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Manifeste paysan du 26 janvier 2003 du CNRC (Sénégal)

by | 15 May 2003

Mai 2003

Manifeste paysan du 26 janvier 2003 du CNRC (Sénégal)

Le 26 janvier 2003, 20 000 paysans sénégalais se sont réunis au Stade Léopold Sédar Senghor à Dakar. Cette manifestation et le manifeste publié à cette occasion méritent d'être connus.

En ce 26 janvier 2003, nous, organisations paysannes les plus représentatives du Sénégal, regroupées au sein du Conseil National de Concertation et de Coordination des Ruraux (CNRC), nous sommes réunies au Stade Léopold Sédar Senghor à Dakar.

Par cette manifestation unique dans l'histoire du Sénégal :

- Nous voulons affirmer et renforcer l'union et la solidarité de tous les paysans de notre pays. Ces liens de solidarité sont basés sur les valeurs sociales et familiales dont nous sommes porteurs. Ces valeurs nous ont permis, dans le passé, d'assurer le bien-être de nos familles et d'apporter notre contribution au développement économique et social du Sénégal. C'est dans la solidarité que nous assumerons les mêmes rôles pour l'avenir de nos familles et de notre pays. Nous appelons tous les paysans et toutes les organisations paysannes à collaborer dans ce sens.

- Nous lançons un appel à l'équité et à la solidarité entre toutes les catégories sociales qui composent le Sénégal. Malgré l'exode rural et l'urbanisation, le Sénégal demeure une société paysanne. En tant qu'agriculteurs, nous reconnaissons notre responsabilité essentielle dans le développement de notre pays. Il nous incombe d'assurer la sécurité alimentaire de nos citoyens. Cependant, nous ne pourrons assumer cette responsabilité que si nous bénéficions du soutien et de la solidarité de la nation et si nous sommes traités de façon équitable par rapport aux autres catégories de la population.

- Nous interpellons les Autorités politiques. Elles ont la responsabilité de définir et de mettre en œuvre les politiques de développement agricole et rural. L'agriculture paysanne est en crise depuis la fin des années 1970. Les politiques de désengagement de l'Etat, de privatisation et de libéralisation menées à travers la NPA, la dévaluation du franc FCFA et la PASA, n'ont pas permis une relance durable de l'agriculture sénégalaise. La pauvreté et l'insécurité alimentaire sont devenues des phénomènes généralisés en milieu rural. Plus de 70 % des ruraux vivent en dessous du seuil d'extrême pauvreté. Notre productivité agricole reste faible, non pas à cause de notre incapacité à améliorer nos systèmes de production, mais, à cause de la rémunération très faible de notre travail et du manque d'investissement public dans les infrastructures et les services publics en milieu rural : écoles, dispensaires, pistes, approvisionnement en eau et services insuffisants et déficients. Nous sommes de plus en plus contraints à l'exode rural. Nos enfants scolarisés ne peuvent plus rester au village. La réalité est qu'au sein de la nation sénégalaise, nous sommes devenus des citoyens de seconde zone.

- En créant, en 1993, le CNCR, nous avons décidé de refuser cette situation et de nous battre pour la changer. Nous avons toujours essayé de mener un dialogue constructif avec les Autorités politiques. Notre volonté est de nous assumer, de participer aux décisions concernant notre avenir.

Nous, paysans, membres du CNCR, demandons à l'Etat d'ouvrir des négociations franches et sincères sur les points suivants :

- L'assistance au monde rural frappé par la sécheresse jusqu'aux récoltes céréalières d'octobre 2003.

- L'évaluation du système de commercialisation carreau usine, son amélioration et l'implication des organisations paysannes dans la privatisation de la SONACOS.

- La relance de la production de l'arachide qui, pour l'instant, est la seule source importante de revenus pour le monde rural et de croissance pour l'économie nationale.

- La revue de tous les projets en cours concernant le monde rural pour résorber les retards inacceptables dans leur mise en œuvre et dans l'utilisation de l'aide au développement.

- La révision de la stratégie de lutte contre la pauvreté.

- L'élaboration d'une politique de développement agricole et rurale basée sur une vision à long terme du monde rural et de l'agriculture paysanne. Le développement de l'agriculture et des activités non agricoles est la seule stratégie durable de réduction de la pauvreté rurale pour notre pays.

Dans ce cadre, nous insistons sur les points suivants :

- La vision à long terme du monde rural doit donner la priorité à la modernisation de l'agriculture familiale et au développement des activités non agricoles. Nous, paysans, ne sommes pas opposés au développement d'autres modes de production agricole. Cependant, nous combattons toute politique qui ne donnerait pas la priorité à l'agriculture paysanne.

- La participation des organisations paysannes à la définition de la vision à long terme de l'agriculture et du monde rural et aux stratégies de mise en œuvre.

- La préparation et la tenue d'assises nationales du monde rural pour définir une vision et une stratégie pour le monde rural. Tous les acteurs politiques, économiques et la société civile devront être impliqués.

- Le vote d'une loi d'orientation agricole et d'une loi de réforme foncière.

- Le réexamen des politiques de l'UEMOA. Le CNCR a été à l'origine de la création du Réseau des Organisations Paysannes et des Producteurs de l'Afrique de l'Ouest (ROPPA). Lors du dernier sommet de l'Union à Dakar, nous avons manifesté notre opposition au tarif extérieur commun et à l'harmonisation du taux de la TVA. Ces décisions favorisent l'importation massive de produits alimentaires et sont une concurrence déloyale à nos produits agricoles sur le marché de l'Union. Les prochaines négociations avec l'Union Européenne pour des accords de libre échange avec les pays membres de la CEDEAO risquent d'aggraver cette situation. Nous ne pouvons pas accepter cette politique alors que les pays du Nord continuent à subventionner leur agriculture, imposent des quotas et des normes sanitaires et phytosanitaires à l'importation. Nos Etats ont le droit de protéger notre agriculture familiale et notre souveraineté alimentaire. Ils ont l'obligation de créer les conditions et d'appuyer la modernisation de notre agriculture paysanne.

Nous, paysans réunis au Stade Léopold Sédar Senghor, lançons un appel à tous les paysans Sénégalais, à tous les paysans de l'Afrique de l'Ouest, pour nous organiser et défendre nos intérêts.

 


Référence pour cet article : GRAIN, 2003, Semences de la biodiversité No.15, mai 2003

Lien sur internet : www.grain.org/fr/publications/note-15-fr.cfm

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