhérer à l'UPOV ou adopter un standard équivalent de protection sui generis afin de mettre les ADPIC en application est une voie très dangereuse à suivre pour tout pays voulant s'engager en faveur de la Convention ou de l'agriculture durable. Les opinions très négatives qui se sont forgées sur l'UPOV et le fait que cette Convention ait attiré si peu de membres depuis 1961 se comprennent lorsqu'on se penche sur les conséquences directes de l'UPOV encourues par les pays industrialisés.

4.1 Ses critères conduisent à l'érosion génétique

La perte de diversité génétique dans l'agriculture anéantit la capacité des agriculteurs à adapter la production aux pressions nouvelles telles que la croissance démographique ou les changements climatiques. Les causes de l'érosion génétique sont nombreuses, mais la plus répandue est la substitution des variétés traditionnelles de souches génétiques diverses par des semences modernes génétiquement uniformes.6 L'UPOV encourage cette tendance en offrant aux puissants sélectionneurs commerciaux le droit à des monopoles par le biais des DPI. Ce droit n'est octroyé que si la variété est génétiquement uniforme. L'UPOV détermine donc automatiquement qui opère sur le marché des semences et quels types de semences sont commercialisés.

Les critères d'uniformité et de stabilité du DOV incitent les sélectionneurs à ne travailler qu'avec du matériel génétique "d'élite". Ceci signifie qu'ils ou elles recyclent du matériel d'amélioration commun et multiplient les variations sur un seul thème. Selon l'une des plus grandes associations de l'industrie de l'amélioration, moins de 7% du matériel utilisé par les sélectionneurs professionnels est "exotique". Les deux tiers de ce pourcentage proviennent des banques de gènes, et un tiers est collecté directement dans les champs des agriculteurs. Les sélectionneurs de maïs américain utilisent encore moins de matériel exotique. Ceci indique qu'aucune pression n'est exercée sur les généticiens des plantes pour qu'ils développent des variétés sur un spectre de diversité génétique plus large. Au contraire, on les incite à se concentrer sur de simples gènes pour différencier deux variétés distinctes. Cette inclination est très dangereuse pour les agriculteurs. Sous couvert de labels et de noms différents, on leur propose des semences en fait extrêmement similaires. Les pays en développement sont les moins aptes à tolérer la perte de récoltes que cette base génétique amoindrie implique.

Comme l'énonce une étude d'impact conduite aux Etats-Unis, "Bien que l'industrie des semences affirme que les investissements dans la recherche et le développement ont augmenté grâce à la protection sur les obtentions végétales, les premières données empiriques suggèrent que cette protection n'a eu un impact positif que sur le secteur privé de la recherche et du développement en amélioration végétale dans le cas de quelques plantes spécifiques", à savoir le blé et la soja.8 Il n'y a pas eu de hausse spectaculaire de la recherche pour les autres plantes. Il n'y a pas eu non plus de retombées positives pour le secteur public, dont les efforts d'amélioration sont moins ciblés que ceux de l'industrie. En fait, le secteur public a été écarté de la recherche appliquée pour acquérir un mandat de recherche de base servant l'intérêt des firmes.

Exemples de l'impact de la protection sur les obtentions végétales

Sur le "libre échange" et l'OMC:

1. Le DOV fonctionne comme une barrière commerciale non-tarifaire 9. En 1994, l'Argentine s'est vue refuser le droit d'exporter des plants de fraisiers vers l'Europe par un sélectionneur américain car ceux-ci menaçaient d'entrer en compétition avec les plants produits en Europe sous licence américaine. Comme tous les monopoles intellectuels, le DOV est une forme de protectionnisme représentant par conséquent une perturbation pour le marché.

2. Le DOV est employé comme mesure anti-compétitive.10 Les sélectionneurs de canne à sucre de l'Amérique latine enregistrent leurs variétés dans les pays voisins afin d'éviter qu'elles y soient exploitées, et de protéger, ainsi, leurs propres exportations.

3. L'UPOV opère selon un système fermé de privilèges s'appliquant uniquement à ses membres, ce qui est non conforme au principe du traitement national de l'OMC (ADPIC Art.3) au sein d'un ensemble différent de pays. 11

Sur la biodiversité et la Convention sur la diversité biologique (CDB):

1. L'uniformité génétique comme critère du DOV entraîne une perte délibérée de diversité génétique en agriculture.12 Pourtant, l'agriculture est un secteur d'activité économique important au travers duquel l'objectif "d'utilisation durable" de la Convention est censé être atteint.

2. Les droits privés de propriété intellectuelle sur les variétés végétales vont être appliqués en dépit du principe de souveraineté nationale sur la biodiversité (CDB Art.3) et des droits collectifs des communautés locales (CDB Art.8j). De nombreux pays adhèrent à la fois aux ADPIC et à la Convention, mais certains, comme la Chine et les Etats-Unis, n'en ont ratifié qu'un, ce qui promet d'engendrer des conflits juridiques au-delà des limites du contrôle national.

3. Le DOV, en particulier dans le cadre de l'Acte de 1991 de l'UPOV, ne prend en compte la diversité qu'au niveau des gènes.

Sur l'amélioration végétale:

1. Aux Etats-Unis, il est apparu que la protection sur les obtentions végétales engendrait une réduction dans les transferts d'information et de matériel génétique des compagnies privées de semences vers les institutions publiques d'amélioration végétale, tandis que le transfert du secteur public vers le secteur privé augmentait. 13

2. Contrairement aux dires des firmes, il n'existe pas de corrélation positive entre la possibilité d'accès aux DPI et l'ampleur de la recherche et du développement d'un pays à l'autre. Les Chinois sont les sélectionneurs de riz les plus à la pointe bien qu'ils ne disposent d'aucune forme de protection des obtentions végétales. Aux Etats-Unis, la protection n'a entraîné une expansion des programmes d'amélioration que pour deux espèces végétales.14

3. L'UPOV ne contribue en rien à la conservation des ressources phytogénétiques, qui est pourtant nécessaire au travail d'amélioration végétale.

Sur les droits des agriculteurs:

1. L'UPOV ne reconnaît les droits d'ordre "moral" et "économique" des sélectionneurs que lorsque ceux-ci produisent des variétés conformes aux critères de l'UPOV par des procédures édifiées par l'UPOV 15. Il y a négation des droits moraux et économiques des agriculteurs qui procurent aux scientifiques la matière première pour l'amélioration.

2. L'UPOV favorise la disparition de la très ancienne pratique paysanne qui consiste à sauvegarder les semences d'une récolte pour la saison suivante.

3. L'UPOV élimine la possibilité d'un choix sur le marché des semences en orientant l'amélioration vers un seul type d'agriculture – celle qui approvisionne les marchés internationaux, déplaçant ainsi la nourriture des marchés locaux dont dépendent les gens.

 

4.2 Les agriculteurs perdent leurs droits et leur contrôle sur les systèmes de production

Le concept de droit légal tel qu'il est défini par l'UPOV ne s'applique qu'à une poignée de généticiens des plantes conventionnels. L'UPOV se fonde sur une vision excessivement réduite de la recherche en agronomie. Les sélectionneurs conventionnels sont tout à fait conscients que les agriculteurs génèrent une diversité en croisant et sélectionnant leurs plantes. C'est ainsi, après tout, que l'agriculture a évolué et s'est adaptée au cours des siècles. C'est aussi sur cette base que l'industrie de la sélection a édifié son empire économique représentant des milliards de dollars – en exploitant l'innovation propre aux paysans. Néanmoins, lorsqu'il s'agit de reconnaître les contributions "légale, morale et économique" des sélectionneurs 16, l'UPOV ne s'intéresse qu'aux sélectionneurs produisant des variétés conformes à ses standards et ayant les moyens de payer les importants coûts administratifs requis ! 17

Les représentants officiels de l'UPOV affirment que les demandes d'enregistrement déposées par des agriculteurs pour leurs variétés sont les bienvenues, mais dans la plupart des pays en développement, les paysans n'ont pas les moyens d'engager de telles procédures, et leurs innovations ne coïncident pas avec le système de valeur qu'incarne le DOV.

Le concept même de droits des agriculteurs est bafoué par l'UPOV. Barry Greengrass, le vice Secrétaire Général adjoint de l'Union, déclare: "La question des droits des agriculteurs est en premier lieu l'affaire de la FAO et de son Engagement sur les Ressources Phytogénétiques. L'expression "droits des agriculteurs" apparaît aussi dans l'Agenda 21, mais pas dans la Convention sur la diversité biologique. C'est aux institutions concernées par les droits des agriculteurs d'expliquer ce qu'ils signifient, et quels droits devraient être accordés à quels agriculteurs. C'est n'est pas l'affaire de l'UPOV".18

En effet, même si l'on limitait les droits des agriculteurs au sens strict de droit de régénérer les semences des plantes (qui correspond au privilège de l'agriculteur dans l'UPOV) ou droit de compensation pour avoir contribué à édifier l'industrie de la sélection (qui correspond à la définition initiale offerte par l'Organisation pour l'Alimentation et l'Agriculture des Nations Unies), les dispositions actuelles en matière de protection des obtentions végétales limiteraient considérablement le premier sens et ignoreraient totalement le second.

4.3 Les restrictions en amélioration des plantes limitent la diversité

Les partisans de la protection sur les obtentions végétales n'ont cesse d'affirmer que leur système favorise l'innovation. Toutefois, leur définition de l'innovation est perverse puisqu'elle repose sur une perspective industrielle où seuls des professionnels innovent dans une optique de conquête du marché.

Sur cette base, l'innovation se définit selon des critères purement juridiques. Aucun intérêt n'est porté au point de vue de l'agriculteur sur l'utilité d'une variété végétale ou sur sa valeur en termes de durabilité. On en arrive ainsi à une vision biaisée de la variabilité génétique ne reposant que sur quelques gènes alors qu'une plante en contient plus de dix mille! La plupart de paysans du Sud travaillent dans la complexité; ils ne peuvent dépendre de gènes isolés.

Dans son fondement, le système des DOV discrédite et mine tout ce qui touche à l'innovation et à l'amélioration traditionnelle et locale.

L'histoire montre à quelle allure ces systèmes traditionnels sont appropriés. Revendiquer des droits de propriété sur la semence ne suffit pas; les acteurs concernés veulent voir ce monopole étendu aux générations futures. Dans la perspective de l'UPOV, un agriculteur qui achète un variété protégée, cultive la plante et garde les semences de cette plante afin de les ressemer enfreindrait la loi. Selon l'Acte de 1978, le droit du sélectionneur était défini de telle sorte à autoriser l'agriculteur à réutiliser ces semences mais pas à les vendre. Dans l'Acte de 1991, le droit du sélectionneur s'étend à tous les usages de la semence. Dans le système de 1978, "le privilège de l'agriculteur" existe, mais dans le système de 1991, l'exercice de ce privilège se trouve restreint, et il est laissé à la discrétion de chaque pays membre. 19 Toute autre utilisation de la variété par l'agriculteur nécessite une autorisation spéciale, sans quoi l'amélioration, la sélection et la conservation des semences à la ferme sont illégales. Pourtant, ces activités sont fondamentales en matière d'innovation et d'évolution. L'agriculture durable, qui repose sur une utilisation étendue et libre de la diversité dans des systèmes agricoles complexes est impossible sans cette liberté.

4.4 La dépendance nuit aux sélectionneurs

Pour les améliorateurs professionnels, l'UPOV est victime de son propre piège. La Convention de 1991 a instauré un nouveau principe de "dérivation essentielle". 20 Celui-ci signifie que si une nouvelle variété végétale ne diffère d'une variété antérieure que par une caractéristique mineure – sur un gène mineur par exemple – la nouvelle variété sera considérée comme "essentiellement dérivée" de la variété antérieure.

Cette mesure semble pouvoir inciter de nouveaux développements en amélioration motivés par la crainte d'accusations de plagiat, mais rien n'est moins certain. Tout d'abord, ce système est illusoire. Si, en tant que généticien des plantes, vous apportez un changement mineur à une variété protégée, votre "nouvelle" variété peut tout à fait passer pour être distincte, homogène et stable. En conséquence, vous recevrez votre propre titre de protection. Ensuite, le propriétaire de la variété originale peut juger que selon ses termes, votre variété est essentiellement dérivée de la sienne, et il vous empêchera de faire valoir votre titre sans son autorisation et le respect de ses conditions.

Il est improbable que les autorités nationales interviennent. Elles laissent aux firmes le soin de juger elles-mêmes si les variétés sont essentiellement dérivées ou non, et cela signifie que les délibérations se feront à huis clos. Ainsi, les procédures officielles peuvent vous accorder un titre qui vous soit repris dans les coulisses. Ce système est aussi faillible dans la mesure où un régime UPOV (celui de 1991) en remplace un autre (celui de 1978), et où les variétés concernées par l'ancien régime se trouveront soumises au nouveau régime. Il est possible qu'une variété qui ait obtenu un titre de protection dans l'UPOV 1978 soit soudainement classée comme une "variété essentiellement dérivée" dans le régime de 1991.

Deuxièmement, l'industrie elle-même ne sait pas comment le système de la "dérivation essentielle" va fonctionner. Le système a été conçu pour que les firmes puissent régler entre elles leurs démêlés. Jusqu'ici, il existe un consensus sur deux points: l'on aura recours à différentes mesures de dérivation essentielles pour des espèces différentes, et les marqueurs moléculaires seront utilisés pour juger des distances. Ce mécanisme milite dans sa conception même contre les capacités technologiques et l'espace de négociation des agriculteurs et des sélectionneurs des pays du Sud.

Troisièmement, l'on peut s'attendre à voir les sélectionneurs se décourager et abandonner la partie. En ce sens, l'UPOV annihile sa promesse d'incitation à la recherche et au développement en jouant au fond un rôle dissuasif.

4.5 Un développement non durable pour le Sud

L'UPOV est une "voie à sens unique" dans l'agriculture mondiale: elle mène au contrôle corporatif et à l'uniformité génétique dont les firmes ont besoin pour leurs opérations globales de marketing. Elle a été mise en place par le Nord et elle reste sous le contrôle du Nord. 85% de ses membres demeurent des nations industrialisées qui ont une mainmise sur le secteur commercial des semences dans le monde. Il est évident que des associations corporatives comme l'ASSINSEL pèsent de tout leur poids dans le développement de monopoles légaux à travers l'UPOV.

Les 10 plus grandes compagnies du monde contrôlent 40% du marché

Compagnie Vente de semences en 1996
(estimation en millions de dollars US)

1. Pioneer Hi-Bred International
(Etats-Unis)

1,721
2. Novartis (Suisse) 991

3. Limagrain (France)

552

4. Advanta (Pays-Bas)

493

5. Grupo Pulsar (Mexique)

400

6. Sakata (Japon)

403

7. Takii (Japon)

396

8. Dekalb Plant Genetics (Etats-Unis)

388

9. KWS (Allemagne)

377

10. Cargill (Etats-Unis)

+300

Source: Rural Advancement Foundation International, Communiqué de RAFI, novembre/décembre 1997. Au début de l'année 1998, Monsanto s'apprêtait selon certaines sources à racheter Dekalb pour un milliard de dollars.

La Convention de l'UPOV formant un club dominé par les pays industrialisés, il n'est pas surprenant de constater que chaque révision implique systématiquement un renforcement des droits des améliorateurs professionnels et une diminution de la marge de manoeuvre des paysans et des sélectionneurs travaillant dans l'informel. Même si un plus grand nombre de pays en développement adhèrent à l'UPOV, cette tendance a peu de chance de changer, comme en attestent les politiques de pouvoir intergouvernementales. En fait, l'UPOV pourrait bien emprunter de manière de plus en plus évidente le sillon tracé par l'organisation qui l'héberge, l'OMPI. Les organisations de propriété intellectuelle sont en voie de devenir des bras administratifs de l'OMC.

Puisque les règles commerciales sont définies à l'OMC et que les DPI sont rapidement devenus des principes directeurs dans les accords commerciaux, des institutions comme l'OMPI et l'UPOV pourraient bien incessamment se transformer en annexes de l'OMC. Leur rôle au niveau mondial, qui était jusqu'ici d'élaborer des politiques se résume de plus en plus à s'assurer l'application des consignes de l'OMC par ses membres. Ce scénario sera d'autant plus réaliste si les pays interprètent la clause des ADPIC sur les droits sui generis comme une obligation d'adopter des droits de type UPOV. L'UPOV compte certainement sur cette interprétation pour gagner de nouveaux membres. Cela signifie que le système de l'UPOV pourrait être contrôlé de plus en plus ostensiblement par l'OMC et non par ses membres, exerçant ainsi une mainmise sur les pays en développement. Le Sud a tout intérêt à se maintenir hors de cette spirale qui se résume à des droits plus puissants pour les sélectionneurs du Nord (principalement les firmes transnationales) et à une subordination aux objectifs de l'OMC.

Plusieurs nations d'Amérique Latine ont pu être convaincues de joindre l'UPOV, quoique le Brésil réfléchisse à deux fois avant de s'engager. Comme l'a indiqué le Parti des Travailleurs, si le Brésil adhère à l'UPOV, "Nous ne serons pas surpris si dans un futur proche, nos petits agriculteurs se retrouvent en prison pour avoir utilisé des variétés de riz protégées". 21 Le parti de l'opposition du Brésil perçoit clairement la Convention comme un instrument de transfert de pouvoir des agriculteurs et des Etats aux firmes.

La perte de souveraineté est une préoccupation majeure. En Afrique, quelques pays tels que le Zimbabwe et le Kenya ont des années d'expérience en matière de protection des obtentions végétales, qui est conçue pour convenir aux opérations de sélection pratiquées à l'intersaison par des compagnies américaines comme Pioneer et Cargill. Comme l'explique un expert kenyan en droit, "Les principes et standards édifiés par la Convention de l'UPOV et l'Accord sur les ADPIC accordent non seulement une protection préférentielle par brevet aux entreprises des pays développés actives aux Kenya, mais elles cautionnent aussi l'extraction gratuite de ressources phytogénétiques du Kenya par les pays développés". 22

Aux Philippines, l'on retrouve des préoccupations similaires. Le Dr. Randy Hautea, qui était jusqu'à récemment le Directeur de l'Institut d'Amélioration Végétale, a étudié les options et conclu que bien que les Philippines doivent certainement se conformer aux obligations définies par les ADPIC, elles devraient y parvenir "sans adhérer à l'UPOV" car cela équivaudrait à "un sacrifice de l'intérêt national". 23

L'un des points centraux des délibérations aux Philippines est comment protéger les droits communautaires et indigènes face aux exigences des sélectionneurs, et en particulier face aux compagnies étrangères qui cherchent à s'approprier la riche biodiversité du pays. L'UPOV est l'une des forces majeures minant les droits des communautés et la biodiversité.

En Thaïlande, le débat s'est échauffé dans le courant des deux années passées, et les mouvements paysans, soutenus par des ONG et par le milieu universitaire, ont poussé le gouvernement à rédiger une proposition de loi sur la protection des variétés végétales en y intégrant les droits des agriculteurs.24 Si la Thaïlande suit la logique de l'UPOV, "de nombreuses compagnies transnationales seront en droit de revendiquer les variétés végétales que nous avons développées. Elles ont à leur disposition d'importantes sommes d'argent et des technologies sophistiquées, et elles peuvent toucher aux gènes et s'approprier le vivant. Ces gènes leur appartiennent alors devant la loi !" 25

En d'autres termes, et contrairement à la propagande que véhicule l'UPOV, le problème est inversé. Ce sont les communautés agricoles et indigènes dans le Sud qui ont besoin de se protéger contre la biopiraterie. Le problème n'est absolument pas résolu si le Sud instaure les mêmes lois que celles qui existent dans les pays des biopirates.

Personne n'accuse le Pakistan, la Colombie ou Madagascar de se livrer eux-mêmes à des actes de biopiraterie! Comme l'a dit Gul Hossain, du Conseil de la Recherche Agronomique du Bangladesh à un meeting sponsorisé par l'UPOV, "Le Nord a en premier lieu une dette envers le Sud, et l'on peut dire aussi que l'UPOV a une dette envers le Sud". 26

 

Dix raisons de dire NON à l'UPOV

Les pays subissent une forte pression politique pour adhérer à l'UPOV à cause des obligations posées par les ADPIC. Cependant, les faits de base demeurent les suivants: i) Les pays n'ont pas besoin d'adhérer à l'UPOV pour mettre en place un système sui generis et ainsi se conformer aux ADPIC. ii) L'Article 27.3(b) des ADPIC doit être révisé en 1999 et peut être amendé par un retrait de l'exigence de protection des variétés végétales par des DPI.

Les pays en développement peuvent défendre leur souveraineté et leur biodiversité. Voici dix bonnes raisons de ne pas adhérer à l'UPOV:

1. L'UPOV nie les droits des agriculteurs, et ce de deux manières différentes. Au sens précis, le droit de conserver librement des semences issues d'une récolte est entamé. Au sens large, l'UPOV ne reconnaît ni ne soutient les droits inhérents des communautés sur la biodiversité ni leur espace d'innovation.

2. Les compagnies du Nord vont prendre le dessus sur les systèmes nationaux d'amélioration du Sud. Le régime de l'UPOV ne détaille explicitement aucun code de transfert de technologie en contrepartie de l'autorisation accordée aux firmes transnationales de vendre des variétés sur les marchés du Sud en bénéficiant de conditions juridiques ajustées à leurs ambitions globales. Les sélectionneurs nationaux et les compagnies de semences locales seront rachetées par les compagnies étrangères.

3. Les compagnies du Nord obtiendront des titres de propriété sur la biodiversité du Sud sans obligation de partage des bénéfices. Contrairement à la Convention sur la diversité biologique, l'UPOV ne prévoit aucune mesure pour le partage des bénéfices tirés de l'exploitation par le Nord de la biodiversité du Sud. Les agriculteurs du Sud se voient obligés de payer des royalties pour leur propre matériel génétique qui a été remanié et reconditionné dans le Nord. Le Nord accède de la sorte à un contrôle commercial intégral du matériel génétique, des savoirs de communautés et des efforts qu'elles y ont consacrés.

4. Les critères de l'UPOV en matière de protection vont exacerber l'érosion de la biodiversité. Cette situation est extrêmement dangereuse, en particulier pour les pays pauvres. Les produits chimiques et le génie génétique – moyens inaccessibles pour les paysans – vont être utilisés pour compenser la vulnérabilité des récoltes. L'uniformité conduit à la perte de récoltes et à une insécurité alimentaire accrue.

5. La privatisation des ressources génétiques a un impact négatif sur la recherche. Les études d'impact menées aux Etats-Unis et ailleurs montrent une corrélation évidente entre les DOV et la réduction des échanges d'information et de matériel génétique. De plus, le principe de "dérivation essentielle" de l'UPOV va démotiver les chercheurs puisque les firmes transnationales pourront user de leur influence pour que ceux-ci cèdent à des accusations de plagiat.

6. Les efforts visant à maintenir des systèmes d'accès négociés dans la gestion de la biodiversité – par exemple grâce à la Convention ou à la FAO – vont être contrecarrés. Les lois sur la protection accordent une propriété privée sur des ressources qui relèvent de la souveraineté nationale, et, plus exactement, de la souveraineté communautaire.

7. Adhérer à l'UPOV revient à prendre part à un système qui soutient les droits des sélectionneurs industriels plutôt que ceux des agriculteurs et des communautés. Chaque révision de l'UPOV élargit les droits des sélectionneurs et affaiblit ceux des agriculteurs ainsi que l'intérêt public. Les pays en développement se verront obliger d'endosser cette tendance.

8. L'UPOV n'est pas en harmonie avec les ADPIC, et elle s'oppose à la Convention. Elle octroie des privilèges mutuels à ses 37 membres. Les ADPIC exigent que des privilèges similaires soient mutuellement partagés entre pratiquement 150 pays. La Convention, forte de ses 170 Etats membres, appelle au partage des bénéfices alors que l'UPOV ne prévoit rien de tel. Le secrétariat de la Convention tente actuellement de déterminer si les systèmes de DPI comme le DOV vont ou non à l'encontre de ses objectifs.

9. L'Accord sur les ADPIC sera révisé en 1999. Cela signifie que l'obligation de mettre en oeuvre un système de brevet ou des droits sui generis sur les variétés végétales pourrait être supprimée avant que les pays en développement ne soient obligés de s'y conformer. L'opportunité de supprimer cette contrainte doit être posée en toute légitimité.

10. La part royale des bénéfices vont être drainés par le Nord. L'UPOV est conçue pour favoriser les monopoles corporatifs dans l'amélioration végétale. Les activités de sélection sont majoritairement orientées vers les marchés internationaux. En dépit de 35 années de Révolution Verte et de l'UPOV, le Sud n'a pas atteint le seuil de la sécurité alimentaire. Accéder à un système aussi biaisé que l'UPOV garantirait une intégration accrue des pays du Sud dans les marchés dominés par le Nord, intégration dont ni le Sud, ni ceux qui n'ont pas assez à manger aujourd'hui ne bénéficieraient.

 

Acronymes:

GATT – General Agreement on Tariffs and Trade (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce)

DPI – Droit de propriété intellectuelle

DOV – Droit d'Obtention Végétale

ADPIC – Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce

UPOV – Union pour la Protection des Obtentions Végétales

OMPI – Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle

OMC – Organisation Mondiale du Commerce

 

Notes:

1. Cité dans L.J. (Bees) Butler, "Plant breeders' rights in the US: Update of a 1983 Study" in Joeroen van WIJK and Walter Jaffé (eds), 1996, Intellectual Property Rights and Agriculture in Developing Countries, University of Amsterdam, p. 30. Hess siège actuellement au Conseil de l'INSAR (International Service for National Agricultural Research), une agence spécialisée dans le conseil aux pays en développement sur l'administration des systèmes de recherche en agronomie.

2. "Sui generis" signifie unique, ou propre en latin. Les droits sui generis sont des droits légaux conçus pour des choses qui, de par leur nature, n'entrent pas dans les schémas classiques de droits de propriété intellectuelle, comme c'est le cas pour les circuits intégrés d'ordinateurs, pour les bases de données électroniques, pour le folklore ou les variétés végétales. En ce sens, les droits sui generis représentent de simples alternatives aux droits de propriété intellectuelle conventionnels. L'Accord sur les ADPIC de l'OMC oblige les pays à mettre en place des droits de monopole sur les variétés végétales, soit par brevet, soit par un système "sui generis".

3. Barry Greengrass, Vice-secrétaire général de l'UPOV, communication personnelle, 16 avril 1998.

4. "L'Accord sur les Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce contre la Convention sur la diversité biologique", Commerce global et biodiversité en conflit, Numéro 1, Fondation Gaia/GRAIN, avril 1998.

5. Dan Leskien et Michael Flitner, 1997, "Intellectual Property Rights and Plant Genetic Resources: Options for a Sui Generis System", Issues in Genetic Resources # 6, IPGRI, Rome. Les représentants officiels du GATT et de l'OMC ont réaffirmé publiquement que le fait que l'Accord sur les ADPIC ne se réfère pas à l'UPOV donne aux pays la marge de manœuvre nécessaire pour établir des systèmes alternatifs sui generis.

6. Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture, 1996, L'état des ressources phytogénétiques du monde pour l'alimentation et l'agriculture, p.21.

7. ASSINSEL Position on Maintenance of and Access to Plant Genetic Resources for Food and Agriculture, mis à jour le 23 avril 1997, www.worldseed.org

8. Bulter, 1996, p.28.

9. Van Wijk et Jaffé, 1996, p. 14

10. Idem

11. Leskien y Flitner, 1997, p. 31.

12. Crucible Group, 1994, "People, Plants and Patents", IDRC, Ottawa, pp.24-25.

13. Van Wijk y Jaffé, 1996, p. 25.

14. Idem

15. UPOV, 'About UPOV: The Need for Legal Protection for New Plant Varieties', www.upov.org

16. Les droits "moraux" et économiques" des sélectionneurs sont accentués dans la littérature de l'UPOV.

17. Dans les pays en développement où ce système est en place, les coûts d'enregistrement et de renouvellement d'un certificat d'obtention végétale s'élève à plusieurs dizaines de milliers de dollars. Aux Etats-Unis, les mêmes coûts dans le cas d'un brevet sur une plante sont d'un quart de million de dollars.

18. UPOV, 1995, UPOV National Seminar on the Nature and Rationale for the Protection of New Varieties of Plants under the UPOV Convention (Manille, décembre 1994), UPOV, Genève, p. 27. Les verbes ont été transposés du passé au présent dans un souci de clarté. Le message demeure identique.

19. UPOV National Seminar on the Nature and Rationale for the Protection of New Varieties of Plants under the UPOV Convention, Manille, 8 décembre 1994.

20. Tous les pays ayant adhéré à l'UPOV en ses termes de 1978 ont été contraints d'adopter le principe de dérivation essentielle. Autrement dit, leurs lois sont des versions "78 plus".

21. A Lei de Proteção de Cultivares, em vigor desde 28 de abril deste ano, é analisada pela Assessoria Técnica da Liderança do PT na Câmara dos Deputados. Responsáveis: Gerson Teixeira, Rolf Rackbart. Partido dos Trabalhadores, Brasília, 16 de maio de 1997.

22. James Otieno Odek (1995), The Relevance of International Patenting and Plant Breeders’ Protection Systems to Kenya as a Developing Country: Myth or Reality?, Tesis SJD, Facultad de Derecho, Universidad de Toronto.

23. "Plant variety protection: What are our options?", Policy Update, Vol. 4, No.3, University of the Philippines, Los Baños, March 1996.

24. Plant Variety Protection Act, B.E. 254, version finale, Bangkok, 1997. Voir BIOTHAI/GRAIN (eds), 1998, "Signposts to sui generis rights", pour un aperçu des législations des pays en développement.

25. "Patenting Mother Nature Provokes Outrage", The Bangkok Post, 4 January 1998.

26. Gul Hossain, Towards developing a plant variety protection system in Bangladesh, Seminar on PVP under the UPOV Convention, Dhaka, 16 September 1996.

Author: Fondation Gaia et GRAIN
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