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Les connaissances traditionnelles a la croisée des OGM, de la biodiversité et du commerce en Afrique francophone

by GRAIN | 16 Jan 2005

1- Introduction

Les Organismes Génétiquement Modifiés (OGM) frappent à la porte de l’Afrique de l’Ouest, avec le coton transgénique (Bt). En juillet 2003 le Burkina Faso a annoncé officiellement la conduite des essais de coton Bt au champ. Au début de l’année 2004, c’est le Mali qui s’apprête à introduire les Organismes Vivants Modifiés (OVM) dans la recherche scientifique et l’agriculture. Pendant ce temps, l’USAID veut "OGMiser" l’Afrique, avec le soutien de l’IITA (Institut International d’Agriculture Tropicale), à la suite de la réunion organisée le 1 er novembre 2003 à Ibadan (Nigeria). Tout ceci se faisant sans aucune information des paysans, des consommateurs et du public, il y a lieu de se poser des questions sur l’avenir des ressources génétiques, et les enjeux actuels de l’agriculture en Afrique, à savoir :

  • Les droits des agriculteurs, des communautés locales et l’utilisation durable des ressources génétiques,
  • L’avenir des connaissances traditionnelles, avec l’introduction des OGM sur le continent.

Ces enjeux devraient être abordés, en rappelant le contexte international dans lequel les biologistes travaillant dans le domaine de l’amélioration des plantes et de la sécurité alimentaire, mènent actuellement leurs activités de recherche, avec les connaissances traditionnelles relatives aux ressources génétiques qui se retrouvent à la croisée des OGM, de la biodiversité et du commerce.

2- Les ressources génétiques africaines et les accords internationaux

Jusqu’à la fin du 20 ème siècle, les connaissances traditionnelles africaines n’étaient concernées que par les négociations internationales relatives à la Convention sur la diversité biologique (CBD, article 8(j)), à l’agriculture (FAO) et au commerce (Organisation Mondiale du Commerce - OMC), avec les droits des agriculteurs et les droits de propriété intellectuelle. En 1995, l’Organisation Mondiale du Commerce, exige des dispositions relatives au droit de propriété intellectuelle, de tout pays membre, avec l’Accord sur les Aspects des droits de Propriété Intellectuelle liés au Commerce (ADPIC). Alors, en collaboration avec l’Organisation Mondiale de Propriété Intellectuelle (OMPI), l’OMC a obligé les seize pays membres de l’Organisation Africaine de Propriété Intellectuelle (OAPI) à réviser en février 1999, l’Accord de Bangui, leur loi fondamentale, en y ajoutant l’Annexe X relative aux Obtentions Végétales, sans aucune information des paysans et des communautés locales. De ce fait, les droits des sélectionneurs et des multinationales sont protégés, pendant que ceux des agriculteurs et des communautés locales sont ignorés. L’Accord de Bangui reconnaît le certificat sur les obtentions végétales, pendant que le groupe Afrique à l’OMC à Genève, a rejeté le brevet sur le vivant depuis le sommet de Seattle en 1999. Mais, avec l’introduction des OGM sur le continent, c’est la reconnaissance tacite du brevet sur le vivant, car sur tout OGM, il y a au moins un brevet. Ainsi, les paysans et les communautés locales qui ont exercé un contrôle social sur leurs ressources génétiques depuis des millénaires, se voient expropriés de leurs ressources au bénéfice des industriels et des chercheurs des pays développés. De plus, dans le cadre de la mise en œuvre de la Convention sur la diversité biologique, les négociations internationales ont conduit à la signature du protocole de Cartagena sur la prévention des risques biotechnologiques en janvier 2000. Ce protocole entré en vigueur en septembre 2003, réglemente le transport transfrontalier des OVM, tout en soutenant le principe de précaution (articles 10.6 et 11.8). La CBD ayant consacré le droit de souveraineté de chaque Etat sur ses ressources biologiques, il revient à chaque pays de prendre des dispositions nationales lui permettant de protéger les intérêts de ses agriculteurs et de ses communautés locales. Pour cela, les deux Lois Modèles de l’Union Africaine sur «la  biosécurité », et sur « la protection des droits des communautés locales, des agriculteurs et des obtenteurs, et règles d’accès aux ressources biologiques » devraient être considérées.

3. Risques des OGM sur les connaissances traditionnelles africaines :

Cas des ignames

Les ignames constituent une part importante de l’alimentation des populations d’Afrique de l’Ouest et du Centre. Ces  plantes « créées » par les agriculteurs africains, avec la domestication de plusieurs espèces sauvages se trouvant dans la nature, sont encore de nos jours sans aucune alternative proposée par la recherche scientifique. C’est ainsi que les ignames sauvages font toujours l’objet de domestication dans plusieurs pays comme le Bénin, la Guinée, le Cameroun, la République Centrafricaine ….. Dans plusieurs villages, tant en Côte d’Ivoire qu’au Bénin, les variétés traditionnelles prennent toujours le pas sur les variétés récemment introduites comme le florido de Porto Rico. Ces variétés traditionnelles font l’objet de recettes culinaires spécifiques et sont recherchées pour les cérémonies traditionnelles, surtout la fête des ignames indispensable chaque année dans la plupart des pays appartenant à « la ceinture des ignames » en Afrique de l’Ouest. Ces variétés, comme les connaissances traditionnelles qui y sont associées, sont toutes menacées de disparition avec les organismes génétiquement modifiés qui n’ont jamais pris en compte ces connaissances. La production des ignames transgéniques et leur culture contamineraient les variétés traditionnelles et les espèces sauvages apparentées comme c’est actuellement le cas avec le maïs en Amérique latine. De plus, avec le brevet qui est associé à tout OGM, ce sont les droits des agriculteurs et des communautés locales, d’échanger librement leurs semenceaux, que les autorités politiques africaines sacrifient sur l’hôtel des droits des industriels. Ainsi, avec les OGM, les connaissances traditionnelles associées à la gestion des ressources génétiques africaines sont alors menacées de disparition.

4. Perspectives

Depuis des décennies, les négociations relatives aux droits de propriété intellectuelle et aux droits des agriculteurs ont été menées surtout au niveau international (CBD, FAO, OMC, OMPI), avec presque pas de discussion aux niveaux local et national. La gestion des ressources biologiques ayant toujours été associée aux connaissances traditionnelles, avec l’avènement des OGM, le moment n’est-il pas venu de ramener le débat relatif aux droits de propriété intellectuelle liés au commerce (ADPIC) au niveau des communautés locales qui ont toujours été les premiers acteurs de la conservation des ressources biologiques ? N’est-il pas possible de faire appel aujourd’hui au droit coutumier, pour aborder les problèmes actuels relatifs aux connaissances traditionnelles associées aux ressources génétiques menacées de disparition avec les OGM et le commerce international ? Des réseaux comme celui du « Projet Convergence des Sciences » qui associent dans une même dynamique et réflexion des paysans, des enseignants - chercheurs des sciences sociales et ceux des sciences biologiques autour des innovations dans le domaine agricole, et le réseau Bioveg de l’AUF devraient apporter leur contribution. Ainsi, dans chaque pays africain, il est souhaitable de mettre sur pied, autour des organisations paysannes oeuvrant pour l’utilisation durable des ressources génétiques dans l’intérêt des paysans et pour la protection des connaissances traditionnelles, un groupe multidisciplinaire de réflexion et d’action. C’est à ce prix que l’on travaillera effectivement pour la protection du patrimoine génétique africain.

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Cette communication a été présentée aux 9 èmes Journées Scientifiques du « Réseau Biotechnologies végétales : amélioration des plantes et sécurité alimentaire » de l’Agence Universitaire de la Francophonie, en Octobre 2004 à Lomé (Togo). Elle figure dans le recueil des résumés des communications orales. Editeur Scientifique : Y. Mawuena Dieudonné GUMEDZOE, PP. 156 – 162.

Author: GRAIN