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Le coton Bt à la porte du Mali : Il faut agir !

by GRAIN | 1 Feb 2004

GRAIN

1. Introduction

Le Mali comme la plupart des pays africains est caractérisé par une agriculture paysanne ou familiale. Mais actuellement, l'agriculture transgénique (adjectif venant de Organisme Génétiquement Modifié : OGM) est sur le point d'y entrer avec le coton Bt. Or, depuis de nombreuses années, les dangers liés à cette agriculture et les controverses qu'il a soulevés, tant sur le plan scientifique, économique, socio-culturel qu'éthique sont si énormes que les débats font rage partout dans le monde. Les paysans du Mali et leurs syndicats ont lutté fortement pour atteindre leur propre place dans les décisions qui les concernent et pour obtenir leur part des revenus de la production du coton dans le pays. Mais, les succès des paysans sont en danger de disparition. Les multinationales sont à la porte, prêt à presser les paysans pour les miettes qui leur échappent. Le coton transgénique, nommé coton Bt, est leur cheval de Troie—leur porte d'entrée en Afrique de l'Ouest, pour assurer leur mainmise sur les semences cotonnières, et, éventuellement, pour contrôler toute l'agriculture de la sous-région. Avec les documents confidentiels qui circulent actuellement sur le Mali, il ne fait aucun doute que le Bénin où il est décrété un moratoire depuis le 6 Mars 2002, le Burkina Faso qui a officiellement annoncé ses essais au champ en juillet 2003, la Côte d'Ivoire, etc…sont des candidats potentiels aux cultures transgéniques. Déjà, en Novembre 2003 au Nigéria, l'USAID avec le soutien officiel de l'IITA, avait déclaré qu'il veut « OGMiser » l'Afrique. Mais les conséquences de ces cultures pour les ressources génétiques africaines, et la vie sociale des agriculteurs sont si importantes que l'on peut d'ores et déjà dire adieu aux succès des acquis des paysans, à leur autonomie et à leur contrôle des semences.

2. Qu'est-ce que le coton Bt?

Les lettres Bt sont les initiales de Bacillus thuringiensis, une bactérie se trouvant naturellement dans les sols et produisant des toxines. Des scientifiques ont isolé certains gènes responsables de la production de ces toxines et ils ont par la suite utilisé les techniques du génie génétique pour les insérer dans le coton. Les cotonniers Bt qui en résultent expriment les toxines Bt et les ravageurs sensibles meurent en les mangeant.

Presque toute la surface mondiale du coton Bt actuelle a été semée avec la variété « Bollgard » de Monsanto. Cette firme a développé une deuxième variété de coton Bt, « Bollgard II », qui produit deux toxines différentes. En 2004, DowAgrosciences espère mettre sur le marché « Widestrike », un autre coton Bt produisant deux toxines, tandis que Syngenta tente d'introduire son cotton Bt, le « Coton Vip ». [1]

3. Pourquoi le coton Bt est à l'assaut de l'Afrique de l'Ouest ?

3.1. Est-ce que le coton Bt peut réduire l'usage d'insecticides?

Le coton Bt n'élimine pas l'usage d'insecticides ; il peut seulement le réduire. L'expérience du coton Bt dans d'autres pays démontre que :

- La technologie ne donne qu'un contrôle partiel contre plusieurs chenilles importantes. Aux États-Unis, malgré l'utilisation des insecticides supplémentaires, environ 14 152 tonnes de coton ou 7,5 % du production totale ont été détruites par les chenilles de capsule dans les champs de coton Bt durant l'année 2000 et environ 2 600 tonnes de coton ou 1,4 % de la production totale ont été détruites par les chenilles Spodoptera et les chenilles Pseudoplusia includens. [2] Dans l'état indien d'Andhra Pradesh, où le coton Bt a été cultivé pour la première fois en 2002, ce coton n'a pas pu contrôler l'Helicoverpa armigera. [3]

- Il existe plusieurs ravageurs que le coton Bt ne peut combattre, il s'agit surtout des piqueurs-suceurs. Ce qui explique que l'usage d'insecticides reste élevé dans les champs de coton Bt. En Australie les champs de coton Bt reçoivent en moyenne 4,6 traitements d'insecticides par saison, avec 21% de la surface cultivée en coton Bt recevant plus de 6 traitements d'insecticides. [4] Dans l'état indien d'Andhra Pradesh, les paysans ont dû appliquer plus d'insecticides contre les pucerons dans les champs de coton Bt que dans les champs de coton conventionnel. [5] Aux Etats-Unis, l'usage d'insecticides contre les chenilles carpophages a chuté de moitié depuis l'introduction du coton Bt, mais l'usage total d'insecticides sur le coton est resté relativement stable à cause de l'importance grandissante des ravageurs secondaires. [6]

Il existe d'autres moyens plus efficaces et plus convenables pour réduire l'utilisation d'insecticides, avec moins de risques, dont la lutte étagée ciblée, où les doses à appliquer sont ajustées aux niveaux des dommages causés par les principaux ravageurs selon une notion de seuil économique déterminé par des chercheurs, le traitement sur seuil qui introduise certaines modifications à la LEC, et plus récemment, la gestion intégrée de la production et des déprédateurs (GIPD) qui encourage l'utilisation des connaissances paysannes et des ressources locales, comme le neem. Au cours de la première saison du projet en 2002, les paysans pratiquant la GIPD ont éliminé toute utilisation de pesticides sans une diminution de rendement. Mais, malgré le succès de ces trois stratégies, peu de paysans maliens utilisent ces techniques ou même les connaissent, faute de manque de programmes de vulgarisation ou d'encadrement.

Tableau 1. Programmes de réduction d'usage d'insecticides au Mali

Programme

Réduction d'insecticides

Surface couverte en 2002-2003

% de la surface cotonnière totale

Lutte étagée ciblée

50%

28 980 ha

7%

Traitment sur seuil

70%

2 515 ha

1%

GIPD

100%

-
-

(Source : CMDT et Programme GIPD – Mali)

3.2. Est-ce que le coton Bt va augmenter les rendements?

En Inde, une étude comparative du coton Bt et du coton conventionnel menée en 2003 a démontré que les variétés conventionnelles produisaient plus de capsules (95 capsules par plante pour les variétés conventionnelles et 50 capsules par plante pour les variétés Bt) et que les capsules des variétés conventionnelles étaient plus grosses. [7] Une autre étude d'août 2002 à avril 2003 de 225 paysans de la région de Warangal en Andhra Pradesh a démontré que les rendements des paysans ont chuté de 35% quand ils ont cultivé le coton Bt. [8]

3.3. Est-ce que le coton Bt augmentera les revenus des paysans?

En achetant des semences de coton Bt, les agriculteurs sont obligés de payer des frais de technologie, ajoutés au prix des semences.

Tableau 2. Frais de technologie pour le coton Bt à travers le monde

Pays

Frais de technologie

Bollgard Frais de technologie - Bollgard II (proposé)

Étas-Unis

79 $US/ha

99 $US/ha

Australie

98 $US/ha

-

Argentine

78 $ US/ha

-

Chine

60 $US/ha (approx.)

-

Inde

60 $US/ha (approx)

-

Afrique du Sud

50 $US/ha (approx.)

-

En tenant compte des prix de semences indiqués plus haut, on peut sous entendre qu'en Afrique de l'Ouest les frais de technologie pour les semences de coton Bt vont dépasser 50 $US/ha, soient 30 300 CFA/ha. Au Mali, le prix total pour les insecticides est, en moyenne, environ 37600 CFA (62 $US). À ce prix, même si le coton Bt réussit a réduire l'usage des insecticides de moitié, ce qui n'est pas évident, les frais vont quand même dépasser de loin les coûts associés au traitement du coton conventionnel.


4. Le coton Bt est un cadeau empoisonné

4.1. Quand les pratiques paysannes deviennent des actes criminaux

En général, les semences de coton ne sont pas vendues dans la plupart des pays d'Afrique de l'Ouest; elles sont distribuées gratuitement. Pour les paysans, les semences leur appartiennent dans la mesure ou elles sont issues de leurs champs, et dans la mesure ou les paysans ont déjà payé des cotisations pour la sélection des variétés cotonnières. De plus, les paysans ont l'habitude d'échanger leurs semences avec leurs voisins, leurs amis et les membres de leur famille.

Or, l'introduction du coton Bt va faire basculer ces pratiques traditionnelles. Les paysans vont être obligés de payer les semences et de signer le fameux contrat d'utilisation de technologie de Monsanto. Ce contrat est basé sur certains points essentiels :

- L'agriculteur ne peut pas conserver de semences pour les replanter.

- Il est interdit à l'agriculteur de fournir des semences à quiconque.

- L'agriculteur devra payer 120 fois la redevance due pour l'utilisation de la technologie, plus les amendes légales si il ne respecte pas le contrat.

Monsanto ne badine pas avec l'application de son contrat. Dans les pays où la firme a introduit le coton Bt, Monsanto détient des listes de tous les agriculteurs qui cultivent les variétés trangéniques et elle les surveille attentivement. Cela est d'autant vrai pour les pays du Nord que pour les pays du Sud comme l'Argentine et le Mexique. [9] En Afrique de l'Ouest, où la plupart des paysans sont analphabètes, on se demande même si les paysans vont comprendre les closes des contrats. Le fait qu'il ne va pas avoir une différence visible entre le coton Bt et le coton conventionnel créera encore plus de confusion. Dans cette désordre les paysans risquent d'être poursuivis et jugés comme des criminels.

4.2. Coton Bt et la contamination : La boîte de Pandore

Le coton Bt n'est pas visiblement différent du coton conventionnel, et le mélange est alors inévitable. Ainsi des quantités importantes de coton Bt pourront se glisser facilement dans les stocks de coton conventionnel. La contamination peut aussi se produire à travers le croisement des cotonniers transgéniques et ceux conventionnels, facilité par les insectes pollinisateurs. La contamination a de lourdes conséquences :

- Une fois que le transgène est introduit dans l'environnement, il est difficile, si non impossible de le retirer, si des effets nocifs pour la santé humaine et l'environnement sont découverts.

- Monsanto détient des brevets sur les transgènes du coton Bt et elle réclame des droits de propriété intellectuelle sur toutes plantes contenant ces transgènes, même si ils ont été intégrés dans des plantes par un flux de gènes involontairement.

- Un flux de gènes peut se produire entre le coton Bt et les variétés locales ou espèces sauvages de coton, importantes réserves de biodiversité

- La contamination par le coton Bt pourrait compromettre toute production de coton biologique de la sous-région car les critères de la certification biologique interdisent les OGM.
Malgré ces risques, des essais au champ du coton Bt ont été déjà entrepris dans la sous-région, au Sénégal et au Burkina Faso, sans aucun suivi réglementaire, et sans aucune information et consultation du public. La même situation pourrait se reproduire au Mali où l'IER, USAID, Monsanto, Syngenta et Dow Agrosciences viennent de conclure un plan de 5 années pour l'introduction et le développement du coton Bt dans le pays.

5. Conclusion

On ne peut pas évaluer le coton Bt sans le comparer aux alternatives actuelles. Comme disait François Traoré, le Président de l'Union Nationale des Producteurs de Coton Burkinabé, « Si on a déjà des moyens de réduire l'usage de pesticides, pourquoi chercher des choses qui vont compliquer la vie ?. » [10] Le projet GIPD du Mali démontre clairement que les paysans peuvent minimiser, à défaut de totalement éliminer les traitements d'insecticides d'une façon durable, sans avoir recours aux technologies coûteuses provenant de l'extérieur comme le coton Bt. Au lieu d'introduire le coton transgénique, c'est le moment de demander pourquoi les compagnies nationales de coton et les autorités étatiques ne sont pas capables de promouvoir les pratiques moins coûteuses et avec peu de risques d'intoxication, telles que la GIPD?

Les paysans, puisqu'ils seront les plus affectés par la technologie, doivent être au centre des décisions sur le coton Bt. Malheureusement, c'est peu probable que l'état, dans chacun des pays de la sous-région, où Monsanto s'engagera dans le grand effort que nécessitera des consultations sérieuses avec les paysans, qui sont, pour la plupart, sans la moindre connaissance du génie génétique. Dans ce contexte, c'est aux paysans, et surtout aux organisations paysannes, d'insister sur la nécessité de bien leur expliquer les tenants et les aboutissants de cette nouvelle semence, avant la prise de décision. Les OGM sont trop importants pour être ignorés par les paysans. Le coton Bt est la première culture transgénique que l'on tente d'introduire en Afrique de l'Ouest, et c'est essentiel que les organisations paysannes puissent informer leurs membres de quoi il s'agit, et qu'ils puissent prendre une position en toute connaissance de cause.

La question du coton Bt fait partie d'un moment historique pour les paysans africains. Le continent est confronté aux machinations de grands pouvoirs et il est temps de prendre une décision. Soit se laisser encore porter par les intérêts libéraux, néo-coloniaux des étrangers et leurs technologies destructrices, soit prendre en charge son destin, avec une agriculture paysanne pour les Africains.

Cette synthèse reprend l'information d'une plus grande étude sur le coton Bt en Afrique de l'Ouest, qui sera publiée par GRAIN en mars 2004.

Références :

[1] Jeremy Greene, “How Bollgard II cotton fits,” Delta Farm Press, 6 juin 2003.

[2] Leonard P. Gianessi, Cressida S. Silvers, Sujatha Sankula, Janet E. Carpenter, “Plant Biotechnology: Current and Potential Impact For Improving Pest Management In U.S. Agriculture An Analysis of 40 Case Studies,” National Center for Food and Agricultural Policy, juin 2002.

[3] Abdul Qayam and Kiran Sakkhari, « Did Bt Cotton Save Farmers in Warangal? A season long impact study of Bt Cotton - Kharif 2002 in Warangal District of Andhra Pradesh », AP Coalition in Defence of Diversity and Deccan Development Society, Hederabad, June 2003 : www.ddsindia.com

[4] Secretariat for the 61st Plenary Meeting of the Intenrational Cotton Advisory Committee, Report on Production Practices, Cairo, Egypt October 2002.

[5] Qayam and Sakkhari, 2003.

[6] Charles M. Benbrook, GMOs, “Pesticide Use, and Alternatives Lessons from the U.S. Experience,” Delivered at the Conference on GMOs and Agriculture, Paris, France, June 20, 2003: http://www.biotech-info.net/lessons_learned.pdf

[7] Suman Sahai and Shakeelur Rahman, Performance of Bt cotton in India: Data from the first commercial crop, Gene Campaign, India, Aug 2003: http://www.genecampaign.org/btcotton.html

[8] Qayam and Sakkhari, 2003.

[9] International Cotton advisory Committee, “Technology Protection Systems”, ICAC Recorder, March 1999.

[10] Entretien avec Francois Traoré, Président de la Union Nationale des Producteurs de Coton du Burkina Faso, Ouagadougou, Burkina Faso, 27 juin 2003.

Author: GRAIN
Links in this article:
  • [1] http://www.ddsindia.com
  • [2] http://www.biotech-info.net/lessons_learned.pdf
  • [3] http://www.genecampaign.org/btcotton.html