Quelques 40% de la population mondiale souffrent de carences en micro-nutriments.
On nous promet aujourd'hui que le génie génétique
apportera " la solution " à ce problème. La première
génération d'aliments génétiquement modifiés
se heurtant à une opposition croissante, le riz enrichi en vitamine
A, ou riz doré, offre une occasion inespérée de redorer
l'image des biotechnologies dans l'opinion publique. Non seulement il
répondra à un problème global de santé publique,
mais en plus il sera , selon les promesses, gratuit pour les agriculteurs.
Monsanto a également mis au point une variété de
moutarde enrichie en bêta-carotène qu'elle destine (gratuitement)
aux cultivateurs pauvres du Sud. On s'intéresse de près
à ces récoltes enrichies en nutriments, surtout dans la
mesure où elles font la promesse que le génie génétique
servira la cause humanitaire. Trop beau pour être vrai ? Des réponses
techniques comme celle-ci ne feront que traiter les symptômes des
carences en micro-nutriments et propageront le problème qui est
dû à une baisse de la diversité des aliments produits
et consommés.
En dépit de l'amélioration globale de l'approvisionnement
en nourriture, la malnutrition et la faim restent parmi les problèmes
les plus accablants auxquels la société est confrontée.
La malnutrition due à des déficiences en vitamines spécifiques
et en minéraux touche quelques 40% de la population mondiale, surtout
les femmes et les enfants. Ironiquement, la plupart de ceux qui souffrent
de carences en micro-nutriments vit en Asie du Sud, là où
les sources en micro-nutriments, comme certains fruits et légumes,
sont d'une très grande diversité.
La carence en vitamine A (CVA) est l'une des causes majeures de malnutrition
liée à un manque de micro-nutriments dans les pays en développement.
D'un point de vue historique, il a été prouvé que
la vitamine A est capitale pour la prévention de la cécité.
Plus récemment, son rôle pour lutter contre les infections
a été mis en lumière. La vitamine A aide à
prévenir des maladies telles que la diarrhée, les affections
respiratoires, la tuberculose, la malaria, les infections ORL et contribue
à empêcher la transmission du SIDA de la mère à
l'enfant. Selon l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), environ
2.8 millions d'enfants de moins de cinq ans présentent une manifestation
clinique grave de carence en vitamine A connue sous le nom de xérophtalmie.
La preuve a été faite que la vitamine A pouvait réduire
la mortalité infantile d'environ un tiers dans de nombreux pays
en voie de développement. La CVA est considérée comme
un problème grave de santé publique et plusieurs initiatives,
ayant pour but d'éliminer la CVA en 2000, ont été
prises à un haut niveau. Des progrès ont été
faits, mais on est bien loin d'avoir atteint cet objectif.
La carence en un seul micro-nutriment est rare. Dans de nombreux pays,
la malnutrition a des conséquences graves sur la santé quand
elle provient de déficiences en zinc, en vitamines C et D, en folate,
en riboflavine, en sélénium et en calcium ; en plus des
trois micro-nutriments auxquels on accorde tant d'attention actuellement
(la vitamine A, le fer et l'iode). On repère surtout la carence
en vitamine A dans des contextes de pauvreté et de disparités
sociales. On considère que c'est l'une des composantes -de moindre
importance comparée aux autres- du syndrome de sous-nutrition.
Dans ce contexte de carences nutritives multiples et d'interférences
des substances nutritives, le recours à un seul élément
nutritif pour combattre la malnutrition est donc dénué de
sens.
La vitamine A ou rétinol se trouve essentiellement
dans les aliments d'origine animale tels que le foie, le lait et les œufs.
Les fruits et les légumes contiennent de la pro-vitamine A, comme
le bêta-carotène et d'autres caroténoïdes, qui
doivent être transformés en rétinol avant que le corps
ne puisse les assimiler (voir exemples dans le tableau ci-dessous). Les
causes de la carence en vitamine A chez l'enfant peuvent être attribuées
à l'état de carence nutritionnelle dans lequel se trouvait
la mère pendant la grossesse et l'allaitement ; ainsi qu'à
la consommation insuffisante d'aliments riches en pro-vitamine A par l'enfant
après le sevrage et ensuite. Une approche logique de la carence
en vitamine A doit donc chercher à s'attaquer à ces causes
plutôt que de compter sur des réponses technologiques. Fort
heureusement, l'abondance d'aliments naturels dans le Sud devrait permettre
de telles améliorations du régime alimentaire.
Contenu micro-nutritif des feuilles de Moringa comparé
à d'autres aliments
(pour 100 g de la partie comestible)
Nutriments |
Feuilles de Moringa |
Autres aliments |
Activité en vitamine A (mcg) |
1130 |
Carottes :315 |
Vitamine C (mg) |
220 |
Oranges : 30 |
Calcium (mg) |
440 |
Lait de vache : 120 |
Potassium (mg) |
259 |
Bananes : 88 |
Protéines (mg) |
6700 |
Lait de vache : 3200 |
Source : C. Gopalan, et Al. (1994), Nutritive Value
of Indian Foods, National Institute of Nutrition, India.
Des fermes, pas des pharmacies !
Pour pallier à la carence en vitamine A, trois
mesures sont communément appliquées dans le monde : la complémentation,
l'enrichissement et la diversification alimentaire. La plupart des stratégies
reposent essentiellement sur des interventions sanitaires : en général,
il s'agit, pour les enfants de moins de trois ans, de l'administration
orale, à intervalles réguliers, d'une forte dose de vitamine
A synthétique. L'Inde est le premier pays à avoir utilisé
cette méthode à la fin des années 60. Ce qui devait,
à l'origine, être une mesure à court terme pour l'amélioration
diététique est en fait devenu l'axe central de nombreux
programmes. L'UNICEF estime que la moitié des enfants qui risquent
la déficience en vitamine A ont reçu au moins une dose de
cette vitamine en 1998. En raison de la simplicité d'utilisation
du complément alimentaire, les recherches ont été
laissées de côté et la promotion de mesures diététiques
est restée à l'arrière plan.
Cette méthode pharmaceutique de distribution de vitamine A synthétique
a été largement critiquée, y compris par ceux qui
l'ont instaurée. Après trente ans d'expérience en
Inde, on peut citer un certain nombre de défaillances de cette
stratégie: l'incapacité à corriger la carence en
vitamine A (surtout chez les populations où les signes d'une déficience
légère sont répandus), la durée de conservation
limitée de la vitamine A et les problèmes logistiques pour
assurer l'approvisionnement. Les programmes de complémentation
sont souvent coûteux, non systématiques et leur champ d'application
est limité. Les demandes pour une méthode d'approche alternative,
qui s'attaquerait aux racines du problème plutôt que d'en
traiter les symptômes, sont nombreuses. La Déclaration Mondiale
et le Plan d'Action sur la Nutrition, adoptés par 159 pays lors
de la Conférence Internationale sur la Nutrition organisée
conjointement par la FAO et l'OMS en 1992, souligne que les stratégies
pour combattre la malnutrition en micro-nutriments devraient : "
s'assurer que la priorité est donnée à des stratégies
durables qui se basent sur l'alimentation, surtout pour les populations
déficientes en vitamine A et en fer, en favorisant les aliments
locaux et en tenant compte des habitudes alimentaires spécifiques.
"
L'enrichissement en vitamine A du beurre, de la margarine ou du sucre
se pratique déjà dans certains pays. Cette méthode
présente, elle aussi, des inconvénients. Bien souvent, l'enrichissement
de la nourriture n'est réalisable que dans les pays qui ont des
secteurs pharmaceutiques et alimentaires bien développés,
efficacement contrôlés et réglementés. Comme
la complémentation, l'enrichissement de la nourriture ne mène
ni à une prise de conscience, ni au changement des habitudes alimentaires,
et son impact se limite à ceux qui peuvent avoir accès à
ces produits enrichis. La diversification alimentaire, à l'inverse,
ne nécessite qu'un minimum d'intervention extérieure, elle
encourage la consommation de toute une gamme de micro-nutriments autres
que la vitamine A, elle est durable, elle encourage la communauté
et l'individu à s'impliquer et elle peut même contribuer
à stimuler l'économie locale.
La Révolution Verte : festin et famine
En Asie, la fréquence des carences en micro-nutriments dépasse
maintenant très nettement la simple malnutrition protéinique
et calorifique. Malgré l'amélioration considérable
de l'approvisionnement en céréales, laquelle a favorisé
la consommation croissante d'aliments riches en calories et en protéines,
l'approvisionnement et la consommation d'aliments riches en micro-nutriments
n'ont pas augmenté dans les mêmes proportions et ont, en
réalité, le plus souvent, diminué. Seules trente
plantes cultivées " nourrissent le monde ", fournissant
95% de l'énergie diététique et des besoins en protéines.
Plus de la moitié provient uniquement du blé, du riz et
du maïs. C'est pour cela que ces trois cultures ont servi de base
à la Révolution Verte des années 60. On a encouragé
la monoculture de ces céréales, ce qui a eu pour conséquence
d'augmenter la proportion d'aliments apportant plus de macro-nutriments,
mais pas les micro-nutriments indispensables dont on manquait déjà.
L'accès aux cultures alimentaires riches en micro-nutriments ainsi
que leur disponibilité ont, en fait, baissé pour des millions
de gens pauvres. Aujourd'hui, plus de deux milliards de personnes ont
un régime alimentaire moins varié qu'il ne l'était
il y a trente ans, avec pour conséquence des carences en micro-nutriments,
surtout en fer, en vitamine A, en iode, en zinc et en sélénium.
Le remplacement des variétés traditionnelles par d'autres
variétés dans les champs est considéré comme
la principale cause de l'érosion génétique à
travers le monde, et cela a également eu un impact sur les jardins
familiaux. Une étude concernant les familles d'agriculteurs en
République de Corée a par exemple révélé
que, sur 143 espèces cultivées dans les jardins familiaux
en 1985, seules environ 26% étaient encore cultivées en
1993. Ces résultats sont inquiétants car les jardins familiaux
sont traditionnellement importants non seulement parce qu'ils contribuent
à perpétuer certaines espèces, surtout de légumes,
mais aussi parce qu'ils représentent une source importante de vitamines
et de minéraux.
Perte de nutriments précieux ?
Accès aux fruits et légumes au Bangladesh
Une baisse significative et constante de la consommation
par personne de légumes verts à feuilles et de légumes
jaunes a été constatée aux Philippines. On peut dire
la même chose des fruits, légumes, légumineuses et
épices au Bangladesh (voir graphique ci-dessus). Au vu de cette
situation, le directeur du Centre de Recherche Agricole du Bangladesh
a déclaré que : " les modèles alimentaires auraient
pu être modifiés et nous aurions pu parvenir à l'autosuffisance
alimentaire et nutritive bien plus tôt avec 300 g de céréales
par jour et par personne, plutôt que d'y parvenir avec 500 g de
céréales, comme c'est le cas aujourd'hui ".
Il est évident qu'avec la Révolution Verte, on a préféré
la quantité à la qualité du régime alimentaire,
surtout parmi les populations pauvres. Même l'Institut International
de Recherche sur le Riz (IRRI) reconnaît que la Révolution
Verte est, en fait, certainement responsable de l'augmentation de la carence
en micro-nutriments chez les pauvres. Comme l'IRRI ne peut pas compter
sur le modèle de la Révolution Verte pour apporter une solution
à ce problème, il se tourne vers le génie génétique
pour se sortir de la situation qu'il a lui-même provoquée.
Comme beaucoup d'autres organisations qui s'occupent de développement
agricole, l'IRRI pense que le fait d'introduire les gènes manquants
dans les culture de la Révolution Verte apportera la réponse
à la malnutrition. Dans ce domaine, les recherches les plus avancées
concernent l'introduction de vitamine A dans des plants de riz et de moutarde.
Les cultures enrichies en vitamine A sont la preuve que le génie
génétique tient ses promesses aussi bien pour les pauvres
que pour les riches et que les cultures transgéniques peuvent profiter
à l'humanité tout en générant des profits
pour les géants de la génétique. Nombreux sont ceux
qui pensent que cette nouvelle approche va remplacer les stratégies
actuelles de lutte contre la carence en vitamine A, avec l'espoir de dépasser
les limites qu'elles ont rencontrées.
Introduire de la vitamine A dans les cultures
En Août 1999, la revue Science a servi de vitrine au riz enrichi
en vitamine A. Ce riz génétiquement modifié produit
du bêta-carotène dans son endosperme, ce qui lui donne sa
couleur jaune significative, d'où le nom de " riz doré
". Les fonds utilisés pour fabriquer ce riz proviennent de
la Fondation Rockfeller et de la Commission Européenne. Etant donné
qu'il a été mis au point en dehors du secteur privé,
le " riz doré " est devenu un outil fort utile et opportun
dans les relations publiques pour les promoteurs des manipulations génétiques.
Parallèlement, Monsanto avait mis au point un plant de moutarde
riche en bêta-carotène, que la firme a prévu de distribuer
aux agriculteurs pauvres du monde entier. Par l'intermédiaire du
partenariat global sur la vitamine A et d'investisseurs locaux, Monsanto
a promis de mettre au point des variétés appropriées
pour les régions les plus défavorisées. Ce don a
permis à Monsanto d'insister sur la pertinence de la biotechnologie
agricole face aux problèmes que rencontrent les plus pauvres, de
faire adopter la technologie au nom du bien public et de contrecarrer
la mauvaise réputation qu'elle s'était faite, particulièrement
en Europe et en Inde.
Le " riz doré " est le fruit du travail de deux équipes
de recherche allemandes sous la direction du Dr Ingo Potrykus de l'Institut
Suisse de Technologie de Zurich et du Dr Peter Beyer de l'université
de Fribourg. L'idée d'introduire génétiquement du
bêta-carotène dans du riz a émergé il y a neuf
ans, au vu des rapports de l'UNICEF et de l'OMS sur l'incidence grave
de la CVA dans les pays où le riz constitue la base de l'alimentation.
Les chercheurs ont manipulé une variété de laboratoire
du riz Japonica (Taipei 309, adapté au climat tempéré
de l'Europe) pour qu'elle convertisse un précurseur hormonal naturellement
présent en bêta-carotène. L'équipe a introduit
trois gènes. Deux d'entre eux sont nouveaux dans le domaine des
manipulations génétiques et proviennent de jonquilles (Narcissus
pseudonarcissus). Le troisième vient d'une bactérie, Erwinia
uredovara, qui a déjà été utilisée
par Kirin Brewery. Les équipes travaillent également à
croiser cette lignée à une autre lignée de riz, afin
d' augmenter son contenu en fer.
Le battage publicitaire autour du " riz doré " semble
un peu prématuré dans la mesure où seule une poignée
de graines génétiquement modifiées a été
produite à ce jour. La seule certitude, c'est que certaines des
graines transformées contiennent du bêta-carotène
dans leur endosperme, mais on ne sait toujours pas si l'organisme peut
l'assimiler ou pas. Même si ce riz s'avère être un
succès, il faudra encore transférer le caractère
bêta-carotène aux variétés de riz Indica, qui
sont celles que l'on cultive en Asie. Plusieurs Centres de Recherche Agricole
Internationale (CRAI) vont se charger de ce travail ; parmi eux, l'IRRI
des Philippines, l'ICRISAT basé en Inde et le CIAT basé
en Colombie où de nouveaux croisements et de nouveaux essais en
champ seront effectués. L'IRRI, en collaboration avec l'Institut
de Recherche sur le Riz des Philippines, doit se charger de transférer
le caractère doré à des variétés courantes
telles que l'IR 64.
Le riz enrichi en vitamine A a encore un long chemin devant lui. La réussite
en laboratoire ne garantit pas la réussite en champ. Les plantes
transgéniques qui se comportent bien en laboratoire sont bien souvent
un échec dans les champs; surtout si elles contiennent non pas
un, mais trois gènes supplémentaires. A l'heure actuelle,
on ne peut que faire des suppositions quant à l'impact sur l'environnement
et d'autres aspects peuvent poser problème, comme son goût
et son accueil par les consommateurs. Tous les aspects du problème
ne semblent pas avoir été correctement appréhendés.
Les équipes de Potrykos et de Beyer ont contacté les institutions
internationales qui connaissent la CVA, telles que l'UNICEF, la FAO et
l'OMS, bien après l'émergence du projet. S'ils avaient pris
contact avant d'entamer les recherches, le projet aurait bien pu ne jamais
voir le jour. L'équipe de recherche se compose de botanistes et
d'un nutritionniste ; et les questions concernant les problèmes
annexes et l'opinion publique n'ont pas été abordées.
Le fait que le riz soit jaune et non pas blanc pourrait provoquer une
réaction négative chez le consommateur. S'il est nécessaire
d'éduquer les gens, ne serait-il pas préférable de
faire un effort pour promouvoir une diversification alimentaire qui améliorerait
l'ensemble de l'apport nutritionnel, plutôt que de se contenter
d'apporter une seule vitamine en supplément ?
Alors que la mise au point du riz enrichi en vitamine A semble bien intentionnée,
même si elle est peut-être mal employée, on peut émettre
davantage de doutes quant aux raisons qui ont poussé Monsanto à
produire la moutarde au bêta-carotène. Calgene, qui a été
rachetée par Monsanto en 1996, a d'abord mis au point du colza
(Brassica napus) ayant un taux élevé de caroténoïdes
parce qu'il contenait davantage d'acides gras et était donc potentiellement
plus rentable,. A l'inverse de l'initiative du " riz doré
", l'objectif était là purement commercial. Le fait
d'utiliser cette technologie pour la moutarde (Brassica juncea), parent
proche du colza, a été pensé après coup.
Ce n'est pas un hasard si Monsanto a eu l'idée de créer
la moutarde au bêta-carotène au moment où la moutarde,
qui est la plus importante graine oléagineuse en Asie du Sud, fait
son entrée sur le marché. Monsanto détient Cargill
et a passé des accords avec Mahyco, ce qui lui permet d'être
présente sur le marché des graines en Inde. Le don de Monsanto
intervient alors que la moutarde devient une marchandise commerciale internationale
et que la firme tente désespérément d'être
crédible et d'obtenir du soutient pour ses cultures transgéniques
en Inde. Bien que la firme soit prête à partager cette technologie
avec n'importe quel partenaire, seul l'Institut de Recherche sur l'Energie
TATA, basé à New Delhi, est cité par Monsanto comme
partenaire potentiel (sûrement pas un des " investisseurs locaux
" dont elle parle). Il faudra certainement plus que de la moutarde
au bêta-carotène pour que les agriculteurs locaux fassent
confiance à une corporation qu'ils estiment, au moins en partie,
responsable de leurs difficultés.
Le nouveau centre de Recherche et de Développement de Monsanto
à l'Institut Indien des Sciences de Bangalore se charge de transférer
la technologie d'introduction du bêta-carotène du colza à
des variétés de moutarde. La firme espère y parvenir
d'ici la fin 2000. Les essais en champs prendront eux deux à trois
ans de plus. En attendant, beaucoup de questions restent sans réponse.
Etant donné que les bêta-carotènes se dissolvent dans
les matières grasses, Monsanto pense que l'huile de sa moutarde
transgénique pourra facilement être assimilée par
l'organisme. Cependant, on sait que la chaleur détruit le bêta-carotène,
et l'huile est bien souvent consommée après cuisson ; il
faut donc trouver un moyen de stabiliser le bêta-carotène.
Sa couleur orange constitue un autre inconvénient pour cette huile
de colza modifiée car elle pourrait bien affecter son accueil par
les consommateurs.
Empêtré dans les brevets
En dépit de toute la publicité, les promesses
du " riz doré " et du colza de Monsanto sont encore loin
d'être réalisées. Un des problèmes, qui a été
très largement débattu par la presse, est celui du droit
de propriété intellectuelle lié au colza de Monsanto
et aussi, d'une manière certainement moins évidente, au
riz doré. Monsanto détient -par l'intermédiaire de
Calgene- le brevet pour le colza enrichi au bêta-carotène
(WO 9806862) et pour le promoteur (promoteur napin US 5 420 034). Monsanto
est tenue de payer des royalties à ceux qui ont mis au point la
technique de transformation que la firme a utilisée pour produire
le colza transgénique et à Kirin Brewery pour les gènes
caroténoïdes de biosynthèse de la bactérie Erwinia
uredavora (EP0393690).
Monsanto a annoncé que son intention est de fournir la moutarde
enrichie en bêta-carotène gratuitement aux agriculteurs pauvres
ou fonctionnant en autoconsommation qui " ne participent pas pleinement
à l'économie mondiale ". On ne sait cependant pas clairement
ce que cela veut dire. Quelle sera la limite pour la vente du colza ou
de son huile ? Comment de telles restrictions affecteraient-elles l'accès
à l'huile au bêta-carotène pour les pauvres ? Affecteront-elles
l'achat des graines ou de l'huile par des grosses compagnies nationales
ou internationales ? A l'Institut de Recherche et de Développement
de Monsanto, on déclare que tant que le projet reste philanthropique,
la compagnie n'a pas de ligne de conduite claire pour répondre
à ces questions.
Dans le cas du " riz doré ", ses créateurs affirment
qu'il sera certainement fourni gratuitement aux agriculteurs. Cette promesse
sera-t-elle tenue ? Etant donnée la barrière de brevets
à laquelle la firme se heurte, la question reste posée.
Bien qu'ayant été financé par le secteur public,
le " riz doré " est largement le produit de compagnies
privées.
La mise au point du riz a nécessité l'utilisation d'au moins
six procédés brevetés, gènes ou promoteurs
(voir tableau). En haut de la liste, les équipes de Zurich et de
Fribourg ont fait une demande de brevet concernant l'insertion de la voie
métabolique pour produire le bêta-carotène dans les
graines. Les scientifiques impliqués affirment que c'était
pour empêcher d'autres parties (des compagnies) de breveter cette
technologie. Si cela était réellement le cas, il aurait
suffi de diffuser l'information dans le domaine public. La demande de
brevet fait potentiellement de la Fondation Rockfeller et de la Commission
Européenne des institutions à but lucratif. D'après
Beyer, la demande de brevet qui a été déposée
embrasse l'insertion de la nouvelle voie métabolique dans n'importe
quelle culture, pas seulement dans le riz. Le riz sera la seule culture
à laquelle les cultivateurs auront accès gratuitement, et
seulement sous certaines conditions notifiées dans un contrat entre
" les inventeurs " et les CRAI qui transfèrent les gènes
du " riz doré " dans des variétés tropicales.
Brevets sur le " Riz Doré "
Procédés
et séquences |
Numéro de brevet |
Propriétaire |
Agrobacterium Transformation |
WO8603776 (1986) |
Plant Genetic Systems (Aventis) |
Daffodil PSY and LYC genes |
En attente |
Université de Fribourg |
Erwinia uredovora CrtI gene |
EPO 393690 (1990) |
Kirin Brewery |
Carotenoid biosynthesis gene |
WO9806862 (1998) |
Calgene (Monsanto) |
Endosperm specific Gt1 promoter of Daffodil
genes |
J6391085 (1988) |
Noriinsho |
CaMV 35S promoter of Euredovoragene |
US5106739 (1992) |
Calgene (Monsanto) |
AphIV marker gene |
US5668298 (1997) |
Eli Lilly |
Ce n'est pas la première fois que des accords
sont passés entre des compagnies du secteur privé et des
CIRA pour utiliser et distribuer des matériaux brevetés.
Ciba-Geigy (qui a fusionné avec Sandoz pour former Novartis) a
mis des gène Bt à disposition des IRRI pour fabriquer du
riz, lequel est gratuitement fourni aux producteurs de riz de tous les
pays sauf l'Australie, le Canada, le Japon, la Nouvelle Zélande,
les Etats-Unis et les pays membres de la Convention Européenne
sur les Brevets de 1994. " Plant Genetic System " a fourni au
" Centro Internacional de la Papa " (CIP) des gènes Bt
et des technologies. Les résultats des recherches effectuées
en collaboration sont gratuitement mis à disposition des pays en
voie de développement, à condition que le destinataire ne
se les approprie pas injustement et qu'il ne cherche pas à en tirer
profit en les commercialisant dans les pays industrialisés. Il
est normal, après tout, que le contrôle reste entre les mains
du détenteur du brevet.
Les équipes qui ont créé "
le riz doré " croient que, ne serait-ce que dans l'intérêt
de leur image publique, aucune compagnie ne les empêchera d'utiliser
leurs procédés, leurs gènes ou leurs promoteurs brevetés
pour faire du riz gratuitement mis à disposition des pauvres. Mais
c'est une situation compliquée car un conflit d'intérêt
pourrait facilement survenir pour les compagnies impliquées, surtout
dans la mesure où elles n'ont permis l'utilisation gratuite de
leurs technologies que sous certaines conditions. Quelle que soit la part
de philanthropie dans les intentions du projet, les produits issus de
manipulations génétiques sont tellement empêtrés
dans les questions de droit de propriété intellectuelle
et tellement tournés vers le profit, que les problèmes semblent
quasiment inévitables. Les initiatives charitables peuvent facilement
être corrompues et détournées car c'est le secteur
privé qui détient certains des gènes clés
et des brevets.
La biotechnologie peut-elle résoudre le problème ?
La découverte du " riz doré " donne un nouveau
souffle à l'application des manipulations génétiques
pour combattre la malnutrition.
Il est très peu probable que les pauvres tirent un quelconque bénéfice
de cette stratégie. Cette méthode " du pansement "
ne fera que perpétuer la qualité toujours moins bonne des
aliments cultivés sous l'emprise d'un système agricole industriel,
au détriment des fruits, des légumes, des cultures sous-utilisées
et sauvages. Si l'on n'oriente pas nos efforts en matière de nutrition
sur une agriculture de base plus diversifiée, la carence en micro-nutriments
persistera, cela ne fait aucun doute. Les impacts réels des cultures
enrichies en vitamine A seront :
*La réduction de la diversité alimentaire et nutritionnelle
Le fait de se concentrer sur l'introduction de micro-nutriments dans les
aliments de base, plutôt que de promouvoir les sources naturelles,
biaisera le développement et la recherche agricoles, et on s'éloignera
encore plus de la diversité alimentaire. Cela contribuera à
perpétuer la consommation de certaines denrées de base et
d' un nombre limité d'aliments dits fonctionnels, tels que l'huile
au bêta-carotène. Cela va aggraver l'érosion génétique,
décimer les systèmes agricoles et réduire la diversité
nutritionnelle.
*L'aggravation de l'ensemble de l'état nutritionnel
La seule introduction d'un micro-nutriment tel que la vitamine A dans
les cultures des aliments de base ne résoudra pas le problème
des carences en micro-nutriments. Le transfert d'un gène exotique
sur une denrée de monoculture est insuffisant pour compenser les
carences alimentaires de ceux qui souffrent d'une malnutrition liée
à la monoculture. La valeur nutritionnelle fournie par un mélange
de riz et de feuilles de Moringa (drumstick) est bien supérieure
à celle du " riz doré ". Le fait de ne fournir,
par le biais de l'alimentation, qu'un seul micro-nutriment à une
population qui présente un grand nombre de carences nutritionnelles
paraît immoral, surtout dans des régions où la totalité
des nutriments nécessaires peut facilement être fournie par
les fruits et les légumes locaux ainsi que par la consommation
d'espèces sous-utilisées ou sauvages.
*La perpétuation du problème
La promesse que le " riz doré " ou la moutarde au bêta-carotène
pourraient contribuer à éliminer la carence en vitamine
A dans le Sud, semble très attrayante. Cependant, l'approche basée
sur les manipulations génétiques part du principe erroné
que la carence en vitamine A serait due à un manque au niveau des
sources de nourritures riches en vitamine A. Ce type d'argument contribue
à alimenter l'idée selon laquelle le riz doit continuer
à être la denrée de base de l'alimentation des pays
pauvres, et n'encourage pas les gens à diversifier leur alimentation.
Au lieu de résoudre le problème, cette approche le perpétue
et se contente de masquer les défaillances de la Révolution
Verte.
*La promotion de nouvelles réponses techniques
Cette approche unilatérale basée sur une solution technique
à la carence en vitamine A fait penser au modèle de la Révolution
Verte. Celle-ci a aussi apporté une réponse technique à
un problème complexe : celui de la pauvreté et de la faim.
Le " riz doré " est encore une des solutions fournies
en réponse aux problèmes des pauvres, une solution qui paraît
simple, universelle, et qui est décidée et mise au point
par des scientifiques du Nord. Il n'est pas très surprenant que
la Fondation Rockfeller, l'un des principaux acteurs de la Révolution
Verte, ait financé cette approche pour résoudre un problème
qu'elle a contribué à créer.
*Accès et équité
Les cultures enrichies en vitamine A s'adressent essentiellement aux "
pauvres ". Néanmoins, de nombreux pauvres, surtout les femmes,
n'ont pas profité des cultures de la Révolution Verte ;
il est donc peu probable qu'ils profitent de la prochaine étape.
Le moindre bénéfice direct pour les plus pauvres, qui, par
définition, ont un pouvoir d'achat restreint et ne génèrent
donc pas de marché, serait un effet secondaire ou une exception
à la règle, et les pauvres n'auront aucun pouvoir de contrôle
sur ce bénéfice. Au lieu de ça, il serait mieux de
destiner le peu de ressources à des programmes qui considèrent
les pauvres comme partie prenante de leur objectif principal, et non comme
des bénéficiaires accessoires.
*Diversité alimentaire ou uniformité ?
Même si l'amélioration des habitudes alimentaires, en particulier
la production et la consommation accrue d'aliments riches en bêta-carotène,
a longtemps été considérée comme la seule
solution acceptable à long terme pour combattre la CVA, très
peu de mesures concrètes ont été prises dans cette
direction au cour des vingt dernières années. Selon le lauréat
1991 du World Food Prize, le Dr Nevin Scrimshaw, " c'est ironique
de constater que la plus grande concentration de cas de xérophtalmie
et de cécité dues à une carence en vitamine A se
trouve dans des populations qui disposent d'abondantes sources de vitamines
et de minéraux dans les fruits et légumes locaux ; malgré
cela, aucun pays n'est parvenu à ce jour à mettre sur pied
une campagne efficace pour résoudre le problème de la vitamine
A par ce biais ".
Rompre le cycle
Les programmes de complémentation et d'enrichissement
alimentaires traitent les symptômes et non les causes fondamentales
de la carence en micro-nutriments. Les régimes alimentaires de
piètre qualité reposant essentiellement sur des aliments
de base sont la cause fondamentale de la malnutrition. La création
du " riz doré " est issue de cette approche de complémentation,
et l'on ne s'attaque toujours pas à la cause. Pire encore, ce riz
contribue en réalité à perpétuer la malnutrition
car il ne répond pas aux besoins en autres minéraux et vitamines,
lesquels pourraient être couverts par l'adoption d'une approche
diététique de la carence en vitamine A.
L'amélioration de la diversité alimentaire basée
sur la stimulation de la production et de la consommation d'aliments riches
en micro-nutriments est la seule solution sensée et durable pour
résoudre les carences en micro-nutriments. De nombreuses possibilités
existent pour améliorer l'approvisionnement direct des foyers,
à la campagne comme à la ville (voir encadré ci-dessous).
La cause réelle de la CVA vient du fait que les populations vulnérables
n'ont pas assez de pouvoir pour accéder à ces sources naturelles
de vitamine A. Cela devrait servir de point de départ à
toute stratégie visant à combattre la CVA. La diversité
est la base de toute alimentation équilibrée. Les politiques
agricoles et nutritionnelles devraient promouvoir l'accès aux aliments
riches en micro-nutriments et des programmes d'éducation nutritionnelle
ciblés devraient contribuer à en augmenter la consommation.
Il n'y a qu'en fournissant des sources alimentaires variées dans
le champ et en insistant sur le fait que la nourriture ne sert pas uniquement
à apporter des calories, mais aussi à améliorer le
bien-être nutritionnel, que l'on parviendra à sortir du cercle
vicieux de la faim et de la malnutrition.
Tirer parti de la pharmacie
naturelle
Les sources de vitamine A sont nombreuses. Néanmoins,
on sous estime vraiment la contribution de telles plantes pour
réduire les carences en micro-nutriments. Parmi les nombreux
légumes verts à feuilles, les feuilles de "
drumstick " (Moringa oleifera) constituent une source particulièrement
riche et peu coûteuse de pro-vitamine A et d'autres micro-nutriments
essentiels. Originaire de l'Inde, cet arbre est largement présent
dans les pays tropicaux où la déficience en vitamine
A pose un problème. Un verre de feuilles de Moringa fraîches
suffit à couvrir les besoins quotidiens en vitamine A d'une
dizaine de personnes.
En Thaïlande, Tum leung (la courge lierre) a été
l'objet d'étude d'un programme d'éducation couronné
de succès qui a contribué à améliorer
les connaissances, les manières de penser et les pratiques.
Par l'intermédiaire du projet, près de 5000 foyers
se sont mis à cultiver le Tum leung dans leur jardin, prouvant
ainsi que, si on leur donne les bons outils éducatifs,
les pauvres peuvent être très réceptifs et
changer leurs habitudes alimentaires.
En Afrique de l'Ouest, l'huile du palmier huilier Elaeis guineensis
est l'une des sources les plus riches en vitamine A. Cette huile
fait actuellement l'objet d'une campagne de promotion lancée
par la FAO dans certaines parties du Bénin, du Ghana, du
Nigéria et dans le Nord Ouest de la Tanzanie. L'un des
moyens pour faciliter l'accès des pauvres à cette
plante précieuse d'un point de vue nutritionnel est d'augmenter
le rendement de son extraction en améliorant la technologie
dans les villages. Cette stratégie a également été
un succès en Zambie où la FAO a introduit des palmiers
tenera venant du Costa Rica. Au Brésil, un arbre local
portant le nom de burité produit une huile aussi riche
en bêta-carotène que l'huile de palme et son utilisation
est encouragée au niveau national pour prévenir
la carence en vitamine A.
|
Culture / Légume |
Description (pour 100 g) |
Activité en vitamine A (mcg) |
Amarante |
Feuille, cru |
900-1543 |
Carotte |
Feuille, cru
Tubercule, cru |
1200
2840 |
Courge amère |
Tubercule, cuit |
2210 |
Eleusine |
Farine |
4 |
Pomme de terre |
Tubercule, blanc, cru |
3 |
Patate douce |
Tubercule, jaune, cru
Feuille, cru |
50-770
183-450 |
Palmier Butiri |
huile |
50667 |
Palmier rouge |
huile |
2035-24647 |
Kale |
Feuille, cru |
250-1263 |
Radis |
Feuille, cru |
883 |
Cet article est extrait d'une étude
plus complète de GRAIN, Engineering Solutions to Malnutrition.
Références principales :
|
C. Gopalan et al (1998), " Micronutrient malnutrition
in SAARC ", NFI Bulletin, India. |
|
BA Underwood et al (1999), Micronutrient Malnutrition:
policies and programs for control and their implications. Ann.
Review of Nutrition, Vol 19. |
|
FAO-WHO (1992), Nutrition - the global challenge. Intern'1
Conference on Nutrition, Dec 5-11, Rome. |
|
H. Bouis (1998), Plant breeding : a new approach for solving
the widespread, costly problem of micronutrient malnutrition,
IFPRI. |
|
Personal communication with KK Narayanan, Monsanto R&D
Centre in Bangalore. |
|
Xudong Ye et al (2000), "Engineering the Provitamin A
(b-carotene) Biosynthetic Pathway into (Carotenoid-Free) Rice
Endosperm", Science, Vol. 287, pp303-305. |
|
Interview with Ingo Potrykus and Peter Beyer. |
|
Florianne Koechlin (2000) "The 'golden rice' - a big
illusion?" No Control On Life Mail-out 73, February 2000 |
Référence pour cet article : GRAIN, 2000,
Des réponses technologiques à la malnutrition?, Seedling,
mars 2000, GRAIN Publications
Lien sur internet : www.grain.org/fr/seedling/seed-mar012-fr.cfm
Notice de copyright : Les publications de GRAIN peuvent
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