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Inquiétudes des pays africains sur le brevetage des ressources biologiques

by GRAIN | 13 Aug 2002
TITRE: Inquiétudes des pays africains sur le brevetage des ressources biologiques AUTEUR: Brahima Ouedraogo PUBLICATION: Service de presse de l'IPS DATE: le 9 août 2002 URL:
http://www.ipsnews.net/fr/interna.asp?idnews=1304
NOTE: Le dialogue régional a été organisé par le Centre International sur le Commerce et le Développement Durable (ICTSD). Pour plus d'information, voir
http://www.ictsd.org/dlogue/dialog.htm
ou contacter Christophe Bellman cbellmann(at)ictsd.ch.

IPS | 9 août 2002

INQUIETUDES DES PAYS AFRICAINS SUR LE BREVETAGE DES RESSOURCES BIOLOGIQUES

Par Brahima Ouedraogo

DAKAR, 9 août (IPS) - Des associations de la société civile et des organisations non gouvernementales (ONG) ont exprimé leurs inquiétudes par rapport aux conséquences de la protection des ressources biologiques par brevet.

Réunies cette semaine à Dakar, capitale du Sénégal, pour un dialogue régional sur le commerce et les ressources biologiques en Afrique de l'ouest et du centre, ces associations et ONG estiment que cette protection par brevet est inscrite dans les textes des Accords de Bangui révisés -- qui concernent les 16 pays membres de l'Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI).

Selon les associations, le brevetage des ressources biologiques -- qui comprennent les variétés végétales ainsi que les ressources génétiques et phytogénétiques -- pourrait avoir des conséquences graves sur la sécurité alimentaire et ouvrir la voie au pillage des ressources dans les pays francophones de l'ouest et du centre de l'Afrique.

Les Accords de Bangui révisés imposent aux pays membres de l'OAPI de se conformer aux Accords sur les droits de la propriété intellectuelle liés au commerce (ADPIC) de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

Les participants se sont engagés à plaider désormais 'pour des changements de politiques nécessaires en ce qui concerne la protection de la vie avant le commerce, le non brevetage du vivant'.

Ils vont plaider également pour la révision des Accords de Bangui signés 1997 et déjà révisés en 1999 avant leur entrée en vigueur en février 2002. Ces accords, dans lesquels, constatent les ONG, 'on entend breveter le vivant, ce qui, de façon ultime, menace les capacités de production et même la qualité de vie dans les pays déjà très pauvres'.

Selon l'ONG Oxfam, l'un des organisateurs de la rencontre de Dakar, la mise en oeuvre de l'annexe des Accords de Bangui révisés -- qui requiert la protection, par brevet ou par des régimes spéciaux, des variétés végétales -- constitue une menace la pour les petits agriculteurs qui ne pourront plus ni stocker, ni échanger ni même vendre des semences.

'Les brevets par définition interdisent aux tiers de s'adonner à cette activité. Or le contrôle des semences est une exigence fondamentale pour la sécurité alimentaire et la protection de la biodiversité', écrit Oxfam dans son document intitulé 'Deux poids deux mesures'.

Oxfam explique, par exemple, que 'Les femmes traditionnellement gardiennes des ressources génétiques indigènes telles que les plantes médicinales, sont directement concernées par ce problème'.

Selon les participants au dialogue, la sélection des plantes va entraîner la 'privatisation' des ressources génétiques en général dans les pays africains qui manquent de moyens financiers et technologiques pour conduire des recherches et dont les cultures sont opposées à toute 'commercialisation du vivant'. 'Les communautés locales qui ont pendant des générations conservé, utilisé, entretenu et amélioré, par leur savoir-faire, ces variétés végétales, subissent une sorte d'injustice dans la mesure où elles ne peuvent bénéficier du brevet', souligne Abraham Gadji, un juriste ivoirien.

Selon lui, les populations locales ne peuvent pas remplir les conditions d'attribution du brevet qui sont, entre autres, la nouveauté de l'invention, l'aspect nouveau de l'innovation et le fait que l'invention doit être applicable au plan industriel.

Pour le biologiste burkinabè, Jean Didier Zongo, la main-mise du secteur privé sur la recherche pour le développement, va se concentrer sur des cultures et des innovations rentables qui seront vendues dans le Nord.

Zongo craint par ailleurs que les investisseurs du privé s'intéressent essentiellement aux cultures de rente. 'Les cultures vivrières ont beaucoup de chance d'être des laissés pour compte car les petits paysans ne pourront pas payer le coût...'

Les pays africains, qui souffrent d'une pénurie de compétences et présentent des lacunes dans les domaines de la science et de la technologie, ou qui manquent d'un cadre juridique et institutionnel adéquat, pourraient assister impuissants à la piraterie de leurs variétés végétales -- sous le couvert -- par des entreprises occidentales. Ces dernières pourront ensuite en tirer de gros profits au détriment des dépositaires naturels de ces ressources génétiques.

Selon le rapport de Oxfam sur le commerce équitable publié en avril dernier, les bénéficiaires des accords ADPIC sont les pays industrialisés qui concentrent 97 pour cent des brevets alors que les Etats africains n'ont déposé que 0,02 pour cent des demandes de brevet à l'OAPI.

Selon le juriste sénégalais Abdoulaye Sakho, l'accord ADPIC constitue une menace pour les ressources biologiques qui sont une richesse fondamentale pour l'Afrique et son agriculture. 'Cet accord cherche à réaliser le transfert en bloc du système de protection juridique de la propriété intellectuelle, conçu pour les pays industrialisés, dans les pays pauvres à formation économique et sociale fort différente'. Pour lui, il en résulte 'de sérieux problèmes éthiques, économiques et sociaux...'

'Mais s'il faut encourager l'innovation, il faut le faire pour tous en évitant les schémas universalisés. En somme, il faut moduler la protection intellectuelle en fonction du niveau de développement car les pays les plus pauvres auront du mal à supporter les coûts d'une protection plus contraignante qui les empêchera de rattraper les autres', souligne Sakho.

Mathieu Hien, spécialiste des questions de commerce au Burkina, préconise une protection des ressources biologiques par les Etats qui pourraient les mettre à la disposition des populations à travers des licences gratuites. 'Il y a beaucoup de résultats à protéger dans nos pays. S'ils sont protégés, personne d'autre ne pourra les protéger ailleurs ou même les piller', affirme-t-il. L'entrée en vigueur des Accords de Bangui révisés a déjà entraîné une levée de boucliers chez les associations et les ONG impliquées dans la lutte contre le SIDA. Elles estiment que ces accords sont venus renforcer les possibilités juridiques des pays industrialisés malgré la déclaration de Doha (Qatar) qui avait laissé entrevoir une lueur d'espoir, notamment avec les licences obligatoires et les exportations parallèles pour obtenir des médicaments anti-SIDA à bas prix.

Les pays membres de l'OAPI concernés par les Accords de Bangui sont le Bénin, le Burkina Faso, le Cameroun, la République Centrafricaine, le Congo-Brazzaville, la Côte d'Ivoire, le Gabon, la Guinée, la Guinée-Bissau, la Guinée Equatoriale, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Sénégal, le Tchad et le Togo.

© IPS Inter Press Service

Author: GRAIN
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