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Intervention des Organisations Paysannes et des Producteurs à la conférence régionale sur les biotechnologies en Afrique de l'Ouest

by ROPPA et RECAO | 26 Oct 2005

ROPPA et RECAO

Bamako, 21-24 Juin 2005

Excellence, Monsieur le Ministre de l'Agriculture de la République du Mali,
Monsieur le représentant du Secrétaire Exécutif de la CEDEAO,
Messieurs les représentants de l'UEMOA et du CILSS,
Mesdames et Messieurs les Partenaires au développement,
Mesdames et Messieurs les participants à la Conférence, Mesdames et Messieurs,

Les producteurs, membres du Réseau des Organisations Paysannes et des Producteurs Agricoles d'Afrique de l'Ouest (ROPPA) et du Réseau des Chambres d'Agriculture d'Afrique de l'Ouest (RECAO), par ma voix se réjouissent de l'opportunité qui leur est offerte de livrer un message à la présente conférence ministérielle sur les biotechnologies en Afrique de l'Ouest.

Nous remercions pour cela, le Gouvernement du Mali et le Secrétariat Exécutif de la CEDEAO qui n'ont pas hésité à aménager l'agenda de la conférence pour permettre à nos deux réseaux paysans, non prévus auparavant à y participer pleinement, et plus encore, à intervenir au cours de cette cérémonie d'ouverture.

N'étant pas au même niveau d'information sur le sujet en débat, nous avons tenu à nous retrouver le 20 juin, ici même à Bamako, avec l'appui de nos partenaires parmi lesquels la Coopération française, IFDC, le CORAF que nous remercions au passage. Au cours de notre rencontre, nous avons été édifiés sur ce que sont les biotechnologies, leurs intérêts, leurs inconvénients et les enjeux de leur utilisation pour les exploitations familiales agricoles ouest africaines. Certes, le temps était très court pour des débats approfondis, mais néanmoins il était suffisant pour convenir du message que nous vous adressons présentement.

Nous avons noté avec satisfaction la volonté des Etats à développer une agriculture permettant d'éliminer la faim dans la région, de réduire la pauvreté et d'assurer la souveraineté alimentaire. Cette orientation que nous considérons comme majeure a été consignée dans la politique agricole de la CEDEAO à laquelle nous adhérons pleinement et pour laquelle nous sommes tout à fait disposés à assumer notre part de responsabilité dans la mise en œuvre.

Excellences, Mesdames et Messieurs,

Permettez-nous, toutefois de marquer notre déception quant au caractère restrictif de la stratégie proposée pour permettre à l'agriculture ouest-africaine d'accomplir la mission que nos chefs d'Etat lui ont donnée. Nous sommes étonnés de voir qu'en matière de maîtrise des sciences et technologies en vue d'accroître la productivité agricole en Afrique de l'ouest, thème de la précédente Conférence de juin 2004, le seul choix opéré est de faire adopter par les ministres de la CEDEAO une stratégie de développement des biotechnologies.

Nos besoins en innovations technologiques sont immenses et diverses. Ils sont loin d'être satisfaits. Et, pourtant nous le savons, vous le savez, nos institutions de recherche qui doivent les produire sont dans un état de déliquescence avancée. Les services publics de conseil agricole qui doivent nous faciliter l'adoption des innovations technologiques ne sont pas dans une situation meilleure ! A peine assure-t-on le salaire d'un personnel désoeuvré faute de moyens de travail. La situation actuelle de ces importants instruments pour les producteurs résulte de mauvais choix politique et plus spécifiquement des politiques d'ajustement structurel appliqués sans préparation et sans discernement.

Nous pensons que pour la mise en œuvre de la politique agricole de la CEDEAO, nous ne pouvons pas faire l'économie d'un débat global sur la place et le rôle que l'on veut voir jouer par la recherche scientifique et technique et conséquemment ce que l'on veut que soient nos institutions nationales de recherche, et nos services de conseil agricole.

Malheureusement, nous constatons que les chercheurs eux-mêmes ont baissé les bras ! Ils se contentent d'observer en témoins d'avance vaincus, la mort lente de leur propre outil professionnel ou d'exploiter çà et là des opportunités comme celles offertes par les promoteurs des organismes génétiquement modifiés, juste pour maintenir la perfusion.

Excellences, Mesdames et Messieurs,

Les producteurs agricoles ne sont pas contre des savoirs scientifiques exogènes qui viennent compléter les leurs séculaires. Ils en sont même demandeurs ! Si les biotechnologies sont la clé passe-partout à tous nos maux, pourquoi pas ! Mais quelle biotechnologie pour quelle agriculture et pour quelle société ?

Loin de nous, l'idée de nier le saut qualitatif que, certaines techniques permettent de faire. Nous sommes parfaitement d'accord avec toutes les biotechnologies qui sont respectueuses des mécanismes naturels de la vie. Certains d'entre nous utilisent déjà des vitroplants de palmier dattier ou de bananier.

Mais nous ne sommes pas d'accord d'utiliser n'importe quel produit et dans n'importe quelle condition. Les OGM sont l'exemple même de ces produits.

Ce qui nous pose problème :

  • C'est, le manque de connaissances approfondies sur les risques que représentent ces produits, alors que les résultats de certaines recherches font déjà état de leur nocivité pour l'homme, l'animal et pour l'environnement

Ce qui nous pose problème :

  • C'est, le risque de dépendance des producteurs ouest-africains vis-à-vis des firmes étrangères de production de semences, ce qui va même à l'encontre du principe de souveraineté alimentaire affichée dans la politique agricole de la CEDEAO que nos chefs d'Etat ont adopté

Ce qui nous pose problème :

  • C'est le fait que l'on dise qu'une variété que nous conservons depuis des décennies est devenue un produit breveté non exploitable par un tiers après y avoir introduit un simple gène trouvé dans la nature ; ce qui du reste est en contradiction avec, nos coutumes et nos traditions de production et d'échanges libres de semences et la valorisation des savoirs et savoir-faire paysans

Ce qui nous pose problème :

  • c'est que l'on nous fasse croire qu'avec les OGM, nos problèmes sont terminés  : sécheresse récurrente, pression parasitaire (maladies, insectes, plantes parasites), baisse de la fertilité des sols, acidité et salinité des sols, érosions hydrique et éolienne, difficultés d'accès aux innovations et au financement, difficultés d'écoulement des récoltes, volatilité des prix, concurrence déloyale sur les marchés nationaux, régionaux et internationaux, et même dit-on les subventions agricoles qui ont torpillé notre production de coton….

C'est pour cela que, au stade actuel des discussions en cours au niveau régional :

  • Nous, producteurs agricoles, tenons à attirer l'attention de nos décideurs et experts présents à cette conférence sur leur devoir politique et scientifique et leur responsabilité individuelle d'éclairer les citoyens et de prendre en compte leurs souhaits et leurs appréhensions.

  • Nous ne disons pas aux firmes de cesser de produire des OGM. Mais qu'elles les gardent pour elles. Nous ne disons pas aux chercheurs d'arrêter de tester les OGM mis à leur disposition par ces firmes, mais qu'ils les testent dans leurs laboratoires et dans leurs serres. Que l'on ne nous trompe pas en disant que les essais qui sont en pleins champs sont des essais en environnement confiné !

  • Nous faisons les propositions suivantes relatives à :

  1. L'instauration de larges débats au sein des populations dans les pays afin de leur permettre de participer à la prise de décision. Cela pourrait consister à l'organisation de forums nationaux regroupant tous les acteurs : gouvernements, société civile, producteurs, chercheurs, consommateurs, etc.

  2. La recherche de mécanismes de financement durable et souverain de la recherche scientifique

  3. Le renforcement des capacités des structures nationales de recherche et de conseil agricoles

  4. L'observance d'un moratoire d'au moins 5 ans dans l'espace CEDEAO pour permettre aux producteurs et aux organisations paysannes de s'informer et de participer à la prise de décision dans leurs pays.

  • En cette période cruciale de famine, nous pensons que nos autorités devraient mettre tout en œuvre pour que l'aide alimentaire ne soit une portée d'entrée pour les produits OGM.

  • Nous marquons notre disponibilité à engager un dialogue direct avec les chercheurs des systèmes nationaux de recherche pour échanger sur nos préoccupations mutuelles et avoir une synergie d'actions sur des sujets d'intérêt commun. Nous voulons à cet effet, proposer que dès Mercredi matin avant les travaux de groupe, cette rencontre ait lieu.


Sur ce, nous souhaitons à toutes et à tous, une bonne conférence!

Je vous remercie de votre aimable attention !

Fait à Bamako le 20 juin 2005


ROPPA (Réseau des Organisations paysannes et des producteurs agricoles de l'Afrique de l'Ouest) - Afrique Nourricière - 09 BP 884 - Ouagadougou 09 - Tél. 226 50 36 08 25 - Fax 226 50 36 26 13 Site web : WWW.roppa.info Email : [email protected] ; [email protected] et RECAO (Réseau des chambres d'agriculture d'Afrique de l'Ouest)

Author: ROPPA et RECAO
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