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Politiques agricoles africaines et développement des exploitations agricoles familiales

by Ibrahim OUEDRAOGO, Mamadou Goita, Ndiaga SALL, Rene SEGBENOU et Nestor MAHINOU | 17 May 2009

Déclaration liminaire à la conférence publique animée par la Coordination régionale de la Coalition pour la Protection du Patrimoine Génétique Africain - COPAGEN, à Cotonou (Bénin), le 23 avril 2009

Par Ibrahim OUEDRAOGO (INADES – Formation - Coordonnateur Régional), Mamadou Goïta (IRPAD – Mali), Ndiaga SALL (ENDA – Sénégal), René SEGBENOU (JINUKUN - Bénin), et Nestor MAHINOU (Synergie Paysanne – Bénin)

Les politiques agricoles mises en œuvre par les dirigeants des pays africains pendant près de 50 ans, n’ont privilégié que les cultures de rente. De ce fait, des filières organisées et dotées de moyens ont été mises au service du Coton, du cacao, du palmier à huile, de l’hévéa, de l’arachide, etc. exportés pratiquement sans valeur ajoutée pour alimenter les industries du Nord. Malheureusement pour le continent, les prix de ces matières premières agricoles sont fixés par l’occident au détriment des producteurs africains, ce qui a été pour une grande part à la base des crises connues dans les filières mentionnées, et qui ont drainé vers l’extérieur les ressources du continent, à l’instar des industries extractives minières. Pendant ce temps aucun effort substantiel n’a été fait pour accompagner les productions vivrières jusqu’aux récentes émeutes contre la vie chère.

Si les produits de rente ont été privilégiés, on pouvait néanmoins observer que les performances agricoles observées étaient le fait de centaines, de milliers d’exploitations agricoles familiales qui ont, par exemple, hissé la Côte d’Ivoire au rang de premier pays producteur de Cacao dans le monde, et fait du coton africain, l’un des meilleurs au plan mondial. Malgré les difficultés rencontrées et sans soutien conséquent, les exploitations agricoles familiales ont assuré, pour une grande part, l’autosuffisance alimentaire sur le continent. Il a été donné de constater que lorsque les conditions climatiques sont bonnes, des pays sahéliens comme le Mali et le Burkina Faso peuvent facilement faire des excédents céréaliers. Au Bénin, les données de l’Office National de Sécurité Alimentaire pour 2007 prouvent que les besoins en tubercules du pays sont couverts avec une production de plus de 5 400 000 tonnes. En plus de sa capacité à nourrir les populations, l’agriculture familiale est la plus grande pourvoyeuse d’emplois sur le continent. Cette agriculture familiale qui est le creuset de notre culture a su s’adapter à plusieurs changements, notamment ceux climatiques.

Par ailleurs, en dépit de leur fragilité apparente, les paysans africains petits producteurs ont un savoir-faire fondé sur une biodiversité agricole d’une grande richesse. Les approches qui savent valoriser cette richesse, associées à certaines techniques agro-écologiques permettent d’obtenir des résultats très satisfaisants. A titre d’exemple, l’utilisation de la fumure organique telle que le compost et la lutte antiérosive ont permis de doubler, voire quadrupler, les rendements des semences locales. La lutte intégrée contre les prédateurs sans utilisation de pesticide a permis d’avoir plus de 30% d’augmentation de la production. Enfin, signalons qu’au Mali, le producteur de riz de l’Office du Niger qui a eu le prix du meilleur rendement avec plus de 8 tonnes à l’hectare n’a utilisé que la fumure organique et les semences locales.

Les appuis qui auraient pu soutenir ces performances n’ont connu que des réductions au cours du temps. De 1984 à 2006, l’aide publique consacrée à l’agriculture a baissé de près de 62,5 %, passant de 8 milliards de $ US à 3 milliards de $ US. La part du budget national affecté à l’agriculture, dans les pays en voie de développement est en moyenne de 4 % ; plusieurs pays y consacrent 1 % et parfois moins. Ces chiffres montrent à suffisance, la désaffection croissante à l’égard du secteur agricole ; cependant, le secteur agricole fournit entre 60 à 80 % des emplois, et les activités agricoles participent pour 25 à 40 % à la constitution du PIB des pays africains. Les agriculteurs nourrissent environ 90 % de la population africaine.

Malheureusement, une mauvaise analyse des récentes émeutes de la faim a conduit les dirigeants africains à disqualifier cette agriculture, et les pousse actuellement à la mise en place de politiques agricoles, plus en faveur de l’agriculture industrielle que de l’agriculture familiale dont nous venons de voir les potentialités.

Ces émeutes violentes contre la vie chère ont sensibilisé la communauté internationale sur le rôle capital de l’agriculture dans le maintien de la stabilité politique, et la sécurité nationale voire internationale. Pour y faire face, plusieurs réunions ont eu lieu sur le continent africain et en dehors afin de mobiliser des fonds importants. Les fonds étant annoncés, plusieurs pays africains s’engagent dans l’élaboration de plan stratégique de relance du secteur agricole. Ces plans visent essentiellement à promouvoir l’agrobusiness, en octroyant de très grandes superficies à quelques nationaux, et surtout à des Etats étrangers, voire des multinationales. Souvenez-vous du cas de Madagascar qui avait concédé près d’un million cinq cent mille hectares à l’entreprise coréenne DAEWOO. Ne nous étonnons pas que de pareilles transactions se passent déjà dans nos pays, et que les réformes foncières en cours dans la plupart des pays de l’Afrique de l’Ouest ne visent qu’à légitimer pareilles situations, et à laisser la porte ouverte, tout en légalisant le pillage des terres. Ces grandes superficies ainsi retirées aux petits producteurs seront occupées par des monocultures pour la production des agrocarburants et des cultures de rente. Outre des risques de famine annoncés, nous devons nous attendre à de véritables crises sociales.

Malheureusement, ce modèle de production qui existe déjà en Europe n’est viable que grâce aux subventions massives des Etat et à l’utilisation exagérée des pesticides et engrais chimiques, source de destruction accélérée de l’environnement. A titre d’exemple, les subventions accordées par l’Union Européenne et les USA à leur agriculture se montent à 350 milliards de dollars US par an, tandis que l’aide publique accordée par les mêmes est seulement de 50 milliards de dollars US. On a l’impression que les pays en développement sont maintenus en vie pour être davantage sucés [1]. Au regard des scandales de la vache folle, des poulets à la dioxine, ce modèle d’agriculture est de plus en plus remis en cause par les occidentaux, lesquels se tournent aujourd’hui vers une alimentation plus saine, en développant l’agriculture biologique.

Considérant les limites et les conséquences désastreuses de cette forme d’agriculture sur la santé et l’environnement, nous lançons un appel à nos dirigeants de faire preuve de réserve et de promouvoir l’agriculture familiale qui enregistre des succès, et démontre comme nous l’avons dit certaines performances.

Nous lançons aussi un appel aux paysans et aux paysannes africains, pour qu’ils résistent et protègent comme ils ont su toujours le faire leur agriculture.

Nous félicitons certains Etats africains qui ont su faire confiance à leurs agriculteurs en leur accordant une place de choix voire même de premier plan dans l’élaboration des lois d’orientation agricoles. C’est dans cette perspective que nos collègues du Sénégal et du Mali apporteront leurs témoignages. Nous aurons aussi à écouter les agriculteurs du Bénin qui participent actuellement à la relecture du plan stratégique de relance du secteur agricole.


1 Déclaration du Premier Ministre canadien à la conférence monétaire internationale de juin 2007

Author: Ibrahim OUEDRAOGO, Mamadou Goita, Ndiaga SALL, Rene SEGBENOU et Nestor MAHINOU