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La souveraineté alimentaire et l'accord de partenariat économique (1)

by GRAIN | 17 May 2007

Deux sujets d’actualité relatifs a l’agriculture durable en Afrique

Entretiens avec Mamadou GOITA et Ndiogou FALL, Seedling, Janvier 2007

GRAIN

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« La Souveraineté Alimentaire est le droit des populations, des communautés, et des pays à définir leurs propres politiques agricoles, pastorales, alimentaires, territoriales, de travail et de pêche, lesquelles doivent être écologiquement, socialement, économiquement et culturellement adaptées à chaque contexte spécifique. Cela inclut un droit réel à l’alimentation et à la production alimentaire, ce qui signifie que toutes les populations ont droit à une alimentation saine, culturellement et nutritionnellement appropriée, ainsi qu’à des ressources de production alimentaire et à la capacité de subvenir à leurs besoins ainsi qu’à ceux de leurs sociétés. »
Extrait de : La souveraineté alimentaire : un droit pour tous, Déclaration finale du Forum des ONG/OSC pour la souveraineté alimentaire, Rome, Juin 2002.

Nyéléni 2007, le Forum mondial pour la souveraineté alimentaire, s’est tenu au Mali du 23 au 27 février 2007. La réunion a rassemblé environ 600 délégués venus des cinq continents qui ont réaffirmé le droit à la souveraineté alimentaire et ont initié un mouvement international pour inverser le déclin mondial de la production alimentaire par les communautés locales. Ce forum a été organisé par une alliance de mouvements sociaux dont Via Campesina, La Marche mondiale des femmes, le Réseau des organisations paysannes et de producteurs de l’Afrique de l’Ouest (ROPPA), le Forum Mondial des Pêcheurs et des Travailleurs de la Pêche et la Coordination Nationale des Organisations Paysannes (http://nyeleni2007.org/).

L’Afrique rurale a été ravagée par trois décennies de libre échange et de politiques anti-paysannes imposées aux gouvernements du continent par la Banque Mondiale, le Fond monétaire international, l’Organisation mondiale du Commerce, les Etats-Unis et l’Union européenne. Aujourd’hui, des centaines de familles dans les campagnes et dans les villes souffrent de la faim, malgré l’abondance des ressources naturelles du continent. Mais la riposte est engagée. Le Mali, où le forum s’est déroulé, est l’un des premiers pays du monde à avoir fait de la souveraineté alimentaire une priorité nationale.

Nyéléni : la femme qui a fait honte aux hommes

Nyéléni est un symbole en Afrique de l’Ouest. Son histoire est célèbre et il y a beaucoup de chansons qui racontent ses exploits dans la région. Elle est célèbre parce que, dans le monde masculin de l’agriculture, elle était une championne. Elle a vécu il y a plusieurs décennies et c’était une excellente agricultrice, une oratrice enthousiasmante et surtout, elle s’est dressée contre la domination masculine qui excluait les femmes des activités fondamentales de l’agriculture et autorisait les hommes à imposer leur volonté sur le reste de la famille. Elle est naturellement devenue le symbole de la résistance des femmes.

Nyéléni a participé au concours annuel du mariage, une compétition qui jusqu’alors excluait les femmes. Durant plusieurs jours, il opposait les meilleurs hommes entre 16 et 45 ans les uns contre les autres pour découvrir qui, en utilisant le daba traditionnel, pourrait désherber un champs le plus vite tout en faisant le travail le mieux possible. Nyéléni s’inscrivit au concours et gagna, remportant le trophée, qu’on appelait ciwara. Ce fut une grande victoire pour les femmes.


Entretien avec Mamadou GOITA

Mamadou Goïta, un socio-économiste, est Directeur Exécutif de l’Institut de Recherche et de Promotion des Alternatives du Développement (IRPAD) au Mali, et membre de la Coordination Régionale de la Coalition pour la Protection du Patrimoine Génétique Africain (COPAGEN).

Quand le terme de ‘souveraineté alimentaire’ a-t-il été inventé ?

Il est utilisé depuis 1996, quand les gens ont réalisé pour la première fois qu’ils avaient besoin d’un nouveau concept. Nous avons pris conscience que le terme de ‘sécurité alimentaire’ que nous utilisions jusque-là, n’était plus approprié et que la communauté internationale le manipulait pour nous duper. Nous nous sommes rendu compte que les grosses entreprises alimentaires profitaient des négociations de l’OMC sur le commerce de l’alimentation et de tous les débats sur l‘aide alimentaire pour prendre le contrôle de la production alimentaire partout dans le monde, et pour rendre chacun dépendant d’elles pour son alimentation. Au Mali, nous avons réalisé que la nourriture que nous mangions venait de plus en plus de partout dans le monde, des pays occidentaux, d'Inde, etc. Nous nous sommes rendu compte que nous étions trompés, et qu'on nous disait que puisque nous avions suffisamment à manger, nous avions la sécurité alimentaire. Mais ce n'était pas le cas. Les entreprises pouvaient même faire de la nourriture meilleur marché, cela ne voulait pas dire que nous avions une réelle sécurité alimentaire. En cas de conflit avec le pays qui nous approvisionnait en nourriture, le commerce pouvait cesser. Et qu'arriverait-il alors? Notre population pouvait avoir faim. Il existe aussi le terme de "autosuffisance alimentaire". Nous l'employons pour décrire un pays qui est autosuffisant pour sa production alimentaire. Mais ce terme n'est pas non plus ce dont nous avons besoin, car il n'est pas précis: il ne nous indique pas si toute la population a accès à l'alimentation ni quelle sorte de nourriture est produite.

La sécurité alimentaire et l'autosuffisance alimentaire sont des termes techniques. Les petits agriculteurs ont éprouvé le besoin d'un concept plus vaste qui apporte une dimension politique au débat sur l'alimentation.

Et comment définissez-vous la souveraineté alimentaire?

La souveraineté alimentaire comporte deux aspects. D'abord, cela signifie le droit de chacun, ou de chaque groupe, de chaque nation, de choisir ce qu'il mange. C'est très important. C'est permettre à une population, en se fondant sur son héritage culturel, spirituel et ethnique, de choisir ce qu'elle veut manger. Et ensuite cela veut dire que les gens ont le droit de décider librement de la façon dont ils vont produire ce qu’ils veulent manger, sans être influencés par d’autres pays ou des institutions extérieures. Ils ont le droit de décider, selon leur culture et leurs croyances, avec qui et de quelle manière ils vont produire leur alimentation. Et quand je dis alimentation, je veux dire toute la nourriture que nous consommons, à la fois les plantes et les animaux. La souveraineté alimentaire garantit ainsi notre droit de manger ce que nous voulons manger, produire ce que nous voulons produire, et de le faire comme nous l’entendons. C’est un concept profondément politique et qui a plusieurs dimensions.

La première dimension, c’est la question des semences, qui concerne la recherche dans nos pays. En Afrique, les instituts de recherche nationaux appartiennent aujourd’hui aux multinationales ou aux organismes bilatéraux financés par les multinationales. Ce qui veut dire que nous n’avons aucune souveraineté sur le type de recherche qui est mené. Nous ne pouvons mener de recherches que dans les domaines où ils veulent qu’on fasse des recherches, et donc la recherche sur les semences ne se fait pas dans les domaines que nous considérons comme importants. Cela doit changer. La seconde dimension, c’est la question de la propriété foncière, celle de l’accès à la terre. On ne peut pas parler de souveraineté alimentaire si ceux qui produisent l’alimentation ne sont pas impliqués dans la gestion de la terre qu’ils cultivent. Ils doivent être totalement impliqués, pour construire la fertilité de leur terre. C’est pourquoi la question de la propriété foncière doit être résolue dans le processus d’élaboration de la souveraineté alimentaire dans un pays. La troisième dimension est financière : comment finançons-nous notre agriculture en termes d’accès au crédit et à d’autres moyens de production ? Pour que les agriculteurs soient en mesure de produire de manière durable, et la durabilité fait partie intégrante de la souveraineté alimentaire, ils doivent pouvoir accéder à certains types de financements. Un financement approprié est essentiel à la souveraineté alimentaire.

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Author: GRAIN
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