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Izwi neTarisiro - Le jury des citoyens du Zimbabwe

by Elijah Rusike | 1 Oct 2003

Elijah Rusike

Le Zimbabwe affrontant une situation économique difficile et des problèmes de réforme foncière, son secteur agricole est en plein désarroi. Un jury de citoyens s'est tenu pour tenter d'améliorer la qualité et la pertinence des politiques affectant les petits agriculteurs. A un moment où les cultures génétiquement modifiées sont présentées comme la solution pour la sécurité alimentaire de l'Afrique, le jury de citoyens du Zimbabwe a montré que pour beaucoup d'agriculteurs, la question des semences quelles qu'elles soient, représente seulement une partie de l'ensemble des nombreux facteurs affectant leur capacité à nourrir leurs familles.

En 2002, le Zimbabwe, le Malawi, la Zambie, le Mozambique et six autres pays d'Afrique australe ont eu à faire face à une grave pénurie alimentaire causée par la sécheresse de l'année précédente. Pour le Zimbabwe, habituellement réservoir alimentaire de la région, cela a été un choc particulier. Dans ce pays, la sécheresse s'est combinée avec de graves problèmes engendrés par le processus de réforme foncière (voir encadré) et un déclin économique dramatique dans les années 90. Le secteur de l'agriculture commerciale du Zimbawe était laminé et les petits agriculteurs vivaient des moments difficiles. (voir encadré). C'est en plein milieu de cette famine imminente qu'un débat national sur les cultures génétiquement modifiées a débuté. Le Zimbabwe était le premier pays de la région à remettre en question et à rejeter au départ la présence de plantes génétiquement modifiées dans l'aide alimentaire à moins qu'elles n'aient été préalablement réduites en farine. Le débat sur les plantes génétiquement modifiées a entre autres mis en lumière à quel point les préoccupations et les décisions politiques étaient loin de la vie quotidienne et des préoccupations des agriculteurs.

Au Zimbabwe, comme dans beaucoup d'autres pays, les décisions politiques restent le domaine réservé des technocrates et des politiciens. La participation des premiers bénéficiaires de ces politiques a été nulle ou au mieux superficielle. Récemment, de nombreuses politiques développées par des technocrates pour servir les communautés de petits agriculteurs ont été bien en deça des résultats escomptés. Par exemple, le gouvernement a récemment déclaré que toutes les céréales étaient une denrée de première nécessité contrôlée et les gens n'avaient le droit de les vendre qu'à l'Etat qui ensuite les redistribuait. Ces contrôles ont abouti au refus des populations de vendre à l'Etat et à l'aggravation des pénuries, et il a été alors plus rentable de vendre sur le marché parallèle, exactement ce que les décideurs politiques voulaient éviter à la population.

L'une des principales raisons de cet échec vient du fait que les mesures sont élaborées à partir d'informations insuffisantes. Il a été montré que des mesures qui engagent en fait les principaux bénéficiaires ont abouti à des politiques progressives et appropriées promouvant un développement durable. Mais comment peut-on obtenir la participation pleine et entière des communautés de petits agriculteurs ? Quel encadrement peut accompagner leur participation?

Vingt années de réforme foncière

La terre est source de conflit politique au Zimbabwe depuis la colonisation. Sous le gouvernement colonial britannique et le gouvernement de la minorité blanche qui déclara unilatéralement son indépendance vis-à-vis de la Grande Bretagne en 1965, les fermiers blancs détenaient le contrôle de la majeure partie des bonnes terres agricoles, laissant les fermiers noirs vivoter sur les terres de faible rendement des « réserves tribales ». La fin du règne de la minorité blanche survint après une très longue guerre de libération dans laquelle la question de la terre était une question majeure, et les élections virent le parti Zanu-PF arriver au pouvoir en 1980.

Le nouveau gouvernement était lié par des « clauses soumises à réévaluation » dans l'accord d'indépendance qui accordait des protections spéciales aux Zimbabwéens blancs pendant les 10 premières années de l'indépendance. Celles-ci interdisaient la réquisition des terres pour la redistribution et le repeuplement. Après 1990, ces contraintes ont été levées et le gouvernement introduisit de nouvelles réglementations qui renforcèrent son pouvoir pour acquérir la terre. A la fin de la période connue sous le nom de « phase 1 » du programme de réforme foncière et de repeuplement en 1997, le gouvernement avait réinstallé 71 000 familles (alors que le but à atteindre était de 162 000) sur une surface de 3,5 millions d'hectares. Seuls 19% de ces terres étaient classées comme de très bonne qualité, le reste étant soit de faible rendement soit impropre au pâturage ou à la culture. Il y a eu des résultats positifs et durables au processus de repeuplement, malgré les nombreux problèmes rencontrés par les populations réinstallées qui manquaient de réseaux d'infrastructure et de soutien, que ce soit de la part du gouvernement ou des communautés précédentes. De plus, la densité de population dans les « zones communales », les anciennes réserves tribales, augmentait fortement. Plus de un million de familles gagnaient tout juste leur vie sur seize millions d'hectares de terre pauvre. Malgré sa richesse dans un secteur de l'économie, le Zimbabwe restait l'un des pays les plus inégalitaires du monde. En 1999, 11 millions d'hectares des terres les plus riches étaient encore aux mains d'a peu près 4500 fermiers pratiquant une agriculture commerciale, la grande majorité d'entre eux étant blancs. De plus, certaines fermes qui avaient été rachetées pour être redistribuées avaient été en fait données à des ministres du gouvernement et à d'autres hauts fonctionnaires et non aux paysans sans terre. La plupart des ruraux noirs du Zimbabwe continuaient de souffrir d'une pauvreté considérable. Face à l'échec du gouvernement à remplir ses engagements, des occupations de terres ont commencé à se faire à la base dans les années 80 et 90 ; dans de nombreux cas, les forces de sécurité gouvernementales ont délogé les gens de ces terres avec pas mal de brutalité. Mais, malgré quelques menaces de recours à la force, les fermiers blancs n'ont généralement pas été dérangés ; et nombre d'entre eux sont devenus d'éminents supporters du parti Zanu-PF. Le conflit sur la terre était lié à la tension grandissante entre le gouvernement et les 60 000 vétérans de la guerre de libération, qui n'avaient pas été beaucoup aidés pour démarrer une nouvelle vie après la guerre. Tout le soutien qu'il recevait était sujet d'abus et de corruption. Ces problèmes ont été exacerbés par une crise économique qui s'aggravait dans le pays. Le nouveau gouvernement avait lourdement emprunté auprès de la Banque Mondiale pendant les années 80, et le service de la dette s'est élevé à 37% des revenus tirés des exportations en 1987. En 1987, les conditions du prêt ont conduit à une chute des ressources alimentaires de 2/3 de ce qu'elles étaient en 1981. En 1987, le Zimbabwe était en proie à une crise économique et politique très grave. L'escalade des prix des produits alimentaires et du fuel a entraîné des grèves et des manifestations politiques dans les villes. L'inflation a atteint 100% en 2001.

Sous la pression considérable tant intérieure qu'extérieure, le gouvernement zimbabwéen a annoncé en 2001 la « phase 2 » de son programme d'acquisition des terres. Cette « voie rapide » du programme de repeuplement devait acquérir 3000 fermes pour les redistribuer (cette prévision a été augmentée à presque 5000 en 2002). Le processus d'acquisition fut gêné par un certain nombre de facteurs, le plus important étant l'occupation de nombreuses fermes commerciales par des personnes conduites par des vétérans de la guerre. A la fin de l'année 2001, 114830 foyers furent officiellement enregistrés comme ayant été physiquement déplacés et établis sur 4,37 millions d'hectares. Cette « voie rapide » a été chaotique, lourde et de plus en plus dure. Depuis l'introduction de cette « voie rapide » dans le processus, la politique gouvernementale et les objectifs fixés concernant la redistribution et les occupations des terres ont constamment changé, rendant de plus en plus facile l'acquisition des terres par l'Etat, l'éviction des squatters et l'interruption des activités agricoles.

* Source : Human Rights Watch, Fast Track Land Reform in Zimbabwe , www.hrw.org/reports/2002/zimbabwe/ , March 2002

 

C'est dans ce contexte que l'ITDG dirigea un jury de citoyens, appelé localement Izwi neTarisiro au Zimbabwe. L'objectif de ce jury de citoyens était de démontrer la valeur des interventions des petits agriculteurs dans les débats politiques et d'améliorer la qualité et la pertinence des politiques affectant l'agriculture des petits paysans. Le but du jury était d'adapter localement, de tester et d'évaluer un cadre participatif, délibératif et complet qui pourrait encourager l'engagement des petits paysans dans l'élaboration des politiques agricoles.

 

Le secteur des fermes en lutte au Zimbabwe*

La combinaison de pluies irrégulières, de la chute de la production commerciale de maïs causée par le programme de réforme foncière, du monopole du gouvernement sur les importations de céréales et de l'épidémie de sida a dépouillé le Zimbabwe de son ancien statut de grenier de l'Afrique Australe. La sécurité alimentaire a sérieusement diminué pendant les années 90. L'approvisionnement en maïs fourni par l'Office de Commercialisation du Grain du gouvernement est irrégulier et insuffisant. Le prix du maïs au marché noir a augmenté de plus de 200% au cours de l'année dernière. De nombreux foyers ont recours à des stratégies d'adaptation comme le lavage de l'or, la prostitution et la vente du bétail.

La production des fermes commerciales a énormément chuté ces dernières années suite à l'accélération de la réforme foncière et aux occupations des terres (voir l'encadré sur la réforme foncière). Le Syndicat des Agriculteurs industriels a estimé que 31% des fermes avaient subi des interruptions partielles ou totales des activités fin septembre 2001. En janvier 2002, à peu près 1000 fermes commerciales avaient complètement cessé leurs activités - soit que les propriétaires avaient quitté leur ferme, soit qu'ils avaient été autorisés à y rester, mais sans y travailler, par les milices occupant leurs terres. Les régions particulièrement affectées ont été l'est, le centre et l'ouest du Mashonaland, la région possédant la terre la plus fertile et la plus productive du Zimbabwe. Le Syndicat des Agriculteurs industriels a estimé que près de 250000 têtes de bétail (presque 20% du cheptel industriel national) avaient été déstockées de force fin 2001, et que plus de 1,6 millions d'hectares de pâturages avaient été détruits par le feu, tandis que les plantations industrielles de maïs étaient passées de 150 000 à 45 000 hectares pendant la saison 1999-2000. Les cultures destinées à l'exportation comme le tabac étaient affectées de la même manière. L'extinction du secteur industriel a accentué le taux élevé de chômage et l'insécurité alimentaire du Zimbabwe.

Les petits agriculteurs ont souffert de l'échec du processus de réforme foncière à leur fournir des terres agricoles productives et viables, et d'une perte de capacités de production résultant de l'épidémie de SIDA. Ils ont aussi souffert de la sécheresse récurrente, de la pénurie d'intrants agricoles (en partie parce que le gouvernement en a fourni une grande partie aux agriculteurs nouvellement réinstallés) et des prix élevés quand ils arrivaient à s'en procurer. Le premier arrivage de maïs fourni dans le cadre de l'aide alimentaire parvint au Zimbabwe, d'habitude exportateur de maïs, en janvier 2002, et le Programme alimentaire mondial entreprit une distribution alimentaire d'urgence auprès de 45% de la population au mois de février. Il prévoit d'avoir à poursuivre un soutien de cet ordre dans un avenir proche.

* Sources : Human Rights Watch, Fast Track Land Reform in Zimbabwe , www.hrw.org/reports/2002/zimbabwe/ , March 2002; World Food Programme , Zimbabwe country profile: www.wfp.org/country_brief/index.asp?region=3 ; Jeffrey Alwang et al, Why Has Poverty Increased in Zimbabwe?, World Bank, March 2003

 

Le jury de citoyens

Il y a 1,4 millions de petits agriculteurs au Zimbabwe. Ils constituent ainsi de loin la plus grande partie des agriculteurs du Zimbabwe et sont les plus touchés par les politiques agricoles. Pourtant, ils sont comme d'habitude exclus de l'élaboration de ces politiques.

La première phase de ce jury de citoyens a consisté en un atelier national pour repérer les véritables problèmes affectant les agriculteurs au Zimbabwe. Les organisations partenaires ont choisi 43 participants dans 16 districts du pays pour assister à l'atelier national. Les institutions partenaires comprenaient Veco-Zimbabwe, le Groupement des industries de biotechnologie du Zimbabwe, l'Organisation pour le développement rural, le Programme pour l'eau de Zvishavane (Zvishavane Water Project) et le Groupement pour le développement des technologies communales (Community Technology Development Trust).

L'atelier a identifié plusieurs questions clés qui affectent directement les petits agriculteurs (voir ci-dessous). Ces questions comprennent les questions relatives aux semences et aux droits de propriété intellectuelle.

Les critères ayant permis la sélection des membres du jury

Après l'atelier, 16 membres du jury ont été sélectionnés parmi les participants. Les critères suivants ont été choisis pour opérer cette sélection :

- l'habilité à parler devant les autres,

- la diversité des parcours et des plantes cultivées,

- une personne par district,

- l'égalité des sexes,

- l'occupation à temps plein dans le travail agricole et la résidence dans une zone rurale,

Les agriculteurs sélectionnés pour faire partie du jury étaient issus de 7 des 8 provinces du pays :

deux de la province du Mashonaland-est, cinq de la province du Manicaland, quatre de la province du Mashonaland-centre, un de la province du Matebeleland-nord et un agriculteur des Midlands (voir la carte).

Les membres du jury ont été initiés séparément aux procédures et au mécanisme du jury. Cette initiation était une mesure de mise en confiance dans l'intention d'encourager les membres du jury pour permettre des débats ouverts leur permettant de travailler en équipe. Un simulacre de jugement fut organisé, avec des témoins, des membres du jury et un comité de supervision. Tout ceci fut organisé pour favoriser des relations plus proches entres les jurés. Un avocat possédant l'expérience des procédés d'élaboration des politiques publiques fut invité pour expliquer comment les politiques sont élaborées et où les voix des agriculteurs pourraient contribuer à cette élaboration.

Les témoins

Dix-sept spécialistes témoins présentèrent leurs perspectives ou celles de leurs institutions concernant l'agriculture des petits agriculteurs jusqu'en 2020. Les critères principaux de sélection des témoins étaient la connaissance d'un thème spécifique, l'habilité à communiquer en langue shona, la langue locale, et leur bonne volonté pour répondre aux questions du jury. Les témoins comprenaient quatre membres du gouvernement, cinq représentants d'ONG, quatre universitaires, deux délégués de syndicats agricoles, et deux venant d'entreprises publiques à caractère économique. Deux personnes furent choisies pour devenir membres du comité de surveillance. Un membre du Comité était adjoint à l'administration du Ministère des Terres et l'autre était un consultant indépendant connu dans la région.

 


Petits agriculteurs partageant leurs connaissances lors d'une visite d'échange dans le district de Nyanga.

 

Les problèmes affectant les petits agriculteurs au Zimbabwe

Les questions suivantes ont été soulevées par les participants à l'atelier qui a précédé le Jury de Citoyens comme étant les questions les plus pressantes concernant les petits agriculteurs :

1.

La représentation des petits agriculteurs :

Les questions qui se posent à la base ne sont pas bien répercutées au niveau national par les syndicats agricoles et aucune réponse n'est donnée en retours aux structures de base. La faible participation aux organes de décision affecte souvent gravement la représentation des agriculteurs à tous les niveaux.

2.

Le manque de connaissances et d'informations :

Les petits agriculteurs manquent souvent de connaissances et d'informations sur la manière d'augmenter leur productivité ou d'améliorer leurs moyens d'existence. Ce manque d'information s'ajoute au manque de contact avec d'autres agriculteurs qui sont dans des situations similaires et sont confrontés aux mêmes problèmes dans d'autres endroits.

 

3.

Les pénuries en intrants et les prix élevés :

La disponibilité des intrants et leur acquisition à un prix abordable sont devenus un problème énorme pour les agriculteurs. Les intrants comme les engrais et les semences sont souvent introuvables chez l'épicier local, et quand ils le sont, soit ils sont trop chers soient ils ne conviennent pas.

4.

Les semences :

Les avantages éventuels et les risques représentés par des technologies comme la modification génétique ne sont souvent pas très clairement expliqués aux agriculteurs. Les produits mis en promotion ne font que les promouvoir sans mentionner les effets négatifs. Les discussions et les débats sur ces questions sont souvent laissés aux universitaires. La plupart des semences mises sur le marché sont des semences hybrides qui ne peuvent pas être réutilisées la saison suivante tandis qu'au même moment les prix des semences ont monté en flèche et sont devenus inaccessibles pour beaucoup d'agriculteurs.

5.

Le manque d'unités de transformation des produits agricoles :

Les produits des petits agriculteurs sont souvent vendus à l'état brut plutôt que transformés. Les moyens techniques ne sont pas disponibles pour ajouter de la valeur à la source, ce qui limite leur rentabilité.

 

6.

Machines / équipement :

Le travail agricole des petits agriculteurs est intensif et manque de l'outillage de base qui pourrait les aider à faciliter leurs tâches.

7.

Faiblesse dans la coordination entre les organisations s'occupant de développement :

Les efforts de développement sur les questions touchant le travail des petits agriculteurs sont souvent peu coordonnés et ont tendance à se recouper ou à refaire ce qui a déjà été fait. Les institutions ont des structures et des manières de travailler trop rigides qui permettent difficilement aux agriculteurs de travailler avec elles.

8.

Absence de participation dans l'élaboration des politiques :

Les petits agriculteurs ne participent pas directement aux organismes de conception et de prise de décision politique. Les agriculteurs de base possèdent un savoir précieux des potentiels et des limites de leur environnement qui devrait être estimé et pris en compte.

9.

Des méthodes d'agriculture inappropriées :

Les techniciens agricoles ont contraint les agriculteurs à se conformer à des méthodes agricoles particulières censées accroître la productivité. Ces systèmes agricoles ont accentué la monoculture et un recours important aux produits chimiques. Des pratiques de labourage inappropriées ont souvent détérioré les sols. Les propres pratiques de production des agriculteurs ont souvent été considérées comme non pertinentes et rétrogrades.

10.

Piratage des savoirs et des ressources :

Les communautés de petits agriculteurs perdent souvent des ressources précieuses à cause du manque de connaissance sur leur valeur. Le savoir sur les plantes médicinales et autres connaissances précieuses est livré en toute confiance à des personnes étrangères qui continuent à utiliser ce savoir pour leurs propres intérêts universitaires et qui finissent par revendiquer ces connaissances sans jamais en citer la provenance ni verser de royalties.

11.

Une infrastructure insuffisante : Les routes et le téléphone.

La plupart des zones agricoles où vivent les petits agriculteurs manquent d'infrastructures de base indispensables à l'activité économique. Soit les routes sont impraticables pendant certaines saisons, soit les transporteurs les évitent en raison de la faiblesse des activités. L'absence d'une information adéquate sur les marchés ou les savoirs joue en défaveur des petits agriculteurs. Le prix élevé des postes de radio et autres moyens de communication, ainsi que l'énergie pour les alimenter, limitent l'accessibilité à l'information.

12.

Les marchés, la concentration et les contrats :

Les petits agriculteurs sont énormément exploités au moment de la commercialisation. Cette exploitation est aggravée par le manque d'informations sur les marchés. L'incapacité à répondre aux exigences de qualité et de volumes de production a exclu les petits agriculteurs des négociations de contrats rentables. Le transport et la faible infrastructure ont aussi aggravé les problèmes pour les agriculteurs.

13.

Un accès nul ou limité au crédit :

Les petits agriculteurs n'arrivent souvent pas à avoir accès aux prêts parce qu'ils ne réunissent pas les garanties nécessaires ou parce qu'investir sur leurs affaires paraît trop risqué.

14.

L'eau pour l'agriculture :

Le problème de l'eau pour l'agriculture est devenu une question centrale en particulier à cause de la période de sécheresse actuelle qui affecte tous les agriculteurs.

15.

Le SIDA et ses conséquences sur le travail :

Les maladies, en particulier le SIDA, ont eu des conséquences dévastatrices sur l'agriculture des petits agriculteurs soit parce que les personnes en mesure de travailler ont été contaminées soit parce qu'elles s'occupent de ceux qui sont malades. Cela affecte directement la production car cela prive les agriculteurs de leur travail. Là où un leader paysan tombe malade et disparaît, il n'y a pas de reprise de l'activité et on assiste même à l'effondrement des initiatives dont il avait pris la direction.

16.

Les problèmes de gestion des ressources naturelles :

Les petits agriculteurs doivent faire face à un problème difficile pour gérer leur environnement. Cela est dû au système communautaire d'occupation des terres qui stipule que les zones de pâturage sont propriété commune. La responsabilité de leur préservation devient alors l'affaire de tous et dans la plupart des cas cela veut dire la responsabilité de personne. Même pour les terres dont une partie est possédée à titre individuel il n'y a pas de titre de propriété et ainsi les mesures de préservation des champs et de la ferme sont laissées aux initiatives individuelles.

 

17.

Accès à la recherche et à la formation :

Comme l'agriculture représente l'essentieldes revenus des petits agriculteurs, l'accès à la recherche et à la formation agricole est très important. La recherche a eu tendance à se fixer sur des questions qui ne sont pas primordiales pour les petits agriculteurs. Et la formation était souvent indisponible ou de faible qualité.

18.

Des ressources limitées pour gagner sa vie :

Il y a peu d'autres moyens de gagner sa vie pour les petits agriculteurs. Il y a peu d'activités générant des revenus entre la récolte et la prochaine saison de plantation. Une récolte ratée est souvent désastreuse pour les revenus des petits agriculteurs car ils ne peuvent pas obtenir d'argent pour acheter les intrants pour la saison suivante.

Les agriculteurs de Chivi ont redonné vie aux fêtes des semences, réapparues dans les années 90 à l'occasion de visites d'échange entre le Zimbabwe et le Pérou, où les fêtes des semences ont une grande valeur culturelle et spirituelle. Chaque année, les fêtes des semences représentent maintenant un événement dans beaucoup de villages de la région.

 

Le verdict

Après avoir entendu les témoignages et délibéré pendant quatre jours, le jury citoyen a délivré son verdict sur une série de questions comme celle de l'eau et de l'agriculture, des choix de moyens d'existence en milieu rural, le SIDA, et la gestion des ressources naturelles. Certaines d'entre elles sont présentées dans l'encadré p Â…. Les témoins sont parvenus à un consensus sur un grand nombre de questions, et ont démontré leur capacité à identifier et à formuler des avis et des recommandations mûrement réfléchis sur des sujets complexes nouveaux pour beaucoup d'entre eux (comme les OGM). Les agriculteurs ont soulevé un certain nombre de questions préoccupantes sur l'aspect économique, environnemental, social et pouvant présenter des risques des cultures génétiquement modifiées. Ils ont fait part de leurs inquiétudes concernant la pollinisation croisée, la contaminations des espèces sauvages parentes, la résistance aux maladies, les conséquences sur les insectes utiles, le coût des semences, les droits de propriété intellectuelle, la biopiraterie, et sur beaucoup d'autres questions. La question de la souveraineté alimentaire fut abordée par les agriculteurs lorsqu'ils ont reconnu que « Le Zimbabwe n'a pas encore été en mesure de produire des cultures issues de semences génétiquement modifiées et serait ainsi obligée de dépendre des compagnies étrangères ». La question de savoir comment les sanctions peuvent toucher l'approvisionnement en semences pose un problème particulier dans le contexte zimbabwéen.

 

Points clés du verdict :

Recherche et vulgarisation
Nous désirons :

- Le développement de systèmes de formation favorisant les méthodes collectives ;

- des connaissances suffisantes en matière de sélection à la fois sur les semences modernes et les semences traditionnelles ;

- des techniciens agricoles engagés et volontaires pouvant les appuyer ;

- une recherche conduite sur dans des fermes et menée par les agriculteurs en fonction de leurs priorités;

- des méthodes de vulgarisation qui valorisent les connaissances des paysans ;

- le développement de méthodes de formation basées sur les échanges ente agriculteurs ;

- un cycle complet de formation agricole organisé sur le terrain dans des écoles à la ferme.

 

Systèmes d'agricultures
Nous désirons :

- des systèmes de fertilisation des sols disponibles au niveau local ;

- la formation de groupes puissants d'agriculteurs ;

-la promotion de la conservation des cultures et des élevages traditionnels ;

- que les produits agricoles aient plus de valeur ajoutée ;

- la rotation des cultures ;

- des systèmes agricoles de cultures associées et en mélange ;

- le développement de la culture d'un vaste éventail de plantes et de variétés ;

- le développement et le recours aux plantes locales pouvant servir à lutter contre les maladies ;

- une recherche pour améliorer les produits de lutte chimique ;

- la disponibilité d'animaux adaptés ;

- la possibilité de fabriquer des outils et de l'équipement au niveau local ;

- le développement de méthodes qui ne nuisent pas aux écosystèmes locaux.

 

Les droits de propriété intellectuelle
Nous désirons :

- des lois protégeant nos semences de l'utilisation qui pourraient en être faite pour créer des hybrides et protégeant nos ressources naturelles des intérêts financiers des firmes ;

- que la situation des pays en développement soit pise en compte dans l'élaboration des lois et des traités internationaux qui les touchent ;

- la liberté de vendre les semences sur le marché local ;

- la liberté pour les agriculteurs d'échanger et de produire leurs propres semences ;

- la mise en place de lois qui mettent en oeuvre une compensation et une demande d'autorisation lorsque nos connaissances sont utilisées pour des bénéfices commerciaux ;

 

Nous nous opposons :

- à la cession totale des droits de production de semences aux grosses compagnies.

 

Les organismes génétiquement modifiés
Nous soutenons :

- une information et un enseignement complets en matière d'OGM ;

- davantage de recherche concernant les avantages et désavantages supposés des OGMS ;

- une indemnisation obligatoire versée aux personnes affectées par les OGM ;

- l'indépendance des petits agriculteurs en matière de production de semences.

 

Nous nous opposons :

- à l'utilisation des OGM dans l'alimentation car il n'y a aucune garantie concernant l'absence de danger et les conséquences futures ;

- à l'utilisation des OGM à causes des risques qu'ils entraînent pour l'environnement ;

 

Grâce à la mobilisation des communautés, à la renaissance des méthodes de culture traditionnelles (y compris celle des arachides, comme on le voit ici en arrière-plan), des fêtes des semences et de la collecte de l'eau, la sécurité alimentaire pose moins de problèmes aux agriculteurs dans le district de Chivi.

 

Désormais, la principale préoccupation des agriculteurs est de trouver le moyen de commercialiser le surplus.

Le transport et les infrastructures rurales sont très limités. En dehors du marché local, les agriculteurs sont à la merci de quelques commerçants qui ont tendance à les exploiter.

Le jury de citoyens a été très précieux en rassemblant une grande variété d'experts allant des membres du gouvernement aux petits agriculteurs, qui ont partagé leurs préoccupations et leurs connaissances, et fait la démonstration de la contribution précieuse que les agriculteurs peuvent apporter aux débats de politiques. L'interaction directe entre les petits agriculteurs et les décideurs politiques a révélé les écarts pouvant survenir entre l'élaboration des projets politiques et leur mise en Âœuvre. Il a été intéressant de noter que le programme de vulgarisation officiel du gouvernement listait 32 méthodes alors que 11 seulement étaient appliquées en réalité. La « boîte à outils » de la vulgarisation comprend des forum à la ferme, une méthode participative de formation, une recherche sur les systèmes agricoles et d'autres propositions jugées utiles par les petits agriculteurs mais qui ne sont pas appliquées sur le terrain.

Un certain nombre de jurys de citoyens ont été organisés dans le monde ces dernières années sur le thème des OGM. [1], comme celui de Prajateerpu en Andhra Pradesh [2] et un autre au Royaume Uni [3]. Ces exemples de démocratie « délibérative », qui visent à donner voix au chapitre à ceux qui ont toujours été exclus des processus de décision, deviennent de plus en plus populaires. Elles offrent un mécanisme important et efficace pour faire coïncider les décisions politiques avec les situations du monde réel - et dans le cas qui nous concerne ici, les vies et les préoccupations des petits agriculteurs.

 

Elijah Rusike travaille pour le Groupe de développement des technologies intermédiaires (ITDG : Intermediate Technology Development Group), en Afrique Australe. Il anime actuellement Le Programme pour des moyens d'existence durables de Nyanga. Le programme de production alimentaire de l'ITDG en Afrique Australe a animé un grand nombre de fêtes des semences, d'échanges entre agriculteurs (avec la participation de quelques agriculteurs venant de l'étranger) et de journées sur le terrain, où des agriculteurs ouvrent leurs fermes à d'autres agriculteurs.

Elijah peut être contacté au [email protected] ou par courrier c/o ITDG, P.O. Box 215, Nyanga, Zimbabwe.

 

[1] www.peals.ncl.ac.uk/public-ations/leisa.pdf

[2] www.iied.org/sarl/research/projects/ t5proj01/IIEDcitizenjuryAP1.html

[3] www.gmpublicdebate.org

Author: Elijah Rusike
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  • [1] http://www.grain.org/seedling/www.hrw.org/reports/2002/zimbabwe/
  • [2] http://www.grain.org/seedling/www.wfp.org/country_brief/index.asp?region=3
  • [3] mailto:[email protected]?subject=From%20the%20GRAIN%20website:%20%20
  • [4] http://www.grain.org/seedling/www.peals.ncl.ac.uk/public-ations/leisa.pdf
  • [5] http://www.grain.org/seedling/www.iied.org/sarl/research/projects/t5proj01/IIEDcitizenjuryAP1.html
  • [6] http://www.grain.org/seedling/www.gmpublicdebate.org