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Les exportations alimentaires et les accords de libre-échange

by GRAIN | 10 Oct 2008
et les accords de libre-échange

GRAIN

L'un des éléments non-négociables dans la vague d'accords de libre-échange (ALE) qui ont été signés ces dix dernières années ou qui sont actuellement en négociation, c'est que la circulation des marchandises au niveau international ne peut en aucune manière être contrôlée ou restreinte. On n'accorde donc en général peu d'attention au fait que les accords de libre-échange avec les Etats-Unis ou l'Union européenne contiennent des clauses du type de celles-ci:

… aucune des Parties ne pourra adopter ou maintenir une interdiction ou une restriction à l'importation d'un produit d'une autre Partie ou à l'exportation ou à la vente pour exportation d'un produit destiné au territoire d'une autre Partie… (1)

Bien que cela soit rarement mentionné, les négociateurs du gouvernement sont tout à fait au courant que la clause citée ci-dessus inclut les denrées alimentaires. En d'autres termes, les gouvernements savent qu'ils renoncent à leur droit de contrôler les exportations et les importations de produits alimentaires dès lors qu'ils signent les ALE.

Dans les accords commerciaux signés par les Etats Unis, il n'y a qu'une seule exception très restreinte à l'interdiction de limitation des exportations de denrées alimentaires, qu'on retrouve dans l'accord qui a fondé l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Elle concerne les cas de "grave" pénurie alimentaire, ne peut être appliquée que pour un court laps de temps, et demande l'approbation des Etats Unis.

Au début des négociations pour l'Accord de l'OMC, les Etats Unis ont proposé de supprimer toutes les interdictions et restrictions sur les exportations de produits alimentaires, mais sa proposition a soulevé de telles protestations qu'elle a été retirée. Mais elle n'a pas été oubliée. Dans toutes les négociations qui ont eu lieu ensuite, les Etats Unis ont essayé à chaque occasion d'empêcher les restrictions sur les produits alimentaires. Ils ont fermement défendu cette politique dans les négociations pour l'Accord de libre échange des Amériques, qui n'ont pas abouti, et dans leurs négociations pour les accords bilatéraux de libre-échange dans le monde, et ont continué à faire campagne pour que l'exception soit encore plus limitée.

L'Union européenne a suivi une politique similaire ou est allée plus loin. Même si dans les accords signés avec le Chili, l'Algérie et l'Egypte, elle permet des restrictions sur leurs exportations en cas de graves pénuries alimentaires, on ne retrouve pas cette exception dans les accords récemment signés avec les pays des Caraïbes et du Pacifique ni dans le projet d'accord qui est en cours de négociation avec le Costa Rica et les pays d'Afrique centrale.

Les pays latino-américains ont cédé aveuglément à ces demandes. Aucun pays qui a signé des accords avec l'Union européenne ou avec les Etats Unis n'a insisté pour qu'une exception claire soit faite concernant les produits alimentaires. Le Mexique a même fait pression pour que l'exception légère et limitée permise par l'Accord de l'OMC soit encore plus allégée.

La première fois que les Etats Unis ont fait ce genre de demande à l'OMC, ses représentants ont été d'une franchise brutale: le texte qu'ils voulaient inclure indiquait que les exportations et les importations alimentaires ne pouvaient pas être restreintes même en cas de guerre ou de famine. Quand les mouvements sociaux mobilisés contre les accords de libre-échange ont fermement défendu l'argument que ce type de clause pouvait être utilisé comme arme de guerre ou comme mécanisme d'extorsion, les gouvernements les ont accusés de paranoïa.

La crise alimentaire actuelle montre que, loin d'être paranoïaques,  les mouvements sociaux ont été perspicaces en montrant que la recherche avide de profits du capital est sans limites. Pour la plupart d'entre nous il est évident que, pour de simples raisons de justice et de respect de la dignité humaine, le désir de profits ne devrait pas permettre de placer l'alimentation hors d'atteinte des plus démunis. Les organisations et les gouvernements qui ne le voient pas devraient au moins être conscients que, quand une telle avidité est permise, cela provoque des explosions sociales qui mettent en danger le système même qu'ils sont si déterminés à défendre et à protéger. Cependant, la crise alimentaire a permis de générer des profits si considérables pour les géants du commerce alimentaire (en 2007, les trois plus grosses entreprises commerciales ont doublé leurs profits qui sont montés à 5,2 milliards US$), que tout soucis d'éthique ou même de simple gouvernabilité / capacité à gouverner a été balayé. Ce qui se passe, c'est que les gouvernements de pays comme Haïti ou la Malaisie, qui ont restreint les exportations pour s'assurer que la population ait accès aux denrées alimentaires de première nécessité, peuvent désormais être poursuivis par les pays avec lesquels ils ont signé des ALE. Il est probable que nous assisterons à cette chose absurde qui fera qu'un pays qui a essayé de protéger l'approvisionnement alimentaire de sa population fasse l'objet de sanctions commerciales ou soit contraint de payer d'énormes amendes.

L'une des conséquences les plus connues des ALE est la destruction de l'agriculture et des systèmes alimentaires locaux, car ils ne peuvent pas concurrencer les importations alimentaires. L'incapacité à contrôler les exportations est un autre tour de vis. Cela signifie que, avec une agriculture locale en ruines, les gouvernements ne peuvent pas protéger leurs populations des conséquences de cette catastrophe agricole sur l'approvisionnement alimentaire. Il apparaît clairement que la crise alimentaire n'est pas un accident sur la route du capitalisme globalisé mais une catastrophe que l'industrie alimentaire globalisée a créée. Les ALE sont un instrument clé de ce processus.


(1). Cet article se trouve dans tous les Accords de libre-échange que les Etats-Unis ont négociés. On le trouve entre autres dans l'article  309, paragraphe 1 de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA); l'article 2.8 de l'Accord de libre échange entre les Etats Unis et l'Amérique centrale; dans l'article 2.8 de l'ALE Etats Unis - Pérou; dans l'article 2.8 de l'ALE Etats Unis - Maroc; dans l'article 2.7 de l'ALE Etats Unis - Singapour; et dans l'article 3.11 de l'ALE Etats Unis - Chili.

Author: GRAIN