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Quand les éléphants se battent sur les OGM

by Tewolde Egziabher | 1 Oct 2003

Tewolde Egziabher

Alors que l'attention du monde entier était fixée sur le sommet de l'Organisation mondiale du commerce de Cancun, un accord international de première importante faisait tranquillement son apparition sur la scène mondiale, de l'un de ceux qui ont des conséquences sérieuses pour les pays en développement. Le protocole de Carthagène sur la Biosécurité [1], destiné à réglementer le commerce des organismes génétiquement modifiés (OGM), est entré en vigueur le 11 septembre. Ce protocole arrive après cinq longues années de négociations sur des questions Nord-Sud inextricables qui existent toujours et continueront à rendre difficile sa mise en Âœuvre.

La tension existant autour des questions commerciales est encore renforcée par l'action des Etats-Unis pour traîner l'Union européenne devant le Comité permanent traitant des conflits de l'Organisation mondiale du Commerce face à l'insistance de l'Union Européenne à demander que les Etats-Unis étiquettent clairement tous les produits alimentaires contenant des OGM vendus en Europe. L'une des plaintes principales des Etats-Unis est que la position adoptée par l'Europe force l'Afrique à rejeter les produits alimentaires et les plantes cultivées génétiquement modifiés. Mais il est abusif de rejeter la faute sur l'Europe pour les précautions que l'Afrique prend dans sa façon de traiter les plantes génétiquement modifiées, y compris celle provenant de l'aide alimentaire. Il faut préciser que c'est la conscience de la pauvreté de l'Afrique, de son faible niveau de compétences techniques et de la complexité de son environnement, qui poussa le Groupe Africain sur la Biosécurité à s'intéresser au premier projet de Protocole sur la biosécurité en 1996, bien avant n'importe quel pays européen. C'est parce que l'Afrique est consciente de sa vulnérabilité qu'elle est effrayée par l'aventurisme représenté par les OGM. Nous trouvons qu'il est injuste et répugnant que les Etats-Unis tentent de se servir du sentiment de culpabilité de l'Europe vis-à-vis de l'Afrique pour contraindre l'Europe à accepter les plantes génétiquement modifiées par le chantage. Ces éléphants que sont l'Amérique et l'Europe doivent cesser de piétiner l'herbe africaine et aller se battre ailleurs. L'Afrique doit aussi jouer sa partie. La réunion ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce de Cancun au Mexique qui aurait du avoir des implications plus ou moins directes sur l'argumentation de l'OMC, s'est effondrée le 14 septembre 2003, en grande partie parce que les pays du Sud, et en particulier l'Afrique, ont refusé de répondre aux exigences des éléphants.

Bien qu'on puisse vraiment se réjouir de l'adoption du Protocole sur la Biosécurité, je me demande avec inquiétude si l'opposition Etats-Unis / Union Européenne n'est pas un avant-goût des futurs problèmes que rencontrera l'application du Protocole sur la Biosécurité. Les raisons sont nombreuses, émanant principalement des différences importantes existant entre les pays en développement et les Etats-Unis en matière de réglementation des OGM. Les Etats-Unis, peu susceptibles d'être partie au Protocole, et les 60 pays parties au Protocole, sont partis de préalables opposés. Les Etats-Unis sont partis du préalable de ‘l'Equivalence substantielle', qui stipule que les plantes génétiquement modifiées sont aussi sûres que celles qui ne le sont pas, sauf si la preuve du contraire est fournie. L'Union Européenne et les pays en développement soutiennent eux le ‘Principe de précaution' intégré au Protocole qui déclare qu'une plante génétiquement modifiée doit être considérée comme présentant des risques, à moins qu'il soit prouvé qu'elle est sûre. Ces différences marquées entraînent des implications dans l'application du Protocole.

Le Protocole exige qu'un pays n'autorise l'importation d'un OGM qu'après avoir obtenu toutes les informations nécessaires le concernant et effectué une évaluation des risques pouvant nuire à la santé, aux systèmes agricoles, à son environnement et à ses conditions socio-économiques. Le pays importateur doit être le premier informé par l'exportateur ou par le pays exportateur de son intention d'exporter un produit génétiquement modifié. Le pays importateur doit mener son évaluation et ensuite informer l'exportateur si il autorise ou non l'importation. Dans le cas de marchandises génétiquement modifiées destinées à l'alimentation humaine et animale ou à la transformation, l'intention d'exporter doit être notifiée à tous les pays en même temps par le biais d'un système de base de données informatisées intitulé Centre d'échange d'informations sur la biodiversité (Clearing-house). L'absence de communication de la décision au pays exportateur ou au Centre d'échange ne peut être considérée comme une autorisation d'exporter. Cette disposition est destinée à protéger les pays qui pourraient ne pas avoir la possibilité d'entreprendre une évaluation des risques. Dans ce cas-là, il serait fait appel au Principe de précaution pour empêcher un pays d'exporter des OGM.

Il existe quelques exceptions à la procédure :

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Un OGM qui transite simplement par un pays est dispensé de la procédure. Mais si un pays considère tout OGM quel qu'il soit comme trop dangereux pour même lui permettre de transiter par son territoire, il est en droit de le refuser.

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Un OGM destiné à un usage confiné - dans des conditions telles qu'il ne puisse pas s'échapper vers l'environnement ouvert et entrer en contact avec les êtres humains ou toute autre forme de vie - ne doit pas passer par la procédure avant son importation.

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Un OGM destiné à une utilisation pharmaceutique pour les personnes est soumis à la procédure à moins qu'il y ait une autre loi internationale ou qu'une organisation internationale spécifiée le réglemente.

L'élaboration du Protocole représente une énorme avancée, parce qu'il offre aux gouvernements le premier instrument légal leur permettant de refuser de cultiver ou d'importer des OGM. Mais quand ils en arrivent à la mise en application et à la réglementation du Protocole, les pays en développement se trouvent face à toutes sorts de difficultés et d'obstacles. Par exemple, le Protocole reposant sur une information complète pour être efficacement appliqué - il demande qu'un régime d'étiquetage et de traçabilité soit mis en place. Rien de cela n'existe jusqu'à présent. Les Etats-Unis, le plus grand producteur d'OGM du monde, refuse d'étiqueter les produits génétiquement modifiés, ce qui fait que pour l'instant, les pays ne peuvent pas savoir quand un produit OGM non étiqueté est importé sur leurs territoires en provenance des Etats-Unis, et la sécurité est compromise.

La pauvreté des pays en développement, particulièrement des Pays les moins développés (la plupart en Afrique), reste un handicap crucial : ils sont tout simplement trop pauvres pour pouvoir consacrer les ressources nécessaires à la biosécurité. Ce qui est encore plus inquiétant c'est que si un danger survenait, il serait très difficile pour ces pays de rassembler les ressources financières et techniques nécessaires pour le combattre. Dans cette situation, les considérations socio-économiques devraient être suffisantes pour refuser l'importation des OGM. Mais la disposition se rapportant à cette question dans le Protocole est très mince. Quoiqu'il en soit, ni cette faiblesse ni aucune autre loi internationale n'empêche un pays pauvre d'adhérer au Principe de précaution et d'effectuer une évaluation socio-économique rigoureuse avant d'importer des OGM.

L'évaluation des risques dans le Sud est compliquée par des environnements tropicaux et sub-tropicaux. L'évaluation limitée des risques qui a été entreprise pour les OGM dans le Nord est fondée sur des conditions climatiques et écologiques très différentes. Les micro-organismes développés en laboratoire pour des objectifs industriels fonctionnent de manière optimale à des températures élevées. Si un micro-organisme s'échappe en environnement ouvert dans le Nord, il est improbable qu'il survive au froid hivernal. Mais dans les environnements tropicaux et sub-tropicaux chauds du Sud, il pourrait survivre et se développer indéfiniment. Le Sud doit par conséquent mettre en place des systèmes de biosécurité qui restreignent l'utilisation en milieu confiné aux seules conditions de laboratoire d'où aucun produit OGM ne pourrait s'échapper. L'un des principaux problèmes concerne la richesse de la diversité biologique des pays du Sud. Il est bien connu que la biodiversité augmente au fur et à mesure qu'on approche de l'équateur et diminue vers les pôles. L'un des risques posés par les OGM est la contamination des espèces sauvages. Plus la biodiversité est grande, plus l'évaluation des risques entraînés par les OGM devient complexe et incertaine. Et pourtant, en raison de faibles capacités techniques, les connaissances spécifiques sur la biodiversité des pays du Sud sont très pauvres. De plus, la plupart des centres d'origine des plantes cultivées sont situés dans le Sud, ce qui rend toute diffusion accidentelle d'une plante génétiquement modifiée encore plus dévastatrice dans le Sud.

Déclaration d'engagement pour l'Afrique

Le Protocole de Carthagène sur la biosécurité est entré en vigueur le 11 septembre 2003. Nous considérons que cette date est une date marquante. L'Afrique a pris très au sérieux les négociations du Protocole parce que sa survie et sa prospérité sont intimement mêlées à la santé de ses populations, à ses systèmes agricoles et à son environnement. Nous choisissons cette date pour renouveler notre résolution de continuer à poursuivre ce qui est important pour l'Afrique et le Monde. Dans ce but :

1.

Nous conseillons vivement au Groupe Africain sur la biosécurité de continuer à négocier pour l'obtention d'un système efficace de responsabilité et de réparation concernant les OGM et leurs produits. Nous l'enjoignons également à négocier la création d'un système informatif complet d'étiquetage et de traçabilité des OGM et de leurs produits, et pour un système de conformité rassurant qui protègera l'Afrique non seulement des Parties indélicates mais aussi des non-Parties au Protocole de Biosécurité.

 

2.

Nous demandons aux pays africains qui n'auraient pas encore ratifié le Protocole de le faire dès que possible, et à tous les états africains de baser leurs lois de biosécurité sur la Loi Modèle de l'Union africaine sur la biosécurité en matière de biotechnologies . Il faut le faire pour mener à bien un système de biosécurité uniforme qui protège l'ensemble du continent africain. Cela est essentiel car les OGM ne connaissent pas de frontières.

 

3.

Nous conseillons vivement aux Etats africains d'appliquer le principe de précaution a) en réglementant le transit des OGM à travers leur territoire et en refusant tout transit aux OGM dangereux, b) en restreignant les OGM destinés à l'usage confiné aux strictes conditions de laboratoire d'où toute échappée accidentelle d'OGM est impossible et c) en soumettant tout OGM destiné à l'usage pharmaceutique à une procédure d'Accord préalable en toute connaissance de cause jusqu'à ce qu'il y ait une Loi internationale les régissant.

 

4.

Nous enjoignons les pays africains à rendre leur biosécurité aussi protectrice que nécessaire pour leur environnement naturel et socio-économique, ce que le Protocole ne leur donne pas les moyens de faire.

 

5.

Nous appelons les pays africains à appliquer la procédure d'Accord préalable en toute connaissance de cause pour tous les autres OGM.

 

6.

Nous appelons tous les pays africains à ne pas être intimidés en prenant des décisions sur une notification faisant partie de la procédure d'Accord préalable en toute connaissance de cause lorsque leurs capacités ne leur permettent pas d'en assurer une bonne application Ils peuvent demander le temps qu'il leur faut pour donner une réponse mûrement réfléchie comprenant une évaluation des risques adaptée.

 

7.

Nous demandons au Programme pour l'Environnement des Nations Unies et à l'Union Africaine ainsi qu'à chaque pays africain de prendre au sérieux la formation des compétences pour mettre en application ce Protocole hautement technique de manière efficace.

 

8.

Nous demandons aux Etats-Unis de garder son combat commercial avec l'Union Européenne en dehors de l'Afrique. Nous estimons que c'est une manipulation des faits de rejeter la responsabilité sur l'Europe pour les précautions prises par l'Afrique en ce qui concerne les OGM y compris ceux provenant de l'aide alimentaire.


Ceci est une version abrégée de la déclaration d'engagement. Pour plus d'information, vous pouvez contacter Yonas Yohannes, Africa Biodiversity Network à abionet(at)telecom.net.et ou Elfrieda Pschorn-Strauss, Biowatch, Afrique du Sud à eps(at)intekom.co.za

 

 

Les demandes d'informations et d'évaluation des risques requises par le Protocole reconnaissent ce fait et concernent en particulier les centres d'origine de la diversité génétique. Le Nord aurait intérêt à ne pas pousser aux cultures génétiquement modifiées dans le Sud, et le Sud à avoir recours à la prudence. Après tout, virtuellement, toutes les plantes importantes du Nord ont leurs centres d'origine ou une diversité génétique dans le Sud, et le Nord dépend du Sud pour ses programmes de sélection futurs et sa sécurité alimentaire dans l'avenir.

Un problème plus inextricable est celui du commerce et de l'environnement. Les règles du commerce favorisent le Nord. L'accord international sur les Aspects des droits de propriété intellectuelle relatifs au commerce - ou ADPIC (TRIPs) - rend obligatoire le brevetage des microorganismes et des processus microbiologiques. En se basant sur cette disposition, le Nord autorise le brevet des OGM et de leurs composants sub-cellulaires. Les parties cellulaires essentielles au génie génétique son t déjà brevetées. Cela signifie que tout usage et développement national d'OGM deviendra une opération bureaucratique au niveau international (négociation pour toutes les parties sub-cellulaires) et une opération chère (paiement de royalties pour chaque brevet). Cela signifie aussi que les OGM, même s'ils sont développés dans le Sud, seront contrôlés par les propriétaires étrangers des brevets sur les parties sub-cellulaires. Les ADPIC font retomber la charge de la preuve à fournir sur les personnes accusées d'avoir enfreint un droit de brevet. Cela pourrait entraîner des problèmes lors de la pollinisation croisée d'un OGM avec la culture non modifiée d'un petit agriculteur et que sa culture se trouve contaminée par des gènes brevetés. De manière absurde, c'est l'agriculteur qui sera considéré comme celui qui a enfreint le droit du brevet. Les coupables - le vent et les insectes - ne peuvent pas être cités comme témoins devant la justice. Un Sud qui voudrait garder sa souveraineté alimentaire et que ses agriculteurs soient épargnés par des accusations de crime peut refuser de cultiver des plantes génétiquement modifiées sur son territoire. Heureusement, sur l'insistance du Sud, il existe désormais dans le Protocole un engagement à négocier un régime de responsabilité et de réparation en cas de dommages causés par des OGM. Nous devons nous assurer que cet engagement n'a pas été détourné.

Le génie génétique fait appel au Sud parce qu'il veut se développer rapidement. La technologie promet de mettre les caractères avantageux trouvés dans les organismes vivants à la disposition des hommes et ne pas utiliser cette capacité menace de les laisser toujours plus à la traîne du développement. Le Sud n'a pas d'autre choix que de se préserver. Il doit mettre en place des systèmes de biosécurité fermement ancrés dans le principe de précaution et développer la capacité - quel qu'en soit le prix- de se protéger lui-même.


Tewolde Egziabher est Directeur général de L'Autorité pour la Protection de l'Environnement d'Ethiopie et le négociateur africain pour les négociations du Protocole sur la biosécurité. Il peut être contacté à l'adresse suivante : PO Box 30231, Addis Abbaba, Ethiopia.

Tél: +251 118 6197/Mobile: +251 9 211274, Fax: +251 161 6197; esid(at)telecom.net.et

Cet article est adapté de “When Northern elephants fight over GMOs” (Quand les éléphants du Nord se battent sur les OGM), publié le 29 Septembre par Panos Features.

 

[1] www.biodiv.org/biosafety/ratification.asp

Author: Tewolde Egziabher
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