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J'ai enfin vu le coton Bt

by PV Satheesh | 15 Jun 2003

Juin 2003

J'ai enfin vu le coton Bt

PV Satheesh*

(in English)

Le coton Bt a toujours été un objet de curiosité. J'avais lu des millions de mots sur ce sujet – sur des sites web, dans des messages électroniques, et dans les pages des magazines. Ma curiosité a été encore plus forte quand j'ai vu les magnifiques photos publiées dans la revue de la firme Monsanto, Monsanto Journal Biotechnology Update. J'ai participé aux mouvements lancés contre cette variété de coton dans l'Etat de l'Andra Pradesh, dans l'Inde du Sud, territoire que Monsanto a été sommé de quitter à la demande du Parlement de l'Etat. J'ai uni mes forces à celles des autres pour arrêter l'autorisation donnée par le gouvernement indien pour des essais en champs à large échelle. J'ai pris la parole contre la cutlure de cette variété dans d'innombrables conférences dans les médias. Mais je ne l'avais jamais vu.

Et finalement, je l'ai vu, l'année dernière, au mois de juillet.

Je l'ai vu dans le district de Warangal, dans l'Andra Pradesh, qui est à peu près à 250 km de Pastapur, le village où j'ai vécu et travaillé pendant les 15 dernières années. Le district de Warangal est l'exemple type des dégâts infligés par l'agriculture industrielle, dégâts subis en particulier par les petits agriculteurs et les agriculteurs marginaux1. Jusqu'à il y a une vingtaine d'années, les sols noirs, riches et fertiles de ce district permettaient la culture de dizaines de variétés de plantes, principalement alimentaires. Mais tout a changé avec l'arrivée des agriculteurs venus de la partie côtière de l'Etat, qui avaient rendu leurs propres sols stériles en y plantant du tabac et du coton pendant des décennies. Ils sont venus à la recherche de nouveaux sols pour continuer leur agriculture destructrice et ont trouvé un endroit idéal à Warangal. Les agriculteurs locaux les ont imités et ont commencé la culture du coton sur leurs petites exploitations. Tous les ingrédients du désastre étaient réunis.

Rien qu'en 1998, plus de 150 agriculteurs de Warangal se sont suicidés en absorbant des pesticides qu'ils avaient achetés pour combattre les nuisibles dans leurs champs de coton. Pour eux, c'était le seul moyen de se sortir de la spirale infernale dans laquelle ils s'étaient mis en employant des pesticides. L'augmentation de la résistance des nuisibles aux pesticides, la diminution des rendements et le piège de la dette qui les étouffait de plus en plus ne leur laissaient pas d'autre choix que celui de mourir.

Le gouvernement a joué un rôle diabolique dans cette affaire. Il a reproché le suicide des agriculteurs à tout le monde sans jamais se sentir lui-même responsable : aux fournisseurs de pesticides pour avoir fourni des pesticides frelatés, aux firmes de semences pour avoir fourni des semences de mauvaise qualité qui ne germaient pas, et aux agriculteurs eux-mêmes pour avoir inondé le marché avec leur coton et fait baisser les prix. Tout le monde a été visé par la campagne de mise en accusation du gouvernement. Mais il n'admettra jamais qu'en faisant la promotion des monocultures dans un district où une grande variété de plantes était cultivée auparavant, il a poussé les agriculteurs à détruire leurs sols et leurs cultures. L'attitude inhumaine du gouvernement a été vraiment flagrante et un Premier ministre est même allé jusqu'à déclarer publiquement que les agriculteurs s'étaient suicidés pour profiter de l'assurance.

Cette situation a donné une occasion idéale pour les industries de biotechnologie de s'introduire. Le coton Bt avait déjà été une fois rejeté par le gouvernement, suite à l'opposition déterminée des ONG, menée par la Coalition pour la Défense de la Diversité de l'Andra Pradesh et un certain nombre d'associations d'agriculteurs. Mais profitant du désespoir des agriculteurs et des machinations gouvernementales, la situation était mûre pour l'introduction du coton Bt au Warangal.
Ces trois années ont duré des siècles.

Pendant ces trois années, l'Andra Pradesh est devenu le terrain de chasse favori de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire International. Bill Gates est devenu le saint patron de l'Etat. Les symboles évocateurs de cet Etat où le Premier ministre Jawaharlal Nehru s'était décrit lui-même comme le ‘'Premier serviteur du peuple', étaient morts et enterrés. Le Premier ministre de l'Andra Pradesh, Chandrababu Naidu, a transformé un Etat démocratique en firme privée ; et s'est réjoui du titre de « CEO[PDG] d'Andra Pradesh » qui lui a été donné2. Sa ‘firme' relève de l'autorité d'un bureau invisible de directeurs provenant de la Banque Mondiale, du Fonds Monétaire International, de la Banque Asiatique de Développement, et du Ministère du Développement International du Royaume Uni. Cet Etat ne cesse de s'enorgueillir de sa soit-disant position de « cœur du savoir » de l'Inde. A travers l'augmentation du nombre de filiales de l'industrie informatique américaine, filiales dans lesquelles les travailleurs sont bon marché, l'Etat investit son action en ‘avènement d'une nouvelle société du savoir'. Pour un Premier ministre épris de savoir technologique, la prochaine étape vers le salut est …la biotechnologie.
L'Etat adopte la biotechnologie avec une hâte obscène. Il a déjà lancé la projet de « Genome Valley », programme qui soutient ouvertement l'industrie des biotechnologies3. Lorsque le gouvernement indien a accordé l'autorisation de planter du coton Bt dans le pays, l'Andra Pradesh en a été évidemment le premier bénéficiaire. Cet Etat a le gouvernement le plus acquis aux biotechnologies et une pseudo organisation d'agriculteurs à la solde de Monsanto. Les agriculteurs étaient désespérés et prêts à se raccrocher à n'importe quoi, et le gouvernement était pressé d'ajouter « une plume de modernité à son bonnet d'âne »…

Bizarrement, le ministre de l'agriculture de l'Etat a prévenu les petits agriculteurs qu'ils ne pouvaient pas attendre grand'chose du coton Bt, mais a oublié de dire pourquoi ses promoteurs étaient si impatients de faciliter son introduction…

Les préparatifs à la plantation ont commencé aux mois de mai et de juin 2002. Au même moment, la Coalition des Organisations de l'Andra Pradesh pour la Défense de la Diversité, un regroupement de plus de 140 associations de la société civile de l'Andra Pradesh, dont je suis le coordinateur, commença aussi à se préparer. Ayant échoué dans notre tentative de stopper l'autorisation de plantation, nous avons décidé d'aller vers les agriculteurs et de leur expliquer les conséquences de la plantation du coton Bt. Cela a été une réussite sur tous les plans. Le district avait prévu de planter le coton Bt sur 4500 acres. Mais suite à l'efficacité de la campagne menée par les partenaires de la Coalition, cette surface a été réduite de deux tiers. De nombreux agriculteurs qui avaient acheté des semences de coton Bt les ont renvoyées aux fournisseurs après avoir entendu les arguments des militants. Finalement la plantation n'a été faite que sur 1500 acres.

Encouragée par le succès de sa campagne, la Coalition a prévu de mener ses prochaines campagnes en collectant systématiquement les informations provenant des expériences vécues par les agriculteurs qui avaient planté le coton Bt cette année-là. Des témoignages d'expériences ont afflué de divers endroits de l'Inde – du Madhya Pradesh au centre du pays, au Vidarbha dans l'Ouest et de différents coins de l'Andra Pradesh (Adilabad, Mahboobnagar et Warangal), dans lesquels des agriculteurs, des chercheurs et des militants citaient des exemples de l'échec de poursuivre Monsanto en justice pour obtenir une réparation de 5 millions de roupies (10,5 millions de dollars)

Le coton en film.

Les choses se sont aussi corsées à Warangal. L'association « Community Media Trust of Pastapur», un groupe de media remarquable composé d'agricultrices, a suivi les expériences d'une demi-douzaine d'agriculteurs à Warangal en leur rendant visite régulièrement et en les filmant dans leurs exploitations à partir du moment où ils ont planté le coton Bt et jusqu'à ce qu'ils le récoltent. Chacun d'entre eux avait commencé à planter le coton Bt en en espérant beaucoup. Les deux premiers mois, ils ont été ravis des résultats obtenus : les plants se portaient bien et on ne voyait aucun nuisible, et les capsules de coton s'étaient développées en bon nombre. Les agriculteurs pensèrent qu'ils avaient découvert la panacée.
Mais vers le quatrième mois, ils ont commencé à déchanter. Leurs plants de coton Bt étaient de très petite taille et avaient moins de capsules que les plants hybrides traditionnels qui poussaient dans les champs adjacents. Et soudain, ils ont découvert que, à cause de la sécheresse, les nuisibles avaient aussi disparu des plants hybrides traditionnels. Par contre, les thrips du cotonnier et les mouches blanches avaient vigoureusement attaqué leurs plants de coton Bt. En novembre, les sourires s'étaient transformés en froncements de sourcils. Les rendements du coton Bt étaient moindres que ceux qui avaient été promis par Mahyco-Monsanto. Les capsules étaient difficiles à cueillir et les dépenses s'élevaient à 25 % de plus que pour le coton hybride traditionnel. Et lorsque les agriculteurs ont mis leur coton sur le marché, il s'est vendu 20 % moins cher que les variétés hybrides, parce ses fibres étaient plus courtes.

La grande colère des agriculteurs

Dans la dernière et remarquable séquence du film, on voit des agriculteurs furieux qui disent les uns après les autres que jamais plus de leur vie ils ne toucheront au coton Bt. Cela est intéressant car lorsque Monsanto-Mahyico a soumis sa demande au Comité d'approbation du Génie génétique du gouvernement indien (le bureau qui réglemente tout l'ensemencement des champs en plantes OGM), la firme avait déclaré que le coton Bt augmenterait les rendements de 50 %. C'est en fait l'inverse qui s'est produit.

Dans une autre étude menée à Warangal, deux chercheurs en agriculture ont rapporté que « les agriculteurs cultivant le coton Bt ont gagné 40 % de moins que les agriculteurs cultivant du coton non Bt, et que les pulvérisations de pesticides n'avaient pas diminué parce que les protocoles de culture du coton Bt et de biosécurité manquaient complètement dans les exploitations cultivant le coton Bt » Alors que « à la fin de la saison du coton, les planteurs de coton Bt de Warangal auraient dû gagner 500 à 600 roupies (105 à 125 dollars) de plus par acre que ceux qui n'avaient pas planté de coton Bt » Toutes les études et les témoignages d'expériences ont montré que la culture du coton Bt en Inde avait donné des récoltes inférieures à celles du coton conventionnel, n'avait pas diminué les pulvérisations de pesticides, et que les gains en retours avaient été misérablement bas. Une série de rapports et d'articles de presse accablants sur la culture du coton dans l'Andra Pradesh ont poussé la firme Mahyco-Monsanto à s'empresser de développer des nouvelles stratégies pour sauver la face. Pour une fois, l'industrie restait sans réponse.

Lors d'une réunion d'agriculteurs organisée à Warangal par la Coalition d'Andra Pradesh pour la Défense de la Diversité, les agriculteurs se sont levés à tour de rôle et ont raconté les pertes et les échecs qu'ils avaient subis en cultivant le Bt. Tous étaient complètement découragés. La question de savoir si ils allaient planter du coton Bt la saison suivante a alors été posée. Ce que l'un des agriculteurs a déclaré à la réunion m'a stupéfié. « Vous voyez bien ce qu'on lit dans les journaux sur les progrès réalisés par la Chine avec la plantation du coton Bt. Comment pouvons-nous refuser la technologie ? »

C'était un petit agriculteur. Il avait été ruiné par sa propre expérience de culture du coton Bt cette année-là. Mais il était déjà en train de rêver à une prochaine saison, à un triomphe qu'il ne verrait jamais. La campagne de (dés)information menée par l'industrie et le gouvernement avait gagné contre son expérience personnelle ; le triomphe de la propagande sur la réalité. La politique insidieuse de l'industrie des biotechnologies avait commencé à œuvrer avant même qu'il ait pu surmonter son traumatisme personnel. Comment pouvons-nous combattre ce mythe ? La réalité peut-elle contribuer à avoir une conception claire des choses ou le rêve induit par l'industrie des « Sciences de la vie » est-il trop puissant pour que les réalités personnelles prennent le dessus ?

J'avais enfin vu le coton Bt. Pour ce qu'il était.


 

[1] En Inde, les catégories de « petit agriculteur» et d' « agriculteur marginal » sont bien définies. Un petit agriculteur est celui qui possède deux hectares de cultures pluviales, ou un hectare de terre irriguée. Un agriculteur marginal est un agriculteur qui possède un hectare de cultures pluviales, ou un demi-hectare de terre irriguée.

[2] Chief Executive Officer, terme désignant le patron d'une entreprise privée (généralement importante).

[3] La « Vallée du Génome », le « Cœur de l'activité biotechnologique de l'Inde », est une zone de 600 km² « dans laquelle les activités biotechnologiques seront encouragées et promues ». Pour plus de détails le site : www.genomevalley.org


* PV Sateesh est le directeur de la Société du développement du Deccan qui travaille avec plus de 5000 agriculteurs dans l'Etat indien de l'Andra Pradesh, facilitant des activités allant de la conservation des semences et la constitution de réserves communautaires de grains à la mise en œuvre de locations de terres en commun. Il est aussi coordinateur de la Coalition de l'Andra Pradesh pour la Défense de la Diversité et le coordinateur pour l'Inde du Réseau de l'Asie du Sud pour l'Alimentation, l'Ecologie et la Culture (SANFEC). PV Sateesh est membre du bureau de GRAIN.

 

 

 


Référence pour cet article : GRAIN, 2003, Semences de la biodiversité No.16 & 17, juin et juillet 2003

Lien sur internet : www.grain.org/fr/publications/note-16-fr.cfm

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Author: PV Satheesh
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